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Les associations ont particulièrement été touchées par le mouvement de concentration et les formes diverses de regroupement, mutualisation ou encore rapprochement qui ont affecté l’économie sociale et solidaire (ESS). Si ce mouvement de concentration n’est pas nouveau (cf. notamment Addes, 2012 ; Nogues, 2012), y compris dans des formes structurées (unions ou fédération d’associations, groupements d’achat, partage de personnels sous forme de mise à disposition…), il semble s’intensifier sur les différents territoires. Notre analyse porte sur les associations du secteur social et médico-social qui s’adressent à un public fragile (handicapé, âgé ou en situation d’exclusion). Les données de Recherches et Solidarités (2015) montrent que la croissance du nombre d’établissements non lucratifs employeurs, continue et régulière dans ce secteur entre 2000 et 2010, s’est considérablement ralentie depuis. De leur dernière enquête de conjoncture sur le secteur (2013), on retient que les associations de ce secteur sont plus engagées que les autres dans des conventions de coopération ou dans des groupements (Marival et al., 2015).

Nous nous intéressons ici plus largement à toutes les formes de coopération mises en oeuvre entre ces associations : de collectifs « de fait » jusqu’à des opérations de fusions, en passant par la signature de conventions de partenariat ou la création de structures juridiques ad hoc (telles les GCSMS). Par coopération, nous entendons toute forme de rapprochement, de partenariat ou de mutualisation des personnes ou des ressources entre associations en vue d’en tirer un bénéfice mutuel. Ces coopérations sont souvent impulsées par les pouvoirs publics au regard d’arguments économiques tels que les économies d’échelle. Elles s’inscrivent dans un mouvement de transformation de l’action publique marqué par une volonté de rationalisation et de maîtrise des dépenses, dans le droit fil du « New Public Management » (Ferlie, 1997). Ces coopérations, en favorisant la concentration, sont susceptibles de transformer radicalement le paysage associatif français, en particulier par la fragilisation, voire la disparition, des associations de petite taille, souvent « mono-établissement ». Elles peuvent induire des processus de « normalisation » des pratiques et d’isomorphisme institutionnel, caractérisant le fait que les associations, dans un environnement concurrentiel, et confrontées à de nouvelles exigences d’efficacité et de rentabilité issues du modèle de l’entreprise, adoptent des pratiques identiques à celles du secteur privé lucratif et perdent leurs spécificités (DiMaggio, Powell, 1983).

Dans cet article, nous caractérisons l’impact des restructurations actuelles sur le paysage associatif, en particulier sur les positionnements et projets associatifs. Nous nous interrogeons sur les conséquences de ce mouvement de concentration des associations sur leur dimension politique et sur le fonctionnement démocratique qui les caractérise. Alors que la réduction des marges de manoeuvre associatives est souvent mise en avant par les acteurs et travaux universitaires, nous montrons que, paradoxalement, ces démarches contribuent à redynamiser et réaffirmer la dimension sociopolitique des associations.

Cette réflexion s’appuie sur les résultats d’une étude qualitative conduite par le Lest en 2014 et pilotée par l’Uriopss [1] Languedoc-Roussillon (LR), en partenariat avec l’Uriopss Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse (Pacac), et financée par le Fond national de développement de la vie associative (Marival et al., 2015).

Dans la première partie de cet article, nous caractérisons deux visions du processus de coopération : l’une centrée sur la performance, l’autre sur le changement institutionnel. Le terrain fait l’objet de la seconde partie. Enfin, nous présentons nos résultats relatifs aux effets des processus de coopération sur la dimension sociopolitique des associations.

La coopération interassociative comme outil de restructuration ?

Les associations du secteur social et médico-social font face à de profondes mutations de leur environnement institutionnel. Dans une perspective néo-institutionnaliste, les transformations du contexte institutionnel pourraient renforcer les contraintes des associations en influençant directement leurs stratégies et capacités d’action dans le sens d’une réduction de leurs marges de manoeuvre. Selon DiMaggio et Powell (1997), en effet, l’environnement institutionnel influence le comportement des organisations. Il agit sur les organisations en tant qu’il les pénètre « en créant les prismes à travers lesquels les acteurs perçoivent le monde et les catégories mêmes de structure, d’action et de pensée ». Pour le dire autrement, sous l’influence du contexte, et pour conserver leur légitimité, les organisations sont susceptibles d’adopter les mêmes comportements que leurs concurrentes, celles du secteur privé lucratif, ou que celles du secteur public avec lequel elles interagissent, et abandonner ainsi leurs spécificités associatives. C’est le processus que DiMaggio et Powel qualifient d’isomorphisme institutionnel. Cet isomorphisme peut prendre trois formes. L’isomorphisme mimétique caractérise les organisations qui évoluent, dans un contexte d’incertitude et de rationalité limitée, en référence à un standard auquel elles vont tenter de se conformer pour maintenir ou renforcer leur légitimité. L’isomorphisme normatif signale quant à lui le développement de règles et de normes qui s’imposent à l’organisation et qui vont contribuer à transformer ses pratiques et ses comportements. Il peut être le fait d’un processus de professionnalisation ou de l’imposition de normes de gestion. Enfin, l’isomorphisme coercitif résulte de la pression exercée par l’environnement, et notamment par l’Etat à travers les financements publics, pour contraindre les organisations à adopter les comportements jugés les plus efficaces. Cette approche en termes d’isomorphisme tend à présupposer la réduction de la diversité des modèles d’organisations et l’adoption de comportements, de stratégies et de pratiques liés à un modèle dominant. Appliqué aux organisations de l’ESS, ce cadre théorique conduit à supposer l’affaiblissement du modèle associatif.

Le poids de la régulation publique

C’est dans cette perspective que l’on peut aborder l’influence que peut avoir la généralisation d’une culture de « New Public Management » (NPM) dans les organisations publiques et sa diffusion auprès des acteurs avec lesquels elles interagissent. Cette diffusion du NPM contribue-t-elle au développement de formes d’isomorphisme ? En insistant sur l’adoption d’une culture de résultats plus que de moyens, ce mouvement a notamment entraîné, en direction des partenaires de l’action publique tels que le sont les associations du secteur social et médico-social, l’élaboration d’une batterie d’indicateurs de mesure de la performance (indicateurs médico-sociaux économiques) et la mise en place du principe de convergence tarifaire (permettant à l’administration de comparer les coûts d’établissements et services fournissant le même type de prestations) afin de réduire les écarts jugés trop importants dans l’allocation des ressources. La recherche d’économies se traduit notamment par des incitations fortes de coopération formulées par l’administration dans des textes de loi ainsi qu’à travers la promotion de nouveaux outils de coopération entre acteurs tels que les groupements de coopération sociale ou médico-sociale (GCSMS) permettant la mutualisation d’activités et de moyens entre différentes associations. Au-delà des objectifs de décloisonnement et d’amélioration de la qualité des prises en charge affichés par l’administration, ces groupements sont perçus comme des sources potentielles d’économies et comme des outils privilégiés de « restructuration » du secteur, allant dans le sens d’une réduction du nombre d’interlocuteurs associatifs, jugés trop « dispersés » et cloisonnés. De fait, dans un contexte global de maîtrise des dépenses publiques, ces évolutions récentes du secteur social et médico-social s’accompagnent d’un renforcement d’une logique de performance et des exigences en matière de gestion en direction des opérateurs du secteur (Petrella, 2012). On peut y voir la double influence d’un isomorphisme normatif et d’un isomorphisme coercitif.

Ces évolutions de la régulation publique, dont l’un des traits marquants est de mettre en avant les référentiels de la performance et de l’efficience gestionnaire, valorisent les compétences techniques et managériales des associations, les faisant entrer dans l’« ère du management » (Bouquet, 2006). Elles doivent intégrer de nouvelles exigences d’efficacité ou de rentabilité issues du modèle de l’entreprise. Quels sont les effets de ces évolutions sur la dimension sociopolitique historique des associations (Evers, 2000), c’est-à-dire sur leur capacité à détecter de nouveaux besoins et à construire des réponses adaptées et inclusives, et plus largement à contribuer à la transformation sociale ? Dans le secteur social et médico-social, comme dans d’autres secteurs d’activité au sein desquels les dirigeants ont des compétences techniques, ce mouvement pourrait conduire à une séparation de plus en plus forte entre les dimensions d’engagement démocratique et de promotion de valeurs de transformation sociale (égalité, solidarité…), et les dimensions techniques et gestionnaires liées à l’offre de services. Se définiraient ainsi différents territoires de compétences – politiques, stratégiques et techniques –, en particulier au sein des associations (Hoarau, Laville, 2008, p. 228), pouvant entrer en tension les uns avec les autres, comme le soulignait déjà Desroche (1969). Aussi, on peut s’interroger sur les conséquences de ces restructurations organisationnelles sur le fonctionnement démocratique des associations, dont on considère qu’il est au fondement de ce processus de transformation sociale, et sur leur mode de gouvernance.

Le risque de normalisation et d’isomorphisme

Le risque de normalisation des pratiques et d’isomorphisme institutionnel (DiMaggio et Powell, 1983) n’est pas à exclure. La rhétorique de la performance qui émerge dans ce secteur, à l’instar du secteur hospitalier et de la fonction publique en général, depuis le début des années 2000, s’accompagne d’un processus de normalisation de l’organisation des services tendant à uniformiser les pratiques (Petrella, Richez-Battesti, 2011 ; Marival, 2011b). Bied et Metzger (2011) évoquent à ce titre une forme d’« industrialisation » du secteur médico-social liée à l’introduction de dispositifs technico-gestionnaires. Dans cette perspective, les discours de l’administration centrale tendent dès lors à promouvoir un modèle dominant d’offre associative fondé sur des associations de grande taille qui remet en cause les associations mono-établissement et suscite des craintes chez les opérateurs associatifs. Ces derniers voient dans ces différentes évolutions une tendance à « formater » l’offre de service et la remise en cause d’un « modèle d’offre associative, de proximité et de spécialisation, au profit de la référence aux seules grosses associations » (Uniopss, 2007). Il y a en effet un risque de désencastrement, de prise de distance par rapport au territoire au sein duquel se déploie l’intervention sociale et de moindre capacité d’adaptation aux besoins locaux liés à la grande taille et à l’adoption de stratégies plus globales. Un formatage des réponses peut en découler, réduisant leur adaptation aux situations locales. On peut s’attendre également à la disparition des associations les moins outillées pour répondre à ces nouvelles exigences, souvent les plus petites d’entre elles.

Enfin, ces évolutions institutionnelles inscrivent les processus de construction de l’offre dans des logiques descendantes, tant à travers les nouvelles règles budgétaires et tarifaires (logiques de moyens ou d’enveloppes fermées) qu’au niveau des outils de mise en concurrence (dont l’appel d’offres constitue la parfaite illustration). Dans de telles conditions, le projet de l’association n’est plus le résultat d’une demande sociale décelée « sur le terrain », mais bien une réponse à un besoin identifié par l’administration. Cette nouvelle logique réduit par conséquent les marges d’autonomie laissées aux associations et remet en cause leur fonction d’« avant-garde » (Bloch-Lainé, 1994), leur capacité historique d’initiative, d’innovation sociale et de révélation des demandes sociales. L’instrumentalisation des associations par les pouvoirs publics et leur banalisation constituent donc un dernier risque. Les associations, s’adaptant aux nouvelles règles du jeu, élaborent la réponse attendue par les pouvoirs publics. Loin de proposer une réponse originale combinant leur projet associatif et leur connaissance du terrain, elles offrent une réponse normalisée aux besoins à satisfaire. Les tensions sont d’autant plus fortes que, dans ce mouvement encourageant la concentration, la légitimité auprès des autorités publiques s’acquiert avec l’accroissement de la taille des structures.

Le potentiel de dynamisation institutionnelle

Un autre point de vue consiste à considérer la capacité des associations à se saisir des différentes formes de coopération comme une opportunité d’améliorer le service offert à leurs usagers et l’occasion de revisiter leurs projets associatifs, voire de contribuer au changement institutionnel. Il s’agit alors de mettre l’accent sur la fonction sociopolitique des associations (Evers 2000).

Nous abordons la dimension sociopolitique des associations à travers le prisme de la gouvernance. La gouvernance concerne l’ensemble des mécanismes permettant la mise en cohérence du fonctionnement de l’organisation avec le projet social qui l’anime (Hoarau et Laville, 2008, p. 258). L’analyse des formes de gouvernance dépasse donc la seule réflexion autour du conseil d’administration et de sa composition ; elle inclut d’autres éléments qui concernent les relations avec les parties prenantes internes et externes de l’organisation. Parler de gouvernance comporte dès lors une dimension interne (dans la production de nouvelles règles ou dans l’adaptation des anciennes) et une dimension externe (Rijpens, 2014).

Reprenant cette distinction, nous caractérisons la gouvernance interne en identifiant :

  • les règles de représentation (la composition de l’organe décisionnel, nombre ou poids respectif de chaque membre dans la structure de gouvernance) et les règles de partage du pouvoir (clés de répartition des droits de vote retenues et proximité avec le principe égalitaire « une personne = une voix », inscrit dans la tradition du fonctionnement associatif),

  • la prise en compte de la dimension du projet et des valeurs à travers les textes fondateurs de la coopération (élaboration d’une charte commune, remaniement du projet associatif, refonte des statuts ou encore la rédaction d’un préambule réaffirmant des principes d’action partagés), et l’inscription, plus ou moins marquée, des spécificités de chacun des partenaires dans le projet de coopération.

La gouvernance externe, quant à elle, peut être pour partie abordée par les effets des coopérations sur l’action publique territoriale, et peut être appréhendée selon trois entrées :

  • la capacité à peser dans les décisions de politiques publiques,

  • la promotion du fait associatif,

  • le sens de l’action collective.

Ce sont ces différentes dimensions que nous retiendrons sur le terrain pour aborder la dimension sociopolitique des associations.

Un terrain comparatif sur deux régions françaises

Notre analyse repose sur une approche essentiellement qualitative fondée sur des études de cas approfondies. En partenariat avec les Uriopss des deux régions, nous avons retenu dix expériences de coopérations entre associations (six en Languedoc-Roussillon et quatre en Provence-Alpes-Côte d’Azur) représentatives de la diversité des projets de coopération (voir annexe). Vingt-quatre entretiens individuels approfondis ont été menés en 2014 avec les dirigeants salariés et/ou bénévoles des différentes parties prenantes de la coopération. Les thématiques retenues étaient les suivantes : l’origine et la genèse de la coopération, la démarche de coopération (objet, périmètre, forme, gouvernance, finalités…), l’impact ou les effets de la coopération, la méthode de mise en place de la démarche, les facteurs d’échec ou de succès de la coopération. Nous avons complété les entretiens par des rapports d’activité et autres documents de fonctionnement (statuts, convention de partenariat, chartes, règlements, traités de fusion…), par des observations participantes lors de réunions collectives et par les retours des acteurs à l’occasion de la restitution du travail de recherche.

Des coopérations diverses par leur taille et leur secteur d’activité

Les expériences de coopération choisies se caractérisent par leur hétérogénéité (voir annexe). Si l’on repère une majorité de coopérations uniquement associatives (six expériences sur dix), une expérience est caractérisée par un décloisonnement avec le secteur public (le groupement de coopération sociale et médico-sociale [GSCMS] « Regards communs » autour de l’autisme implique deux associations et un hôpital public) et d’autres démarches sont à dominante associative, mais impliquent d’autres types d’acteurs. La « Coopération(s) autour des projets personnalisés de l’Aude » regroupe l’ensemble des parties concernées par le parcours de vie de la personne accompagnée : associations tutélaires, pouvoirs publics, financeurs, associations gestionnaires, personnes accompagnées ou leurs représentants familiaux. De même, la filialisation de l’A2EA au groupe SOS implique directement deux associations, mais celui-ci comporte aussi des entreprises. Enfin, Alia, acteur du développement social, rassemble aujourd’hui quatre associations du Vaucluse et a vocation à s’ouvrir aux acteurs économiques privés lucratifs du secteur, car la coopération est porteuse d’un projet de pôle territorial de coopération économique (PTCE).

La taille des acteurs impliqués est également variable, allant des petites structures de proximité (associations « mono-établissement ») à des structures au poids économique important, comme le groupe SOS présent sur le territoire national.

Les coopérations se différencient aussi par le nombre d’acteurs impliqués. Si la coopération entre l’Apea et l’Aoab dans le champ de la protection de l’enfance ne concerne que deux associations (ce qui représente près de 130 salariés), le GCSMS de Lozère sur le handicap regroupe toutes les associations du champ du handicap de Lozère, soit neuf associations gestionnaires de cinquante établissements et services, employant un total de 2 040 salariés.

Différents secteurs d’intervention sont représentés (lutte contre les exclusions, protection de l’enfance, champ du handicap et des personnes âgées), mais on trouve une majorité de partenariats intra-sectoriels. Les coopérations « transversales » ne concernent que trois cas : la filialisation de l’A2EA (handicap) au groupe SOS qui intervient sur différents champs (la jeunesse, l’emploi, les solidarités, la santé, les seniors) ; l’association Alia (secteur de la protection de l’enfance pour l’Advesea et celui de la lutte contre les exclusions pour Rheso) ; et le GCSMS Acces caractérisé par une articulation entre le secteur du handicap et des personnes âgées (intervention à domicile et prise en charge en établissement).

Les coopérations étudiées se développent sur des échelons territoriaux différents. Certaines se réalisent à l’échelle d’une ville (bassin Alésien pour la fusion de la Clède, Agfas et Saje) ou d’un bassin de vie (grand bassin cévenol pour le GCSMS Acces, bassin de Carpentras dans le Haut Vaucluse pour le GCSMS « Regards communs »). D’autres mettent en mouvement l’ensemble des acteurs d’un département : le GCSMS de Lozère et la coopération autour des projets personnalisés dans l’Aude. Enfin, certains rapprochements dépassent les frontières administratives : la coopération entre HAS et Casa concerne les départements du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône tandis que la fusion des associations « Loger » concerne quatre associations implantées à Marseille, une association grenobloise et une association lyonnaise. Ce rapprochement transcende le territoire régional, tout comme la filialisation de l’A2EA au groupe SOS où la coopération a une dimension nationale.

Des formes de coopération hétérogènes

Enfin, la coopération prend plusieurs formes, allant de la coopération informelle à la fusion d’associations, en lien avec un degré plus ou moins intégré des ressources. On trouve des partenariats sans existence juridique, comme la coopération autour des projets personnalisés et l’Archipel d’HAS. Dans ces deux cas, on observe une faible intégration des ressources et les rapprochements n’impliquent pas la mise en place de nouvelles structures de gouvernance. Les groupements d’associations constituent un niveau supplémentaire de formalisation de la coopération et d’intégration des ressources. Ces formes de rapprochement sont privilégiées pour gérer des moyens communs (cas de l’association d’associations « Alia », du GCSMS Acces et du GCSMS de Lozère), voire pour assurer directement la gestion d’établissements ou services sociaux et médico-sociaux, au même titre que des associations gestionnaires (cas du GCSMS « Regards communs »). Elles impliquent la création de structures juridiques ad hoc et de nouvelles structures de gouvernance (qui émanent des entités qui en sont à l’origine). D’autres témoignent de montages originaux : reprise d’une certaine partie de l’activité dans le cadre d’un apport partiel d’actifs (« Apea-Aoab »), mécanisme de « filialisation » utilisé par le groupe SOS préservant les associations d’origine, mais impliquant le remaniement des structures de gouvernance et des mécanismes de partage du pouvoir. Au niveau ultime, deux rapprochements ont donné lieu à des opérations de fusion-absorption ayant pour conséquence la disparition d’associations. Dans ce cadre, l’intégralité des ressources et des moyens d’une association est apportée à une autre. La fusion entraîne obligatoirement la dissolution de l’association dont le patrimoine (actif et passif) est transmis et s’accompagne d’un rattachement à la structure de gouvernance de l’association « absorbante ».

L’impact des processus de rationalisation sur la dimension sociopolitique des associations

Contrairement aux attentes, les processus de normalisation et de rationalisation ne sont pas apparus comme discriminants dans nos observations. Ce qui signifie que les tendances isomorphiques ne sont pas dominantes. Nous avons ainsi observé une diversité des stratégies adoptées signalant que face à un environnement pourtant normatif, les organisations faisaient preuve de créativité. Nous avons aussi mis en évidence la capacité des associations à se saisir des processus de coopération pour améliorer le service rendu et revisiter le projet associatif. En effet, les pratiques de gouvernance choisies sont majoritairement inspirées du mode de fonctionnement associatif, à travers la volonté de préserver l’égalité entre les membres dans la prise de décision. De même, les expériences observées témoignent d’une attention forte portée à la question des valeurs et de l’identité des structures, préoccupation également prégnante dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Enfin, les coopérations contribuent à l’émergence de nouveaux espaces collectifs susceptibles de peser sur les politiques publiques à l’échelle locale et de renouveler les formes de mobilisation associative, dénotant ainsi une capacité à faire « voice » au sens d’Hirschman.

Une évolution du mode de gouvernance interne

Dans la plupart des cas de coopération formelle, les rapprochements ont impliqué une évolution des modes de gouvernance. Il y a soit remaniement d’une structure de gouvernance existante, avec intégration (ou non) des représentants des structures « absorbées » dans les instances dirigeantes de l’association « absorbante » (cas des fusions-absorption ou fusions-intégration), soit création d’une nouvelle structure de gouvernance qui est l’émanation des membres de la nouvelle entité (cas des groupements d’associations). La quasi-totalité des démarches de coopération construit des règles de gouvernance proches du mode de fonctionnement associatif, en préservant l’égalité entre les membres de la coopération dans la prise de décision. Cette préoccupation est observée tant pour les démarches où la structure de gouvernance est remaniée (cas des fusions ou de l’apport partiel d’actifs) que pour celles qui donnent naissance à de nouvelles structures de gouvernance (cas des GCSMS ou de l’association d’associations Alia).

La filialisation de l’A2EA au groupe SOS se démarque nettement et constitue un cas unique dans notre échantillon. Dans le rapprochement, seul l’ancien président est maintenu dans le CA tandis que trois nouveaux administrateurs ont été proposés par le groupe SOS pour leurs compétences techniques et leur capacité à construire des processus de normalisation dans l’organisation associative.

Il en va très différemment dans les autres démarches de fusions. Lors de la fusion de La Clède Agfas et Saje, le nombre d’administrateurs intégrés dans le CA est proportionnel à la taille des structures. Ainsi, trois membres du CA de l’Agfas et deux membres du Saje sont entrés au CA de La Clède : « Il a été prévu que le CA s’enrichissait de membres des deux associations » (directeur de La Clède). Les administrateurs de La Clède « ancienne mouture » conservent donc la majorité des postes au CA, qui comporte dix-huit membres. La garantie de l’intégration du projet et de la dimension associative des deux associations « absorbées » se traduit aussi par « le droit reconnu à tous les adhérents de l’Agfas ou du Saje […] d’être admis en qualité de membres actifs de La Clède. Les associations caritatives fondatrices du Saje sont admises en qualité de membre d’honneur de La Clède (sans droit de vote) » (extrait du traité de fusion). Pour la fusion des quatre associations « Loger » à Marseille avec l’association « Loger Marseille jeunes » (LMJ) (association « absorbante »), le CA de LMJ a été élargi : « Au départ on était neuf et on l’a ouvert à vingt-cinq. Chaque association a donné des noms. […] Cela a été une fusion-absorption dans la douceur, cela n’a pas été une OPA » (président de LM). De plus, les présidents des quatre associations dissoutes ont intégré le bureau de LMJ en tant que vice-présidents. « Le fait d’être vice-président permet de garder la main. » De façon assez similaire, dans le cadre de la reprise de l’activité médico-sociale de l’Aoab par l’Apea, les quatre administrateurs de l’Aoab ont été intégrés dans le CA de l’Apea et le président de l’Aoab est devenu vice-président.

Dans les trois GCSMS étudiés, les représentants des membres ont fait part de leur attachement à l’égalité entre les membres dans les fonctions de représentation et de prise de décision. Les règles de répartition des pouvoirs définies par les textes ont fait l’objet d’une appropriation dans l’esprit d’une gouvernance égalitaire [2]. La répartition égalitaire des droits sociaux a été obtenue grâce à un apport en capital identique aux différentes associations. Chaque association a pu ainsi disposer du même nombre de voix lors des votes à l’assemblée générale du groupement, dans le respect du principe « une personne (ou une structure) = une voix ».

Une redéfinition du projet commun

Si, en règle générale, le principe égalitaire régit les relations entre les membres du rapprochement dans la prise de décision, des « avantages » peuvent néanmoins être observés au profit d’une catégorie de membres. En effet, dans certains cas, la priorité est donnée aux membres fondateurs pour préserver une forme de « contrôle » sur le devenir de la démarche. Dans le cas du GCSMS Acces composé de sept associations, les quatre membres fondateurs disposent d’une « majorité de blocage ». De la même manière, pour l’association Alia, les deux membres fondateurs disposent de trois voix chacun et les membres actifs, à savoir les associations qui rejoignent Alia, ne disposent que d’une seule.

Des distinctions sont également observées au niveau du poids (en nombre) des représentants de chaque membre dans la coopération. Si les expériences de fusion étudiées ainsi que l’expérience d’apport partiel d’actifs (qui s’apparente en l’espèce à une « fusion partielle ») sont caractérisées par une volonté d’intégration de la dimension associative des associations dissoutes dans le rapprochement, l’association « absorbante » garde le plus souvent un avantage sur le nombre d’administrateurs. En définitive, les associations dissoutes participent à la prise de décision, mais le principe égalitaire y joue un rôle secondaire. Les fusions semblent en ce sens moins égalitaires que les groupements.

L’attention portée à l’inscription du sens et du projet dans les textes fondateurs du rapprochement distingue de manière plus marquée les expériences de coopération entre elles. Elle isole à nouveau l’A2EA et sa filialisation au groupe SOS, pour laquelle la coopération est un simple outil technique. L’objectif de la coopération n’est pas en effet de redynamiser la dimension associative et donc le projet associatif, mais de bénéficier du support technique du groupe SOS qui reproduit pour chaque structure le même modèle d’organisation.

Dans d’autres cas, la question du sens et des projets associatifs ne semble pas constituer une priorité de la coopération et n’a pas fait l’objet d’un travail de construction collective du sens partagé. Ainsi, dans le cas du GCSMS de Lozère, il est fait référence aux valeurs dans un préambule à la convention constitutive rappelant le contexte ayant poussé les acteurs à coopérer. Celui-ci met en avant la nécessité de se rapprocher pour préserver les valeurs de chacun. La coopération est présentée comme « un facteur essentiel de défense et de préservation des principes d’accueil et d’accompagnement définis par les projets associatifs et projets d’établissement des établissements de Lozère ». Mais ces principes ne sont pas déclinés et les acteurs n’ont pas fait mention d’espaces d’échange ou de groupes de travail dédiés à une réflexion sur ces derniers. La convention constitutive du GCSMS « Regards communs » dispose également d’un préambule, mais sans référence aux valeurs et principes de ses membres. Il rappelle seulement l’objet de la coopération, à savoir « la mise en commun de compétences, d’expertises et de moyens afin d’apporter un parcours de soins optimisé et adapté aux besoins et demandes du public accueilli » et l’expertise que chaque partenaire apporte à ce projet.

Enfin, pour d’autres, la construction de sens commun constitue un préalable à la coopération. Cela se traduit par la mise en place de réunions d’échanges et de réflexions entre les administrateurs, garants de la dimension politique et stratégique. Ainsi, pour la fusion partielle entre l’Aoab et l’Apea, l’élaboration d’un projet associatif commun et le remaniement des statuts sont une priorité pour les administrateurs : « Quand on a commencé à se rencontrer, à discuter, on a pensé que la première chose, ça serait d’avoir un projet associatif commun. On a rapidement vu qu’on était d’accord, qu’on établissait assez facilement ce projet associatif. […] On a aussi refondé les statuts. Et donc les deux CA ont travaillé ensemble : quatre administrateurs de l’un et quatre de l’autre. Tout le monde était autant impliqué. » Pour le GCSMS Acces, une charte du groupement a été rédigée parallèlement au travail sur la convention constitutive. Elle reprend les valeurs respectives et communes aux quatre membres fondateurs.

Une meilleure représentation et légitimité associative

Le GCSMS des établissements et services pour personnes en situation de handicap de Lozère, qui regroupe la quasi-totalité des associations du champ du handicap de Lozère, poursuit avant tout une finalité politique de représentation. « Les principales motivations, c’est de participer un peu plus massivement et d’avoir un impact sur la Lozère. » Il s’agit d’atteindre « une dimension un peu plus territoriale, un peu plus large pour qu’il y ait aussi un impact politique et une visibilité sur la région » face à la montée en puissance de l’échelon régional au sein duquel « le GCSMS Lozère a sa place ». L’objectif est de « défendre le rôle des associations lozériennes » et de faire face aux enjeux spécifiques de ce département caractérisé par des taux d’équipement élevés et des coûts à la place supérieurs au niveau national : « Les taux d’équipement de ce département constituent un danger et une épée de Damoclès sur les associations parce que les logiques de convergence [tarifaire], d’optimisation et de mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 ne vont pas dans ce sens. Sur les MAS, le taux d’équipement lozérien est de 1 000 % de la moyenne nationale et, en plus, le coût à la place moyen est de l’ordre de 120 % du coût moyen à la place du niveau national. Donc on risque une double peine. » (DG du Clos du Nid, administrateur du GCSMS.) Grâce à la coopération, la stratégie politique poursuivie est d’être plus visible et de peser sur les décisions : « être force de projets vis-à-vis de l’administration et force de négociations. Plus on est forts en nombre, plus on a de poids et plus on influe sur les décisions » (directeur de l’association Sainte Angèle, GCSMS de Lozère). Ce regroupement s’inscrit donc dans une véritable « stratégie de territoire ». Les résultats des démarches de coopération dépassent parfois les attentes de ses promoteurs. Ce GCSMS, qui poursuivait avant tout une finalité politique en termes de construction de légitimité (« une légitimité stratégique était recherchée par le GCSMS »), a engendré des effets politiques (d’acquisition de reconnaissance et une capacité potentielle à infléchir des normes) qui dépassent ce qui était anticipé (« On vient mettre le GCSMS à toutes les sauces ! »). Ainsi, le GCSMS est par exemple sollicité pour participer à la conférence de territoire. La question de la représentation des associations à cette instance via le GCSMS fait d’ailleurs débat entre les membres du groupement, car elle pose la question de la concurrence avec les fédérations.

Dans la même logique, l’association d’associations Alia dans le Vaucluse se donne pour objet d’« élaborer et promouvoir un projet associatif de territoire visionnaire pour orienter et nourrir l’action publique citoyenne ». Cette « stratégie d’alliance » a pour but de créer un acteur « qui ait une voix plus forte, plus complète » et qui soit « force de propositions auprès de l’Etat et des collectivités territoriales » (extrait du projet associatif). Il s’agit d’« occuper une place de lobbying », d’« analyser les évolutions possibles au regard du contexte » et de « travailler sur la définition politique du territoire ». Cette association, formée de quatre associations du territoire du Vaucluse, part du constat partagé de ses promoteurs d’une perte de vitesse du monde associatif caractérisée par une réduction de ses marges de manoeuvre et capacités d’innovation. Son point de départ est, pour les deux associations fondatrices, « une analyse du territoire et du contexte institutionnel partagé, une volonté d’améliorer le fait associatif pour améliorer la cohésion sociale sur le territoire ». Alia poursuit ainsi une double finalité, à la fois sociale et politique. Elle ambitionne d’une part d’articuler les compétences entre les associations membres, de développer des complémentarités et la transversalité entre services afin d’améliorer la réponse aux populations. D’autre part, elle envisage de « renforcer le fait associatif » en développant ses capacités d’innovation et marges de manoeuvre à travers les échanges de savoir-faire et le développement de la fonction de prospective, à travers la création d’une structure de prospective, qui est en cours de structuration.

Enfin, les associations peuvent s’unir autour de la défense de valeurs, de normes ou de conceptions partagées de la prise en charge. L’Archipel d’HAS est présenté comme « un outil de gouvernance politique d’associations qui se reconnaissent dans une charte ». Il se donne notamment comme objectif de constituer une « fédération de sens » (extrait de la Charte). Les « îles » fédérées au sein de l’Archipel partagent une philosophie, des valeurs et principes d’intervention centrés essentiellement autour de la participation des personnes en situation d’exclusion.

La coopération interassociative, un levier de créativité

D’un point de vue empirique, nous avons mis en évidence l’hétérogénéité des modes de coopération portés par les associations et des stratégies volontaristes ou innovantes mises en oeuvre dans un contexte institutionnel considéré comme contraignant, voire homogénéisant par les acteurs. Cette diversité montre la capacité des acteurs à se saisir des outils disponibles en conformité avec leurs objectifs. Nous avons aussi pointé que ces processus de coopération constituent le plus souvent des opportunités de revisiter le projet associatif et de renouveler le modèle de gouvernance qui le supporte. Alors que les groupements et fusions semblent a priori éloignés d’un fonctionnement démocratique, l’analyse de leur mode de gouvernance sur le terrain a montré un engagement vers des pratiques démocratiques. Nos observations témoignent aussi d’une attention forte portée à la question des valeurs et de l’identité des structures. Enfin, les démarches de coopération contribuent à réaffirmer et redynamiser la dimension sociopolitique des associations au niveau de leur fonction tribunitienne de participation à la production de l’intérêt général (au-delà de préoccupations et des intérêts individuels de ses membres). Leur contribution « politique » n’est pas forcément de l’ordre de la production de normes, mais elle s’exprime dans leur capacité à faire « voice » et à participer aux débats publics. La légitimité et la reconnaissance acquises grâce aux rapprochements leur permettent d’être convoquées dans les instances de délibération locales et de participer au débat public.

D’un point de vue théorique, nous avons contribué à explorer les effets organisationnels et institutionnels de la coopération. Contrairement aux approches en termes d’isomorphisme qui présupposent la réduction de la diversité organisationnelle et la surdétermination des stratégies par les contraintes externes, nous avons montré la diversité des réponses aux pressions externes et la capacité des organisations à réinventer d’une part un projet orienté vers la satisfaction des usagers et, d’autre part, à infléchir la gouvernance territoriale. Ainsi, sous certaines conditions, les pressions de l’environnement sont susceptibles de favoriser des stratégies offensives et volontaristes d’actions collectives. Ces stratégies expriment une diversité d’arrangements organisationnels à l’initiative des acteurs, qui battent en brèche l’hypothèse d’une réduction de la diversité organisationnelle. Plus largement, ces stratégies expriment aussi les capacités d’innovations des acteurs lorsqu’ils se saisissent des contraintes externes comme un levier pour coopérer et tenter par des tâtonnements successifs de renouveler les normes dominantes. Et c’est dans ce mouvement que se construit ou se renouvelle, à petits pas, la légitimité politique des associations et que s’évalue leur travail institutionnel.