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Financer les utopies : une histoire du Crédit coopératif (1893-2013), Michel Dreyfus. Fondation du Crédit coopératif-Actes Sud, 2013, 345 p.[Record]

  • François Espagne

Il y a en vérité non pas une, mais deux histoires dans ce livre très dense de Michel Dreyfus : celle du Crédit coopératif, pour une grande part vue sous deux angles, ses adaptations aux modifications successives des métiers du crédit et sa conquête progressive de nouveaux territoires dans l’espace de l’économie sociale, puis solidaire ; et, mêlée à cette histoire, celle de la coopération ouvrière de production. Ces deux histoires sont balisées par six dates ou périodes repères : en 1893, la création de la minuscule Banque coopérative des associations ouvrières de production (BCAOP), avec 1 000 francs de capital libéré et avec pour marché potentiel les quarante-quatre coopératives membres de la toute jeune et très fouriériste Chambre consultative des associations ouvrières de production ; en 1938, la création de la Caisse centrale de crédit coopératif (CCCC, ou 4C), avec pour mission la distribution des prêts de l’Etat aux coopératives des deux grandes utopies du xix e siècle – celles de la république des consommateurs (les Coop) et de la république des producteurs (les associations ouvrières de production [AOP], devenues les sociétés coopératives ouvrières de production [Scop]) – ; en 1969, avec l’absorption de la BCAOP, au bord du dépôt de bilan, par la Banque française de crédit coopératif (BFCC), filiale que la CCCC avait créée pour s’ouvrir le marché du court terme ; en 1975, avec l’élargissement du théâtre d’opérations passant de l’économie coopérative à l’économie sociale, d’abord exhumée par le Crédit coopératif qui la désigne comme la plage de ses futurs débarquements, puis récupérée, en 1977, comme support du lobbying des mutuelles, des associations et des coopératives, avant d’être, en 1981, proposée par Michel Rocard et adoptée par lui comme domaine de l’action gouvernementale et champ d’intervention d’une agence administrative dédiée. L’histoire ne se conclut pas, elle se transforme en un futurible, celui de l’extension à l’économie solidaire. Les histoires entrelacées du Crédit coopératif et des Scop ont pour ressort l’inversion des états civils. Le Crédit coopératif, mère adoptive de la BCAOP, se présente comme sa fille génétique et entend être reconnu comme telle. L’auteur paraît prendre un peu de distance par rapport à cette opération : en lui appliquant l’analyse d’Hobsbawm sur l’invention d’une tradition, il la réduit à un artifice de marketing. On préférera évoquer à son sujet, en en inversant l’inversion, l’apostrophe de Miguel de Unamuno : « Espagne, ma mère ; non, Espagne, ma fille. » Elle rend mieux compte de la charge utopique qui continue d’être assumée par le Crédit coopératif, et elle autorise le paresseux auteur de ces lignes à préférer à une recension académique d’une histoire très complète non pas sur mais à propos du livre de Michel Dreyfus – auquel il serait souhaitable, en cas de réédition, que soient ajoutées quelques références manquantes aux emprunts  – quelques réflexions personnelles, partiales et désordonnées, et à se donner ainsi le plaisir d’ajouter une remémoration personnelle à cette commémoration officielle. La première est sur la place très réduite faite à l’utopie de la république des consommateurs, i.e. à l’institution où elle s’est incarnée, celle des coopératives de consommation, les Coop. Celles-ci constituaient, avec les AOP, la deuxième clientèle statutaire de la CCCC avec un potentiel bien plus important que celui des Scop. Leur banque n’avait pas mieux accueilli que la BCAOP le monopole donné en 1938 à la CCCC sur l’étroit, mais nourrissant, marché de la gestion des prêts de l’Etat aux coopératives. Cependant, rien ou presque n’est dit sur les Coop et leur rapport avec le Crédit coopératif jusqu’à l’échec d’un rapprochement un peu avant le tsunami qui emporta en 1985-1986 …

Appendices