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Le secteur coopératif est solidement ancré dans le paysage économique du Costa Rica. En 2012, le pays comptait 376 coopératives d’adultes et 218 coopératives scolaires et étudiantes, réparties en trois grandes familles : coopératives classiques (dans lesquelles les associés entreprennent des opérations ou des activités avec ces structures, qui réalisent différentes actions telles que la transformation industrielle ou agroalimentaire, la commercialisation, l’épargne et le crédit ; de plus, elles ne peuvent pas sous-traiter), coopératives d’autogestion (au moins 40 % des associés doivent être salariés de l’entreprise et au minimum 40 % des travailleurs associés) et coopératives mixtes (les travailleurs qui l’intègrent dirigent toutes les activités ; il n’y a aucune possibilité de sous-traitance). Elles regroupent pas moins de 887 335 associés. Parmi les Costariciens, 21 % sont adhérents d’une coopérative (Recensement 2012, Infocoop). Cette vitalité coopérative puise son origine dans la réflexion engagée par le pays durant les années 50 sur les moyens de diffuser l’esprit coopératif pour rendre la société plus juste et plus solidaire. Cette transformation sociale devait s’appuyer sur l’éducation coopérative, dont les valeurs et les principes seront officialisés par l’Alliance coopérative internationale (ACI) en 1995 [1] : « L’apprentissage coopératif repose sur cinq principes de base énoncés par Johnson [2] : une interdépendance positive entre les membres des équipes, une responsabilisation individuelle et collective face à la tâche, le développement systématique d’habilités sociales, la promotion d’interactions simultanées en groupes hétérogènes restreints, une réflexion critique sur les processus [3]. » En plus d’un désir de changement de la société en profondeur, à travers une approche coopérative, ce type d’enseignement prépare les élèves, dès leur plus jeune âge, à développer un esprit d’entrepreneuriat coopératif, qu’ils pourront mettre en application dans leur future vie professionnelle.

Cet article présente l’éducation coopérative dans son ensemble au Costa Rica, via un bref historique, et la description des acteurs et de leur rôle dans ce système d’enseignement. Une fois ces outils et ces connaissances en main, nous nous pencherons sur l’organisation de cet apprentissage, inexistant en France jusqu’à présent [4].

Historique de l’éducation coopérative

Durant les années 30, les répercussions de la Grande Dépression affectent les petits et les moyens producteurs du Costa Rica qui dépendent des marchés internationaux. De là naît l’idée de se regrouper en coopératives, pour faire face à la crise. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement confisque les terres aux citoyens d’origine italienne, allemande et même espagnole. La situation économique s’aggrave encore un peu plus, et c’est alors qu’un groupe d’intellectuels réfléchit à la problématique socioéconomique que vit la population costaricienne, avec comme solution le regroupement coopératif. A partir de ces résultats, les producteurs et travailleurs de la ferme Victoria (confisquée à ses propriétaires allemands), à Grecia, décident de créer une coopérative, en demandant la législation nécessaire et l’appui du gouvernement, pour qu’elle puisse être sous le contrôle de la Banque nationale du Costa Rica (BNCR), qui apporterait l’aide financière. C’est ainsi qu’est votée le 22 juillet 1943 la loi n° 49, qui permet au gouvernement (sous Calderón Guardia) de vendre la ferme Victoria et ses installations à la BNCR, autorisant aussi celle-ci à organiser la coopérative de production agricole et industrielle. Au cours de la décennie 1950, le pays est sous la direction de José Figueres Ferrer (de 1953 à 1958), membre du Parti libéral national, qui a imposé la démocratie dans son pays en 1948, puis donné le droit de vote aux femmes et aux noirs et supprimé l’armée du Costa Rica. Sous sa présidence, le rôle de l’éducation coopérative dans le pays était d’installer et de renforcer le modèle coopératif dans la société costaricienne, en formant les citoyens de demain aux principes coopératifs qu’étaient l’humain avant le profit, le bien commun et l’aide mutuelle. L’éducation coopérative débuta avec des expérimentations dans les écoles de Sarchí, de Grecia, de Poás et de Pérez Zeledón, dans la région Centre-Nord, sous la houlette d’un acteur clé de la coopération à cette époque : le professeur Bolívar Cruz Brenes. Celui-ci a oeuvré dans des organisations telles que le Consejo nacional de cooperativas (Conacoop), l’Instituto nacional de fomento cooperativo (Infocoop), la Confederación de cooperativas del Caribe y Centro América (CCCA), l’Organisation internationale du travail (OIT) des Nations unies ou encore l’ACI. Il a participé à la commission qui a rédigé les deux premières lois sur la coopération : celle du 22 août 1968, concernant les associations coopératives, et celle du 20 février 1973, qui a permis la création de l’Infocoop. Bolívar Cruz Brenes tente d’expérimenter localement ce nouveau type d’éducation, dans les écoles de San Ramón, de San Isidro de el General, de San Carlos et de Heredia (région Centre-Nord). Les résultats sont à la hauteur de ses attentes, mais le corps enseignant n’est pas formé pour ce type d’activité. Cruz Brenes choisit donc l’ancienne école normale de Heredia [5] pour prendre en charge les enseignants et les initier à l’éducation coopérative. En tout, ce sont 450 enseignants qui seront formés dans cet établissement. Le département de promotion des coopératives de la Banque nationale du Costa Rica est alors la seule entité étatique qui soutient les organisations coopératives dans leur projet expérimental, visant à accompagner la société costaricienne vers un changement social en profondeur. Peu à peu, des projets concrets mettent en oeuvre cette utopie, par l’intégration de l’esprit entrepreneurial coopératif dans les programmes d’enseignement classique. Cependant, lorsque Bolívar Cruz est amené à changer de fonction, la coopération scolaire imaginée par ce dernier diminue petit à petit, jusqu’à quasiment disparaître.

C’est en 1973 que le sujet revient dans les débats, avec la création de l’Infocoop, ce qui amène à la dissolution du département de promotion des coopératives. L’Infocoop permet une amélioration de la formation à la coopération et de sa diffusion, ouvrant la voie vers de nouvelles idées et propositions pour le secteur. L’éducation coopérative passe de simples expérimentations locales à un réel projet de loi. La loi pour l’introduction de l’enseignement coopératif dans les écoles, les collèges, les lycées et les centres de formation professionnelle est promulguée le 20 février 1973. Elle ne sera cependant pas appliquée, faute de personnel qualifié.

Il faut attendre 1980 pour que le gouvernement, alors sous la présidence de Rodrigo Carazo Odio du parti Coalition unité (social-démocrate), se penche à nouveau sur la question de l’éducation coopérative. Ainsi, le 15 mai 1980 est promulguée la loi n° 6437, qui établit « l’obligation de l’enseignement de la coopération dans tous les centres éducatifs du pays, qu’ils soient publics ou privés » (tableau 1). Cette loi porte création, au ministère de l’Education publique (MEP), d’une unité technique pour l’orientation et la supervision des programmes d’éducation coopérative du pays, ainsi que pour recenser les coopératives scolaires.

Les acteurs et leur rôle dans l’éducation coopérative

Les acteurs coopératifs estiment que le pays a besoin de former des hommes et des femmes à la mentalité d’entrepreneurs, avec une culture organisationnelle basée sur les valeurs du travail en équipe, de l’aide mutuelle, de la solidarité, de l’effort, de la coopération, du respect et de la responsabilité sociale. L’ensemble de ces valeurs, présentes à partir du plus jeune âge dans le système éducatif, doit permettre de forger une nouvelle génération de citoyens et de citoyennes conscients de leur propre rôle dans la société, tout en étant des personnes compétitives et capables de créer leur propre source d’emplois, dans les respect des droits humains, environnementaux et sociaux. C’est la raison pour laquelle le système intégré d’éducation coopérative (Siec) a été créé en juillet 1985, durant le IVe Congrès national des coopératives. A travers lui, l’éducation coopérative a pour mission de monter des structures de formation à la gestion d’entreprise et elle doit pour cela recourir à la planification de l’action éducative.

Tableau 1

Approche de l’éducation coopérative selon le plan d’étude du MEP (loi n° 6437 du 15 mai 1980)

Approche de l’éducation coopérative selon le plan d’étude du MEP (loi n° 6437 du 15 mai 1980)

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Le MEP va plus loin et signe un contrat de formation des éducateurs coopératifs (diplômés universitaires). En plus du MEP, interviennent l’Infocoop, l’Association de professeurs de l’enseignement secondaire (Apse), le Centro de educación y capacitación cooperativa (Cenecoop) et l’université du Costa Rica.

Un mouvement s’organise autour de l’éducation coopérative, encouragé par les acteurs coopératifs et le MEP. Ce secteur étant fortement organisé et influent dans la société costaricienne, des congrès coopératifs sont régulièrement organisés, pour débattre des améliorations nécessaires au système coopératif. Le troisième congrès coopératif (1983) déclare comme « impératif le besoin de compter sur un système de planification au niveau du mouvement coopératif dans un Plan national de développement » [6].

Des objectifs sont fixés durant les différents congrès coopératifs organisés à l’échelle nationale, afin de développer au maximum l’éducation coopérative et son efficience. Dans cette optique, est créé le département de gestion des entreprises et de l’éducation coopérative, qui a comme responsabilité de former de jeunes entrepreneurs, à travers l’enseignement de la philosophie et de la doctrine coopératives. L’éducation coopérative prend alors un autre tournant. Elle n’est plus seulement la ligne directrice vers une société plus humaine, sociale et juste, mais aussi la formatrice de futurs entrepreneurs coopératifs et la gestion d’entreprise est intégrée aux cours.

Suite à la croissance continue de l’enseignement coopératif, en 2000 le MEP décide d’accorder un budget plus élevé pour payer le personnel enseignant coopératif. Grâce à cela, leur nombre passe de 65 à 238 éducateurs. La même année, est mis en place le Programme national de l’éducation coopérative, en coordination avec le Conacoop et l’Infocoop. Ce dernier propose en 2004 de renforcer encore plus la culture entrepreneuriale du système éducatif national à travers le développement de plusieurs projets.

En janvier 2005, au sein de l’Assemblée nationale, le Conseil supérieur de l’éducation approuve l’intégration des guides didactiques pour l’enseignement des valeurs et des principes coopératifs au programme éducatif de tous les centres scolaires du Costa Rica, qu’ils soient publics ou privés. Dans le cadre d’un partenariat entre le département de coopératives du MEP et l’Infocoop, le processus d’intégration des guides didactiques pilotes est lancé dans sept rectorats différents : Aguirre, Santa Cruz, Nicoya, San Carlos, Coto, Pérez Zeledón et Cartago.

L’éducation coopérative est mise en place, non sans mal, car même si elle est obligatoire d’un point de vue légal, beaucoup d’établissements ne se plient pas à la loi de 1980 et ne l’intègrent pas dans les programmes d’enseignement. Entre 2005 et 2012, le gouvernement, avec l’appui de l’Infocoop, lance une campagne régionale de divulgation et de promotion de la loi et explique comment organiser les cours et associer le programme éducatif classique aux valeurs coopératives suivant la législation en vigueur.

Organisation de l’éducation coopérative

L’enseignement coopératif va du primer au noveno grado (du CP à la terminale). En parallèle, beaucoup d’élèves adhèrent à des coopératives scolaires. De même, ils travaillent avec les scouts de l’Asociación de guías y scouts de Costa Rica, fondé en 1915, à la suite de l’organisation de jeunesse créée par le britannique Lord Robert Baden-Powell en 1907. Ce mouvement partage avec la coopération les mêmes valeurs de solidarité, de travail en équipe et de responsabilisation. Il compte aujourd’hui 11 000 membres dans tout le pays.

Les enseignants sont mieux formés depuis 2013 grâce à des cours donnés à travers une université virtuelle [7], la Fundepos, financée par le MEP. Actuellement, 237 professeurs suivent ces cours. Ils sont évalués deux fois par an (en mai et en octobre) par le rectorat et doivent, ensuite, présenter un bilan des cours, ainsi qu’un livre de comptabilité au MEP. Chaque cours (quarante heures) donne droit à monter d’un échelon dans la fonction publique.

Le fonctionnement n’a pas cessé d’évoluer depuis les premières expérimentations, dans les années 50. L’idée de départ était d’avoir des cours propres à l’éducation coopérative, mais des modifications ont eu lieu pour intégrer ces valeurs aux cours d’espagnol, de mathématiques, de science et d’études sociales. Le programme d’enseignement de ces disciplines reste le même, mais le pédagogue y inclut des activités portant sur les principes coopératifs. Dans un cours de science portant sur les oies bernaches, par exemple, une vidéo dans laquelle est expliqué comment le comportement des volatiles peut être comparé à la coopération (entraide, travail d’équipe) pourra être présentée aux élèves.

Aujourd’hui, les enseignants doivent suivre un programme de l’éducation coopérative élaboré pour chaque cours classique et organiser la leçon coopérative du jour à travers des activités portant sur les valeurs et les principes de la coopération. L’éducateur est libre d’opter pour l’activité qui lui semble la mieux adaptée. C’est à l’école de choisir si elle désigne un seul enseignant pour tous les cours d’éducation coopérative ou bien si chaque enseignant intègre cette thématique dans ses cours. Dans les deux écoles visitées, la première fonctionnait avec un éducateur unique et dans l’autre, à l’inverse, chaque enseignant dispensait les cours d’éducation coopérative. Malgré tout, chaque établissement doit avoir un pédagogue chargé de l’enseignement coopératif et de la coopérative scolaire qui forme les autres professeurs et gère les guides didactiques distribués à tous les enseignants, suivant le niveau.

En plus de cela, l’idéologie coopérative a réorienté son idéologie traditionnelle d’appui au changement social à travers le développement de programmes éducatifs qui permettent d’appuyer le mouvement coopératif dans son intégration au sein du sytème économique du pays. Son efficience est également renforcée grâce à une meilleure maîtrise de systèmes de gestion et d’administration des entreprises.

Le mouvement coopératif s’est fait une place dans le paysage du Costa Rica ces cinq dernières décennies. Son importance n’a cessé de croître, malgré une crise financière mondiale en 2009 qui a ralenti la croissance économique du pays, puisque le nombre de coopératives présentes sur le territoire est passé de 67 en 1963 à 376 en 2012, et leurs associés, de 15,654 à 887,335. Elles sont implantées dans les secteurs bancaires et de l’assurance, du commerce, de l’industrie manufacture, de l’agriculture, de la formation et l’assistance technique, du transport, du logement, des activités de service aux entreprises, de l’information et de la communication, de la santé et de l’assistance sociale, des loisirs, de l’électricité, de la gestion des eaux, de l’exploitation minière, de la construction et, enfin, de l’immobilier (Recensement 2012, Infocoop). Le soutien des différents gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays durant toute cette période, et ce malgré des orientations politiques divergentes, fait que le Costa Rica est de loin le pays d’Amérique central dans lequel ce secteur est le plus développé.

En ce qui concerne les coopératives scolaires et de jeunesse, qui sont la jonction entre la gestion d’une entreprise coopérative et l’éducation coopérative, en 2012 elles sont présentes dans 218 établissements (un chiffre qui ne cesse d’évoluer, puisqu’il en existait 183 en 2008), ce qui représente 26,492 élèves vivant l’expérience coopérative. Le mouvement coopératif ne fait pas que résister à l’appel du capitalisme et aux crises financières, il continue de se développer. Aucune statistique concernant l’enseignement coopératif n’existe officiellement, ce qui ne permet pas de faire une corrélation entre cette évolution stable et l’éducation coopérative. Il semble néanmoins évident qu’une approche coopérative, avec ses valeurs et ses principes, ne peut qu’être bénéfique pour les élèves et, de ce fait, pour la société costaricienne. Dans son article « La educación cooperativa como estrategia para el desarrollo de la participación y autogestión » [8], Javier Andrés Silva Díaz place l’éducation coopérative au centre des changements attendus de la société, à travers les principes et les valeurs coopératifs. Il estime que « l’éducation ne doit pas seulement être perçue comme un principe coopératif, mais comme la valeur la plus complète, importante et décisive du modèle coopératif. C’est à partir de l’éducation que les individus peuvent arriver à comprendre que la coopération est un outil efficace pour générer de meilleures conditions de vie et pour prospérer collectivement » [9].

De plus, l’approche entrepreneuriale de l’éducation coopérative, notamment à travers les coopératives scolaires et de jeunesse, forme la jeunesse du Costa Rica au fonctionnement de l’entreprise coopérative et la rend ainsi plus apte à défendre et à développer ce secteur.