Des pratiques à notre image

Le système des pauvres[Record]

  • Eugène LeBlanc

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  • Eugène LeBlanc
    Le Groupe de support émotionnel Inc. de Moncton

« Le gouvernement a mis en place le système des pauvres pour se donner des jobs », disait un vagabond qui avait parcouru des milliers de kilomètres dans sa carrière d’itinérant, lors d’un passage au Groupe de support émotionnel (GSE) de Moncton, Nouveau-Brunswick. Cette remarque de la part d’un « Canadien errant » me touche depuis le jour où je l’ai entendue de la bouche de ce « philosophe » vivant dans la misère. La conviction que l’État met consciemment en place un vaste appareil gouvernemental pour s’occuper de ceux et de celles qui ne contribuent pas au marché économique n’est pas nouvelle, mais une analyse aussi claire que celle-là suscite quelques réflexions. L’auteur d’un tel constat expliquait que le système, qui comprend nos élus, nos fonctionnaires, nos intervenants sociaux — et bien sûr les psychiatres —, encourage l’impuissance de l’individu plutôt que son autonomie. Et que dire du degré de perspicacité de l’auteur d’une telle remarque? D’une remarque qui émane d’observations de notre société? Qui est le fruit d’expériences vécues? Comment considère-t-on une telle leçon de vie? Quelle place accordons-nous à une telle « école » de l’expérience? Après réflexion, je me pose la question en tant qu’intervenant dans un groupe d’entraide : est-ce que l’aide apportée par un pair-aidant, salarié comme moi, fait partie de ce système des pauvres? En fait, existe-t-il une différence entre les dispensateurs de services institutionnels et les intervenants communautaires dont je fais partie? À cette grande question, Jean Vanier propose une réponse : la communauté. Il nous rappelle que le vrai sens de la communauté, c’est l’entraide, le réseautage. Par contre, lorsque les intervenants n’aiment pas les gens dans leur quotidien, ils se réfugient dans la gestion! Ils mettent alors en place des règlements et des protocoles pour venir en aide aux pauvres de ce monde! En agissant ainsi, ils se distancient de leur réalité… mais ils créent des emplois. Quelles sont les conséquences de cette aide distante? Regardons autour de nous : est-ce que nos problèmes sociaux et psychiatriques vont en diminuant ou en augmentant? Il y a vingt ans, une personne sur 10 avait un problème de santé mentale. Maintenant, on nous informe que c’est rendu une sur 5 et même une sur quatre! Il reviendra à la communauté de juger si une ressource comme le GSE contribue au mieux-être des gens ou fait du tort à ces personnes. Pour ma part, je crois fermement qu’un Centre comme le nôtre, qui existe depuis 25 ans, comprend mieux le vrai sens de l’isolement et l’appel au secours des pauvres et des défavorisés que l’aide emmitouflée dans des concepts académiques. Grâce à une vision collective, nous sommes appelés à créer l’histoire et non seulement à l’accepter en la racontant comme une dizaine de chapelet apprise par coeur. Soulignons que nos membres contribuent à la mise en oeuvre d’un journal à mission politique, Our Voice / Notre Voix. Depuis plus de vingt ans, cette publication remet en question le discours formel et fait de l’expérience vécue notre priorité. En tant qu’intervenant, je me suis vite aperçu que même si je pouvais m’identifier aux douleurs et aux souffrances des membres du GSE, j’exerçais trop de pouvoir sur eux. Il nous fallait créer un moyen pour remédier à cette situation d’inégalité. C’est alors que j’ai mis en place le Programme des entraidants et du bénévolat communautaire et le Club du weekend. Ces initiatives constituent une réponse au fait que l’aide, quelle qu’elle soit, n’est pas égalitaire au départ. Ces programmes constituent des moyens de réduire les inégalités de pouvoir et de rendre les budgets flexibles, …

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