Éditorial

La transformation du travail et les jeunes : quelle place pour le service social?[Record]

  • Lilian Negura and
  • Nérée St-Amand

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  • Lilian Negura
    Professeur, École de service social, Université d’Ottawa

  • Nérée St-Amand

Depuis quelques années, le travail constitue le lieu d’une réflexion importante et diversifiée dans plusieurs champs d’études : l’économie, les sciences de l’éducation, la sociologie, la psychologie, le droit, etc. Cet intérêt marqué s’explique par l’ampleur des transformations sociales qui accompagnent la réorganisation de l’économie locale et mondiale et par l’importance grandissante du travail rémunéré dans nos sociétés contemporaines. La mondialisation, les nouvelles technologies, la flexibilité, la précarisation de l’emploi, la concurrence, le néolibéralisme, la délocalisation, l’économie du savoir, l’individualisation ou les nouvelles gestions sont autant de manifestations de la nouvelle donne du monde de travail qui se sont converties en des sujets à la mode, en sciences sociales en particulier. L’émergence de cette dynamique réflexive ouvre la voie à un examen de la place du service social dans ce débat. Pendant les « trente glorieuses », l’entreprise a été le lieu privilégié du lien social et de l’insertion sociale, grâce à un système productif qui a conjugué la production de masse et certaines politiques de protection sociale des salariés (Dubar, 2000). Cette période est caractérisée par le plein emploi, l’importance de la formation initiale, l’insertion professionnelle rapide, des carrières ascendantes au sein de la même entreprise, le temps plein, un horaire de travail stable et prévisible, un emploi presque garanti à vie, protégé par des syndicats forts et un État social très actif. Au cours de ces années de prospérité, la classe moyenne s’est élargie pour se transformer en un facteur important de stabilité dans les sociétés occidentales (Chauvel, 2006). L’intégration professionnelle était à l’époque synonyme de l’intégration sociale (Castel, 2000) et, en contrepartie, la pauvreté était étroitement liée au chômage. C’est au cours de cette période que des approches socio-politiques, comme les approches structurelles, féministes, communautaires ou d’action sociale, se taillent une place dans le champ du service social, jusqu’alors principalement centré sur des interventions de case-work selon des approches cliniques ou directes (Lecomte, 2000). Depuis les années 1980, la mondialisation et la montée en importance des nouvelles technologies d’information et de communication provoquent rapidement un bouleversement du fonctionnement des entreprises (Negura, 2006). Ce processus culmine dans les années 1990 par l’instauration d’un système productif postfordiste caractérisé par l’introduction de nouveaux types de gestion fondés sur le principe de la flexibilité (Dubar, 2000). La majorité des entreprises ne gardent qu’un noyau dur d’emplois stables pour externaliser les fonctions qui ne sont pas jugées indispensables à la production. Ce changement structurel encourage la sous-traitance, fragilise le statut d’emploi et désengage les entreprises de leurs responsabilités sociales envers les gens et les communautés locales (Rose, 2000). De plus, l’effritement de l’emploi et l’individualisation de la production affaiblissent beaucoup la marge de manoeuvre des syndicats qui perdent peu à peu leur influence dans les entreprises (Pernot, 2005). Le transfert des entreprises vers des pays à faible revenu augmente le chômage de certaines catégories de travailleurs et multiplie les catégories sociales exigeant un régime de protection sociale. Comme l’État social a été créé dans un contexte de prédominance de l’emploi stable, les nouvelles conditions diminuent aussi la capacité du système social de remplir adéquatement ces fonctions (Rosanvallon, 1995). En conséquence, de nombreux changements surviennent dans le fonctionnement de l’entreprise. Les nouvelles technologies de communication, comme l’intranet, permettent la réorganisation de la communication dans les organisations (Duval et Jacot, 2000). Une conséquence est une redistribution de la responsabilité décisionnelle du centre managérial aux salariés. Ce fait est ressenti par les travailleuses et travailleurs comme une pression, accentuée par la recherche de la qualité totale et l’adaptation constante de la production aux besoins fluctuants du marché qui devient le seul référant. En effet, le …

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