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Si vous êtes déjà convaincu que le monde va mal, très mal, et que vous aimez qu’on vous le confirme par écrit, alors il faut lire L’Horreur managériale. Vous y trouverez le confort chaud de l’idéologie qui affirme ce que vous voulez entendre. Vous découvrirez même une plume élégante qui, par ses qualités, accentue la perspicacité du propos avec lequel vous êtes a priori d’accord.

Si vous n’en êtes pas tout à fait persuadé, mais que vous avez envie de vous laisser séduire par un discours qui, lui, est riche de toute la rhétorique qui est susceptible de vous entraîner, alors il faut lire L’Horreur managériale. Vous serez exposé à une multitude de répétitions, bien orientées, qui varient magiquement grâce au talent de l’auteur, à un point tel que vous entendrez plus aisément les variations que le thème.

Si vous aimez les messages simples dans lesquels il y a, d’un côté, le mal et de l’autre, le bien, si vous appréciez en plus que, dans cette morale, il y ait un coupable et des victimes, sachant que vous faites partie des secondes, alors il faut lire L’Horreur managériale. Il y est écrit, noir sur blanc, que les managers sont responsables du mal de l’économie, de la douleur humaine, et qu’eux-mêmes peuvent souffrir de leur propre discipline.

Lire L’Horreur managériale, c’est comme pour le croyant, entrer dans une église dans laquelle le prêcheur dépeint une multitude de situations avec lesquelles on peut s’identifier, dans lesquelles on reconnaît la finesse de l’observateur. Toutes ces illustrations témoignent d’une évidente pertinence, mais elles ne sont jamais la preuve de l’existence de Dieu ni de la nécessité de croire. Et pourtant, en admettant la justesse des exemples qui se succèdent, on consacre souvent le dogme du prédicateur.

Il y a dans L’Horreur managériale de belles pages sur l’insensibilité des gestionnaires; il y a une belle critique des gérants qui adhèrent trop intimement aux impératifs d’une économie de marché. Tout cela est touchant. Et parce qu’on a soi-même été témoin de décisions institutionnelles arides, on est forcé de donner quelque crédibilité à l’ouvrage. Mais on est toujours dans le discours de persuasion, jamais dans celui de la démonstration. C’est sans doute ce qui rend le livre si attrayant. Le lecteur exigeant ne verra jamais dans cet essai que le monde va à la fois bien et mal, que les causes de l’état du monde sont nombreuses et que leurs connexions sont complexes, parfois durables, parfois non, que le pouvoir des managers est bien réel, mais qu’il est soumis à des contrepouvoirs non moins manifestes, que si tout l’univers des entreprises comporte une dimension économique, il n’y est pas réductible, que les idées économicistes sont en concurrence avec bien d’autres, notamment avec celles de Rodin, l’auteur de L’Horreur managériale.