Le Dossier

Politiques contre le harcèlement sexuel. Comparaison et perception des agents et des plaignantes[Record]

  • Natalie Dupont and
  • Christiane Bernier

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  • Natalie Dupont
    Direction de la politique et de l’analyse selon les sexes
    Développement des ressources humaines Canada

  • Christiane Bernier
    Département de sociologie, Université Laurentienne

La reconnaissance du harcèlement sexuel en milieu de travail comme problème social est assez récente. Autrefois qualifié « d’invisible » en raison des nombreuses lacunes sur la compréhension du sujet et du fait que le phénomène ne possédait pas de nom comme tel (Weeks, Boles, Garbin et Blount 1988 : 431; 444; 449), le harcèlement sexuel est aujourd’hui devenu l’objet d’intérêt de plusieurs chercheurs et chercheures et un enjeu pour les tribunaux canadiens et américains (Lippel et Demers 1998 : 9). De nombreux ouvrages se sont attardés non seulement à définir le problème, ses nombreuses composantes et ses différentes formes, mais ils ont, de plus, fait valoir le besoin de développer des stratégies pour en contrer les incidents en milieu de travail. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, la stratégie privilégiée par les entreprises a consisté à instaurer une politique spécifique contre le harcèlement ou les manifestations de sexisme en milieu de travail et à en confier la gestion à des agents des plaintes. Or, malgré la présence de ces politiques, le harcèlement sexuel en milieu de travail persiste. Encore récemment, des recherches ont nettement fait voir que ce type de harcèlement existe réellement en milieu de travail, que les taux en sont relativement élevés et que ce sont les femmes qui en demeurent les principales cibles (Welsh et Nierobisz 1997; Crocker et Kalemba 1999; Dupuis, 1998; Welsh, Dawson et Griffiths 1999a). Plusieurs études révèlent aussi que les femmes tendraient particulièrement à éviter leur offenseur plutôt qu’à dénoncer le harcèlement sexuel dont elles sont victimes dans les milieux de travail dominés par les hommes (Gutek et Koss 1993; Thacker 1994; Stanton 1992; Gauvin, Marcoccio et Guérette-Breau 1999; Rowe, 1990; VanRoosmalen et McDaniel, 1998). On peut donc penser que le nombre de plaintes déposées au sein des entreprises et des organismes publics par les victimes de harcèlement sexuel ne reflète pas la prévalence du phénomène. L’écart important entre cette prévalence supposée et les plaintes formelles déposées par les victimes est problématique et sert de point de départ à cette recherche. Selon nous, en effet, cet écart soulève deux questions importantes: (1) pourquoi les politiques instaurées dans les entreprises depuis les quinze dernières années n’arrivent-elles pas à éliminer le problème et (2) pourquoi les victimes sont-elles réticentes à témoigner lorsqu’il y a incident, qu’elles en soient victimes ou témoins, si elles sont protégées par une législation ou une politique? Des réponses partielles ont été apportées à ces questions. Ces réponses, généralement, portent sur une analyse des symboliques sexistes de notre société et sur les éléments indispensables devant assurer l’efficacité des politiques ou des programmes mis en place. Mais peu de recherches cependant ont porté sur la question de la mise en application de ces politiques et notamment sur les agents qui en sont responsables. La présente recherche a donc examiné de plus près les éléments entourant l’efficacité des politiques en vigueur dans des milieux de travail traditionnellement masculins et dans des syndicats de travail représentant ces milieux, en utilisant une approche féministe et organisationnelle — approche qui part de l’idée selon laquelle le harcèlement sexuel est le produit d’une société patriarcale et qu’il est, de plus, lié à la culture organisationnelle (masculine) des entreprises. La question générale de recherche se résume ainsi : y a-t-il congruence entre les énoncés de politiques contre le harcèlement sexuel et la perception des agents responsables de leur mise en application? Afin de répondre à cette question, il a fallu procéder à deux démarches analytiques : tout d’abord, établir une comparaison entre différentes politiques d’entreprises ou de syndicats représentant des milieux de travail non traditionnel pour les femmes; …

Appendices