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Les ouvrages issus de recherches de terrain ont parfois de grandes difficultés à armer leur lecteur d’outils de réflexion à la fois stimulants pour la compréhension, grâce une analyse théorique et conceptuelle, et  susceptibles d’être féconds pour l’action en suggérant des évolutions dans les pratiques concrètes. La gouvernance entre diversité et normalisation semble pourtant y parvenir. Nul doute que cette performance soit à inscrire à l’actif de Philippe Eynaud, maître de conférences en sciences de gestion au sein de l’Institut d’administration des entreprises de Paris. L’implication de ce directeur d’ouvrage est manifeste. S’il écrit seul le premier et le dernier chapitre introduisant la présentation des recherches et dégageant à partir d’elles des perspectives plus générales, il participe également à l’écriture collective de six des douze autres chapitres que compte le livre.

Cette fonction de cheville ouvrière assure une cohérence, maintenue tout au long de l’ouvrage, autour d’un mot-clé : la gouvernance des associations, en évitant de ramener la réflexion à une dimension singulière et fragmentée ou à un seul champ disciplinaire. La qualité du livre tient en effet à son pluralisme assumé. Dans les différents chapitres prennent ainsi la plume, non seulement des chercheurs académiques, parfois reconnus, de champs disciplinaires variés (gestion, économie, sciences politiques, droit), mais également des acteurs de terrain et des professionnels engagés à des titres divers dans les différents terrains d’observation. Qu’il soit permis de regretter l’impossibilité pour le lecteur d’identifier facilement la diversité des auteurs. Ceux-ci ne sont présentés ni au début ni à la fin de l’ouvrage, et n’apparaissent pas dans le sommaire qui, seul, permet de se repérer rapidement dans le livre. Cette invisibilité ne facilite ni l’appropriation de l’ouvrage par le lecteur ni la commodité de son utilisation.

Le mélange des discours, la multiplication des points de vue et la diversité des terrains auraient pu conduire à un patchwork décousu. Il n’en n’est rien, grâce à une ligne éditoriale bien structurée. Dans la seconde partie, essentiellement empirique, le lecteur va passer de la conception pas à pas d’une architecture coopérative rapprochant les oeuvres sanitaires et sociales de trois congrégations à la construction d’un réseau régional dans le domaine de l’agrobiologie, en suivant le détour d’un développement d’activités artistiques et culturelles en zone urbaine ou en plongeant dans les aventures tumultueuses d’un cirque associatif puis coopératif, ou dans les tribulations plus prudentes d’établissements médico-sociaux sur le chemin de la mutualisation, avant de découvrir les formes souples et innovantes de la construction d’une parole collective ou les pratiques sociales inspirées par la sociocratie.

En toile de fond, la loi sur l’ESS

L’éclectisme des terrains reflète la diversité associative, mais, loin d’être une source de dispersion, crée un effet de renforcement pour la compréhension des enjeux dans la mesure où la préoccupation centrale des auteurs demeure, au coeur de différentes situations, l’analyse de la gouvernance de l’action collective. Le dépaysement provoqué par des terrains souvent éloignés de l’expérience habituelle du lecteur peut faciliter la transposition des solutions imaginées dans d’autres domaines d’action, en déjouant les pièges parfois tendus par des idées familières trop vite préconçues.

L’ouvrage s’inscrit enfin dans l’actualité : la loi sur l’économie sociale et solidaire est en toile de fond. Les problématiques soulevées en matière de gouvernance dépassent alors les questions relatives à la gouvernance des associations. Elles entrent en résonance avec les préoccupations qui apparaissent aujourd’hui au sein des mutuelles, au coeur des pratiques coopératives ou dans les orientations sociétales des fondations. La question émergente des communs est examinée dans un chapitre écrit à quatre mains, par Marthe Nyssens et Francesca Petrella, qui lui est entièrement consacré. Les voies ouvertes pour un renouvellement de l’exercice de la démocratie dans nos pays développés sont évoquées par Anna Salmon et Jean-Louis Laville, éveillant l’intérêt justifié des auteurs de la préface à quatre voix, écrite par les responsables du mouvement associatif et de la Fonda.

Bref, alors que l’époque est à l’invasion de la culture gestionnaire, cet ouvrage manifeste délibérément une volonté de promouvoir les outils d’une action collective visant l’efficience et ne cherchant nullement à fuir ses responsabilités en matière de « redevabilité » vis-à-vis de la collectivité (accountability) mais libérée du carcan et des risques du managérialisme. Acteurs militants, professionnels impliqués, étudiants en sciences sociales ou en travail social, mais aussi simples citoyens soucieux de notre avenir collectif trouveront dans cette lecture matière à réflexion pour comprendre comme pour agir.