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La loi n° 2005-882 du 2 août 2005 a autorisé le groupement d’employeurs (GE) à se constituer sous forme coopérative et non plus exclusivement sous forme d’association loi 1901. Cette loi permet à un GE de se constituer en société coopérative, mais aussi à un GE déjà constitué en association de se transformer en une telle société. Ce faisant, le législateur a très certainement souhaité développer ce dispositif « original » (Fadeuilhe, Joubert, 2015) et méconnu (Pache, Santos, 2013 ; Vaccaro, Palazzo, 2014) afin de le moderniser, tout en favorisant son essor et son utilisation pratique par les opérationnels. Pour autant, traditionnellement, le GE revêt majoritairement, trente ans après sa création et dix ans après l’ouverture de sa forme juridique, la forme associative. Plus de 99 % des GE sont constitués sous forme associative. Les acteurs du secteur s’accordent à dire qu’il y a environ 5 000 GE en France dont 3 800 agricoles. Il y aurait a priori, à ce jour, 24 GE sous la forme de Scic [1]. Le recours à la forme coopérative n’est donc pas encore complètement entré dans les pratiques du GE.

Dans le cadre d’une précédente contribution, les auteurs ont exploré l’intérêt et le devenir du GE constitué sous la forme Scop, société coopérative de production [2]. Ils proposent cette fois d’appréhender la conjugaison GE et Scic afin d’en mesurer l’opportunité, puisque, sur les 525 Scic recensées sur le territoire français à ce jour, 24 ont une activité de GE [3]. Cette contribution est la première à explorer le GE sous forme Scic, et plus particulièrement l’option entre l’habit « GE associatif » et « GE-Scic. » Les auteurs n’ont pas recensé d’articles – juridiques ou, plus largement, en sciences de gestion – dédiés à cette acculturation [4]. L’analyse du GE-Scic repose donc sur la littérature propre aux deux notions et s’appuie conjointement sur l’expertise d’un gérant de plusieurs Scic et spécialiste du GE, Cédric Ruellan, et sur la consultation des acteurs institutionnels et praticiens des secteurs Scic et GE. Sur cette base, et avec un prisme juridique, les auteurs formuleront des propositions en articulant la présente contribution autour de trois axes. Le premier dresse un panorama historique de l’évolution de la forme juridique du GE. Le deuxième met en exergue la philosophie et les valeurs communes à la Scic et au GE. Enfin, les auteurs s’interrogeront sur l’avenir du GE-Scic.

Panorama historique de la forme juridique d’un GE : de l’association à la société coopérative

Le législateur des années 80 n’envisage qu’une seule forme juridique pour les GE : l’association. Le GE ainsi constitué obéit donc aux règles de fonctionnement classiques de n’importe quelle association. Ainsi les entreprises adhérentes élisent-elles les membres du conseil d’administration du groupement. Les adhérents sont les usagers du GE, et seuls les établissements bénéficiaires peuvent être adhérents. Pour l’entreprise, le coût tient compte de l’adhésion sous forme de droit d’entrée ou de cotisation annuelle de l’association. Il inclut également la garantie sous forme, par exemple, de caution bancaire et la facture mensuelle de mise à disposition (Joubert, 2012). Dans le GE, les entreprises supportent, chacune d’entre elles, les frais salariaux en proportion de l’utilisation de la main - d’oeuvre, avec des frais de gestion réduits au minimum (ministère du Travail, 2015). Notons enfin que le législateur a prévu que les employeurs adhérents partagent la responsabilité des dettes sociales du groupement [5] et sont responsables des conditions de travail du personnel mis à disposition. La figure 1 permet de visualiser la structure et les parties prenantes d’un GE-association afin de mieux le comparer ensuite au GE-Scic (voir figure 2 en page suivante).

Figure 1

La structure juridique d’un GE-association

La structure juridique d’un GE-association

* Les adhérents peuvent être des personnes physiques ou morales de droit privé et de droit public : des collectivités territoriales et leurs établissements publics (article L.1253-19 du Code du travail).

** La quasi-totalité des administrateurs et des présidents de GE exercent leurs fonctions gratuitement, même s’il est désormais admis une rémunération de trois quarts du Smic maximum si le GE a plus de 200 000 euros de chiffre d’affaires.

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Si le GE est historiquement une association, il peut, depuis dix ans, se constituer sous la forme d’une société coopérative, notamment Scic. Présentée comme une coopérative spéciale par le législateur en 2001 [6], la Scic se singularise des autres formes coopératives par deux aspects fondamentaux. Le premier tient à une composition atypique : le « multi-sociétariat ». La Scic associe obligatoirement, autour d’un projet commun, plusieurs « parties prenantes » (Freeman, Reed, 1983), de nature distincte : les salariés, les bénéficiaires, les bénévoles, les collectivités publiques, les personnes intéressées (cette dernière catégorie comprenant notamment les investisseurs), avec une particularité bien spécifique puisque le législateur prévoit qu’elle doit impérativement se composer d’au moins trois des cinq catégories précitées, dont les salariés (ou, à défaut de salariés, les producteurs du bien ou du service vendu par la Scic), les bénéficiaires et une tierce personne [7]. La Scic a nécessairement une structuration au moins tripartite.

Le second aspect particulier de la Scic tient à son objet atypique. La Scic a pour « objet la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale » (Sibille, 2012) et relève à ce titre des entreprises à but social (Margado, 2002). Elle se distingue des autres coopératives et « apparaît ainsi comme un “hybride” entre association et coopérative […] » (Sibille, 2012). En réalité, « la Scic entend faire le pont entre les mondes coopératif et associatif : coopérative dans sa structure et dans ses mécanismes de fonctionnement, elle se rapproche par son objet des associations puisqu’elle ne se définit pas par la recherche de la satisfaction des besoins de ses membres » (Hiez, 2013). En ce sens, la Scic, dans sa philosophie, se rapproche incontestablement du GE, puisqu’il est un groupement à but non lucratif, sauf dans l’hypothèse où la Scic a une seconde activité en plus de celle de GE, possibilité ouverte depuis la loi du 2 août 2005. La figure 2 permet de visualiser la structure d’un GE-Scic et de la comparer à celle du GE-association (voir la figure 1).

Figure 2

La structure juridique d’un GE-Scic

La structure juridique d’un GE-Scic

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Selon nous, il n’est pas étonnant que le législateur ait décidé d’ouvrir la forme juridique du GE à la forme coopérative, en sus de la forme associative. La loi du 17 juillet 2001 précitée portant création de la Scic [8] a en effet été conçue, pour certains, comme « l’aboutissement de réflexions itératives invitant à une refonte de l’association » (Azarian, 2002) [9]. Il est par ailleurs fondamental que le GE puisse se glisser, en fonction des impératifs et desiderata de ses membres et de son secteur d’activité, dans l’habit juridique le plus approprié, et cela au cas par cas.

En effet, comme le souligne M. Margado, « la Scic ne remplace pas l’association, elle va s’adapter à un projet qui va comprendre un multisociétariat. C’est donc juste une forme qui permet d’avoir une gouvernance plus large, là où le GE-association ne peut fédérer que des entreprises adhérentes/membres. Tous les GE n’ont pas intérêt à passer en Scic quand ils n’ont pas la conviction que c’est bon pour eux. Et ils n’auront cette conviction que s’ils souhaitent partager la gouvernance avec d’autres membres » (interview du 26 janvier 16). Afin d’expliciter notre propos, nous dresserons une synthèse (voir les tableaux 1 et 2 en pages suivantes) des caractéristiques communes et distinctives de ces deux versions désormais utilisables du GE.

Le choix législatif consistant à donner au GE la faculté de se constituer en Scic s’inscrit par ailleurs, selon nous, dans une évolution naturelle, GE et Scic procédant effectivement tous deux d’une philosophie et de valeurs communes.

La Scic et le GE : une philosophie et des valeurs communes

La comparaison de la définition et du fonctionnement d’un GE avec ceux d’une Scic nous a conduits à identifier plusieurs points de connexion, nous permettant de formuler notre première proposition : les deux dispositifs partagent des valeurs similaires et, plus largement, une philosophie commune.

Relevant tous deux de l’économie sociale et solidaire (ESS), les GE et les Scic ont tous deux pour philosophie de proposer une alternative aux fonctionnements capitalistiques classiques. La philosophie d’un GE, d’abord, consiste à vouloir pérenniser à la fois l’emploi et le dynamisme économique sur un territoire (Delalande, Buannic, 2010). La doctrine juridique (Casaux-Labrunée, 2012 ; Dalichoux, Fadeuilhe 2007 ; Teyssié, 1986 ; Fieschi-Vivet, 1986) estime que les GE constituent ainsi un outil de sécurisation des parcours professionnels, destiné à satisfaire les besoins d’emploi limités des petites entreprises, tout en assurant une stabilité d’emploi aux salariés embauchés par ces groupements. Le GE est perçu comme une « partie des réponses pour un nouveau pacte social au service de l’économie et du social […] » (Joubert, 2012). C’est un outil performant de la « flexisécurité » : sécurité pour les salariés et flexibilité pour les entreprises. Et, selon nous, la forme juridique du GE (association ou Scic) ne change rien à la gestion du volet de l’emploi.

Quant à la philosophie d’une Scic, elle procède d’une réelle volonté de remettre en question le fonctionnement du groupement sociétaire classique par l’application des principes coopératifs et d’un sociétariat élargi, répondant à un intérêt collectif et au critère d’utilité sociale (Manoury, Burrini, 2001). En tant que coopérative et, partant, « entreprise non capitaliste » (Jeantin, 1981), elle est « à mi-chemin entre la société et l’association » (Cozian et al., 2015). Elle est une forme sociétaire largement inspirée par les principes singularisant le secteur coopératif [10].

Selon nous, les deux modèles, en tant qu’alternative économique, procèdent donc du même changement de paradigme. A ce titre, le GE et la Scic partagent des valeurs communes. Nous en avons dénombré cinq.

Tableau 1

Les caractéristiques communes au GE-Scic et GE-association

Les caractéristiques communes au GE-Scic et GE-association

* Les excédents de gestion sont soumis à l’IS.

** Exception : le GE n’est pas soumis à la TVA si aucun des membres du GE n’y est soumis.

*** Au moins 57,5 % des excédents sont obligatoirement mis en réserve impartageables. Chaque Scic peut décider de mettre 100 % des excédents dans les réserves (indiqué dans les statuts de la Scic). Les sommes affectées aux réserves impartageables ne sont pas soumises à l’impôt sur les sociétés (entretien J. Huet).

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Tableau 2

Les caractéristiques différentielles du GE-Scic et du GE-association

Les caractéristiques différentielles du GE-Scic et du GE-association

* Dans une société coopérative qui peut avoir d’autres activités, une comptabilité analytique devra prouver la non lucrativité de la fonction GE au milieu des autres activités (Margado, interview 2016).

** Entretien J. Huet (2016). A. Margado ajoute que les dividendes ne sont pas possibles à partir du solde des excédents distribuables après dotation aux réserves impartageables (réserve légale 15 % plus réserve statutaire égale à au moins 50 % du solde après les 15 % de la réserve légale) et une fois défalquées de ce solde (donc maximum 42,5 % du résultat) les éventuelles aides perçues en cours d’exercice par la coopérative. En tout état de cause, les intérêts versés aux parts sociales ne peuvent dépasser le TMO (Margado, 2016).

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La mutualisation

L’originalité du GE est la mutualisation, la sécurisation de l’emploi sur un territoire donné, dans l’intérêt commun d’entreprises solidaires qui n’ont, certes, qu’un temps de travail incomplet (mais régulier) à offrir, mais ont besoin de salariés fidélisés et compétents qui pourront bénéficier, grâce à cette solidarité (Fadeuilhe, 2012) et bien que travaillant au service de plusieurs, d’une certaine stabilité d’emploi (Casaux-Labrunée, 2012).

La Scic, quant à elle, inscrit son projet dans une forte logique territoriale en s’appuyant sur une grande diversité d’acteurs qui vont concourir à sa réussite en unissant leurs forces et leurs diversités : secteur public, entreprises, salariés, etc. En ce sens, la Scic nous semble mutualiser les bonnes volontés de ses parties prenantes, ainsi que leurs compétences respectives aux fins de mener le projet commun à bien. Sous cet angle, la frontière entre mutualisation et coopération est, à l’observation, très ténue.

La coopération

Dans le GE, la coopération se manifeste par les services de gestion « RH » auprès des utilisateurs. Elle se manifeste encore par la solidarité financière. Les membres d’un GE sont solidairement responsables de ses dettes, aussi bien à l’égard des salariés que des organismes créanciers des cotisations obligatoires. La coopération se manifeste enfin au niveau du fonctionnement d’un GE, puisque « la clé de réussite d’un GE passe principalement par la direction : les présidents, dirigeants, responsables des ressources humaines, directeurs de production vont devoir se mettre autour de la table et déterminer des principes de fonctionnement durables et partagés par tous : statuts, règlements intérieurs, conventions et contrat de mise à disposition, contrat de travail… » (Joubert 2012).

Dans une Scic, la coopération se manifeste par sa structuration multipartite. Les différents coopérateurs s’engagent intrinsèquement à oeuvrer de concert pour le projet commun (Manoury, 2001). La participation active et engagée des acteurs locaux et des membres de la Scic est une finalité (Margado, 2005). Elle implique de facto que le multisociétariat soit particulièrement « bien géré ». L’objectif d’utilité sociale de la Scic le sous-tend également (Margado, 2005).

Le facteur humain

Pour le GE, l’importance est donnée à la formation des salariés. Les salariés de GE enrichissent leurs connaissances et leurs compétences du fait de la diversité des tâches accomplies au sein des entreprises adhérentes du groupement. Le GE assure le suivi et veille à l’évolution des salariés, en fonction de leurs compétences et de leurs attentes. De son côté, le salarié développe son « employabilité » par la polycompétence (Joubert, 2012).

Dans une Scic, le facteur humain est également au coeur des préoccupations, puisque la priorité n’est pas donnée au capital, mais à l’homme, à l’associé-coopérateur. Dans toute Scic, il existe la règle selon laquelle « Un homme égale une voix » au sein des assemblées générales. Autrement dit, le coopérateur ne vote pas à proportion de la part qu’il détient dans le capital social, contrairement au mécanisme sociétaire classique. L’égalité politique entre les membres et, plus largement, la démocratie sont donc assurées, donnant ainsi la priorité à l’homme et non au capital.

L’ancrage local fort

Le GE est un moyen efficace de fixer la main-d’oeuvre dans un bassin d’emploi, notamment en zone rurale. Cet ancrage local fort se manifeste notamment par le fait que les collectivités territoriales peuvent désormais adhérer à un GE, quelle que soit sa forme juridique. Le GE s’associe également aux organismes publics comme Pôle Emploi ou encore aux missions locales, dans le but de promouvoir l’emploi et de lutter contre le chômage. Sans oublier les aides locales à la création de GE.

A l’instar du GE, la Scic présente un ancrage local très fort de par sa seule structuration multipartite « voulue en résonance avec son environnement » et sa finalité « extravertie » (Manoury, 2001), puisqu’elle peut associer notamment les collectivités locales (Larpin, 2015) [11] au projet commun [12]. En effet, « près de la moitié des quelques 400 Scic compterait au moins une collectivité dans son capital » [13]. Cette montée en puissance des coopératives auprès des collectivités publiques est également constatée par Alix Margado [14]. La loi relative à l’ESS, elle, a précisé et modernisé le statut des Scic en lui permettant de recouvrir la forme SAS et en élargissant la catégorie (obligatoire) des salariés à des « producteurs de biens ou de services » de la coopérative. Elle autorise surtout une participation renforcée des collectivités locales dans leur capital (jusqu’à 50 %) [15].

Une vision long-termiste

La philosophie d’un GE implique une telle vision. La lutte contre le chômage et la précarisation ne peut se construire que sur une longue période. Sur un territoire donné, les acteurs du GE doivent donc déployer tout leur dynamisme et leur force de persuasion pour réunir les entreprises autour de leur projet : « Ce qui est long dans un GE, c’est la constitution des maillages entre PME pour partager des emplois surtout lorsqu’ils sont qualifiés » (Ruellan, entretien 2015). La formation des salariés mis à disposition requiert également du temps.

Quant à la Scic, le rôle des parties prenantes et notamment le partenariat avec les collectivités territoriales ne peuvent, eux aussi, que s’inscrire dans la durée. Les territoires peuvent ainsi, dans un contexte porteur pour l’économie sociale et solidaire, inventer une nouvelle économie locale face à la mondialisation (Sibille, 2012).

Force est donc de constater les nombreux points de connexité entre GE et Scic, expliquant que le législateur ait permis au premier de revêtir ce « manteau » juridique. Reste à déterminer si en pratique, et à l’avenir, cette forme juridique permettra aux GE de se déployer.

Prospective : quel est l’avenir du GE-Scic ?

Une étude exploratoire a été menée auprès de plusieurs GE situés en Champagne-Ardenne, d’un GE-Scic dans le Sud-Est et d’une Scic parisienne qui a recours à l’activité de GE.

Méthodologie de l’étude et résultat

Plusieurs entretiens qualitatifs ont été menés auprès de GE-associations de la région Champagne-Ardenne dans le cadre du projet « Innovation sociale et groupements d’employeurs » [16] financé par la région Champagne-Ardenne. Dans le questionnaire permettant d’identifier les groupements de cette région [17], une question était consacrée à leur forme juridique. En très grande majorité, la réponse a été : la forme associative. Lorsque la question leur était posée d’une éventuelle transformation en société coopérative, notamment Scic, certains nous ont avoué ne pas connaître cette forme, mais se sont montrés curieux la concernant. Aucun, néanmoins, n’envisageait une telle transformation à moyen terme. Notons toutefois qu’un groupement dans l’Aube est revenu vers nous pour obtenir de plus amples précisions sur la Scic, nous informant de son projet de création d’un GEIQ [18] peut-être sous la forme coopérative.

Dans notre recherche exploratoire, nous avons retenu trois groupements, qui permettent d’illustrer les facettes de la « conjugaison » entre GE et Scic.

Les exemples retenus (encadrés 1, 2 et 3) nous permettent de poser notre seconde proposition : la Scic peut faire rayonner l’activité de GE.

Selon nous, en effet, le GE « sous forme de Scic va très probablement se développer, car il correspond mieux aux attentes des entreprises en termes de gouvernance, de partage des responsabilités, sans oublier l’avantage fiscal que constituent les réserves impartageables déductibles du résultat soumis à l’IS ». Il est vrai que l’aspect coopératif présente l’atout de fédérer davantage les entreprises autour du projet et permet d’être plus crédible aux yeux des interlocuteurs, notamment auprès de futurs financeurs ou autres partenaires. En effet, « dans une Scic-GE, le fait d’avoir du capital protège mieux qu’une association caractérisée par une adhésion annuelle et marque aussi un engagement plus fort du coopérateur, ne serait-ce que financier, car une part sociale est bien souvent beaucoup plus chère qu’une simple adhésion » (Ruellan). Il existe par ailleurs des financements en Scic auxquels les GE associatifs ne peuvent accéder, du fait de leur structuration [19].

En outre, le « vêtement » Scic présente, en sus des avantages déjà mis en exergue dans cette étude, un atout particulièrement déterminant par rapport au GE-association : celui de la gouvernance. Par retour d’expérience, nous avons pu constater qu’en GE-Scic le problème inhérent à la structuration des grosses associations, dans lesquelles les présidents délèguent tout ou presque à leur directeur (parfois même en dehors de toute délégation de pouvoir), disparaît : le gérant ou président dispose alors d’une rémunération fixée statutairement par les coopérateurs et ne nécessite pas un échelon supérieur – comme un directeur de GE, par exemple. Cette forme juridique présente donc l’avantage de clarifier la structuration de l’entité et, in fine, sa gouvernance. En effet, si le gérant de la Scic ne donne pas satisfaction, il sera alors révoqué ad nutum, alors que les directeurs de GE partent souvent après d’interminables procédures prud’homales pouvant nuire à la santé financière du groupement. Nous avons pu constater ce schéma « direct » dans la gouvernance des 3 800 GE agricoles au sein desquels le président fait tout lui-même… et bénévolement.

Cette analyse est également partagée par M. Orsi (2015), pour qui les exigences d’une Scic (intérêt collectif et utilité sociale) ne posent aucun problème au fonctionnement d’un GE. Il précise encore que, « par rapport à une coopérative “de base”, la Scic-GE peut mixer les profils et donc décliner dans ses statuts la manière dont elle veut monter son projet ; c’est un petit peu l’image qu’elle va donner vis-à-vis de l’extérieur de la manière dont elle a choisi d’organiser son activité » [20]. De même, selon nous, la suppression de l’agrément préfectoral pour les Scic va très certainement faciliter la constitution des GE sous cette forme coopérative, même si l’idée n’est pas forcément partagée par M. Margado.

On peut toutefois regretter que le processus de « mutation » ne soit pas simplifié et allégé : les transformations d’association-GE en Scic-GE sont longues et en dissuadent plus d’un [21]. En outre, il est nécessaire de rappeler qu’en cas de transformation d’une association en Scic les réserves et les fonds associatifs constitués antérieurement à la transformation ne sont pas distribuables aux sociétaires ou incorporables au capital de la future Scic. L’association a un patrimoine collectif inappropriable par quiconque. Ce qui était propriété collective dans l’association doit le rester dans la coopérative (Margado, entretien 2016). Mais les fonds associatifs deviennent les réserves impartageables de la Scic (Huet). Par conséquent, la coopérative – que les associés créent et dont ils vont bénéficier – récupère l’intégralité des actifs de l’association, ce qui peut constituer un matelas confortable dès le démarrage, que n’ont pas les autres sociétés quand elles se créent ex nihilo. Aussi les associés du GE-Scic doivent-ils fournir un apport personnel, même modeste en capital. Cet acte important marque l’engagement volontaire des associés et la prise de risque personnelle de la part des créateurs de la société, comme tout investisseur dans toute société (Margado, entretien 2016).

De même, il convient d’insister sur le fait que la réussite d’un GE tient moins à sa forme juridique qu’à la pertinence de son projet. Ainsi, monter un GE multisectoriel dans un bassin d’emploi très touché par le chômage et sans logique de niche n’a guère de chance de réussir. De même, la création d’un GEIQ dans le bâtiment (il en existe plus de cinquante en France, d’après notre estimation) semble peu pertinente dans la mesure où, ces dernières années, les entreprises de ce secteur ont dû licencier, du fait de carnets de commandes vides. Ainsi, la réussite du GE-Scic TLA s’explique par le fait qu’il ne concernait que le secteur de la logistique, dans lequel les besoins d’alternative à l’intérim sont très grands et le marché du travail soutenu.

Conclusion

En dépit des limites de la présente contribution, tenant à la difficulté d’obtenir des chiffres exacts sur le GE-Scic ou des retours d’expériences des différentes parties prenantes, il est malgré tout possible d’affirmer, à l’issue de cette recherche, que le GE-Scic présente un fort potentiel de développement pour deux raisons.

La première tient au GE lui-même : il constitue un véritable outil de changement de paradigme en termes d’emploi et répond de façon pertinente à des besoins sociaux, surtout dans un contexte post-crise, avec un taux de chômage important. Le gouvernement semble d’ailleurs vouloir le promouvoir : le Premier ministre, Manuel Valls, dans son « Small Business Act » en faveur de l’emploi dans les TPE-PME, a ainsi consacré, parmi les dix-huit mesures présentées, une mesure (la douzième) destinée à « faciliter le recours au groupement d’employeurs et autres formes de tiers employeurs ».

La deuxième raison tient aux réponses que peut apporter la Scic dans certaines situations. On assiste en 2016 à une véritable montée en puissance de ce type d’entreprises. Ainsi Patrick Lenancker, président de la Confédération générale des Scop, précisait-il, lors de l’Agora des Scic du 4 février 2016, qu’elle répond à la recherche de nouveaux modèles de développement durables dans le cadre d’une période de profonde mutation où l’économie classique est, en quelque sorte, « à bout de souffle ». Il devient dès lors nécessaire, au moins dans certains secteurs, de trouver des solutions basées sur la pluri-participation et le collectif. La loi ESS a d’ailleurs apporté des éléments intéressants d’amélioration pour les Scic, en créant un modèle de plus en plus qualitatif, avec notamment la possibilité de créer une Scic sous forme de société par actions simplifiée (SAS), permettant une plus grande liberté organisationnelle en termes de gouvernance.

La combinaison GE-Scic constitue donc bien, selon nous, un habit juridique cohérent et fortement prometteur en tant que double levier de promotion respective des GE et des Scic, lesquels connaissent tous deux un déficit de reconnaissance et d’observation par le chercheur. Nous avons démontré que la forme Scic ne constitue pas en tant que tel un moyen de promotion du GE (l’association pouvant tout à fait convenir à une activité de GE), mais que la multiplication des Scic et surtout leur promotion permettraient, à terme, aux GE de trouver un terreau fertile aux fins de développement, celui-ci venant la plupart du temps, en pratique, s’ajouter à l’activité pré-existante d’une Scic. Reste toutefois à faire la promotion du GE-Scic, laquelle ne pourra être efficace qu’à la condition que les acteurs institutionnels concernés, ceux des GE comme des Scic, s’emparent du sujet et s’allient pour promouvoir réciproquement les deux statuts juridiques. Nous ne pouvons que recommander, à ce stade de notre étude, l’élaboration d’un observatoire national de cette dynamique interactive GE-Scic ainsi que de campagnes explicatives sur le sujet [22] aux fins de pouvoir mesurer, par des recensements et des données chiffrées, l’évolution de cette forme juridique.

Nous conclurons cette étude en reprenant la formule de Bénédicte Zimmerman : « Le GE constitue un défi fantastique au droit : il met les juristes devant le défi d’inventer des formules nouvelles […]. Il y a un effort d’inventivité à faire parce qu’au départ c’est une innovation sociale et économique, mais il faut que le droit puisse accompagner cette innovation et il ne faut pas rester dans la recherche de recettes existantes [23]. »