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Rémunération en coopératives agricoles : les dessous du débat[Record]

  • Maryline Filippi

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  • Maryline Filippi
    Université de Bordeaux – Bordeaux Sciences Agro, UMR SAD-APT
    Université de Paris-Saclay, AgroParisTech

« Les coopératives payent moins que les sociétés de droit commercial. » Ce reproche, adressé sur fond de crises des filières alimentaires françaises, questionne les raisons d’un prix payé par les coopératives à leurs associés coopérateurs moins rémunérateur que celui versé par les entreprises de droit commercial. Devrait-il toujours être supérieur et pourquoi ? Dès lors, si cela n’était pas le cas, quel serait l’intérêt de maintenir ce modèle d’entreprise particulier, suspicieux en raison de sa propriété capitalistique, non soumis à l’impôt sur les sociétés ? Ces interrogations soulèvent donc une question essentielle à l’essence du modèle coopératif. Examinons ce questionnement au regard des principes et du fonctionnement des coopératives agricoles. De quoi la rémunération des produits en coopérative est-elle le signe ? La propriété capitalistique d’une coopérative repose sur la détention par des associés coopérateurs de l’ensemble des parts de capital social de celle-ci en relation avec un engagement sur apport. Autrement dit : chaque associé détient du capital au prorata de l’activité réalisée par sa coopérative. Cette part de capital social lui donne droit à un « intérêt aux parts », fixé statutairement à 1,80 %. Cet intérêt aux parts est donc différent d’un intérêt d’une action, dont le taux varie en fonction des évolutions du marché boursier. La détention de capital donne également à l’associé un droit de vote qui, à la différence de celui octroyé par l’actionnariat, repose sur le principe « Une personne égale une voix », distinct de celui « Une action égale une voix » (Hansmann, 1996). Ainsi, ce qui différencie fondamentalement la propriété capitalistique en coopérative de celle en droit commercial tient à : l’engagement sur activité obligatoire pour souscrire et détenir des parts de capital social ; la rémunération fixe de la part sociale ; l’expression démocratique où tous ont le même poids dans la prise de décision, quels que soient leur niveau d’engagement sur activité et le montant de capital détenu (Chomel et al., 2013). Autrement dit, selon la définition du Code rural, les coopératives ont une propriété capitalistique dont les associés sont engagés sur activités, sont solidaires et décident collectivement de la stratégie productive, commerciale, mais également financière. Chaque année, lors de leur assemblée générale, et sur proposition du conseil d’administration, les associés coopérateurs votent ainsi la répartition des excédents de gestion de l’exercice annuel réalisé (i.e. du bénéfice), entre une distribution à tous au prorata des activités réalisées et une mise en réserve de tout ou partie au profit de la coopérative. Cette mise en réserve est essentielle, car elle vient en consolidation des fonds propres qui sont considérés comme structurellement faibles en coopérative (en raison de la faible contribution des membres). Elle revêt un caractère particulier : une fois ajoutée à ces fonds propres, cette mise en réserve ne pourra plus être repartagée entre tous, sauf en cas de liquidation ou de dévolution de la société. La mise en réserve abonde en effet les réserves dites impartageables, qui constituent une ressource « collective » à transmettre aux générations futures ; en conséquence, elle ne sera pas intégrée au capital social récupéré par l’associé coopérateur lors de son départ de la coopérative. Cela explique l’expression de la coopérative comme outil transgénérationnel. On comprend aisément qu’en temps de crise économique arbitrer pour céder une partie des excédents d’exploitation à la « coopérative », au détriment de sa propre rémunération, puisse questionner les associés coopérateurs sur le bien-fondé et la nécessité d’un tel dessaisissement. Si la coopérative fait un bénéfice, pourquoi ne pas tout redistribuer aux associés coopérateurs ? En outre, au fil du temps, sous l’effet de …

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