Lu pour vous

GOTZSCHE, Peter C. (2015). [Traduction Fernand Turcotte], Remèdes mortels et crime organisé ― Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé, Québec, Presses de l’Université Laval, 454 p.[Record]

  • Jean-Luc Pinard

Résister aux dérives du courant actuel de la médicalisation représente un enjeu de taille pour les intervenants des réseaux de santé. Peter Gotzche invite à cette résistance dans Remèdes mortels et crime organisé— Comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé (v.o. Deadly medicines and organized crime — How big pharma has corrupted healthcare [2013]). L’auteur y décrit notamment comment les mécanismes par lesquels la profession médicale, les milieux de recherche et les agences gouvernementales de régulation du médicament agissent sous l’influence des grandes puissances de l’industrie pharmaceutique. Gotzche entend démontrer que par des procédés criminels et frauduleux quelques grandes corporations pharmaceutiques ont été responsables d’un nombre de morts plus considérable que toute autre organisation occidentale liée au crime organisé. S’appuyant sur une abondance de références tirées de revues scientifiques et médicales de prestige, l’auteur expose diverses « histoires d’horreur » qui mettent en cause la promotion et la vente de produits et de traitements médicaux. L’ouvrage s’ouvre sur quelques notes biographiques. Jeune professionnel arrivant sur le marché du travail, Gotzche a été lui-même impliqué dans un effort de mise en marché massive de certains médicaments sous de fausses représentations. Quelques années plus tard, il collabore à la mise sur pied de la Collaboration Cochrane, une organisation comptant plus de 37 000 membres issus des milieux de la recherche et des professions médicales dans plus de 130 pays et qui unissent leurs efforts pour produire des révisions indépendantes de recherches. L’organisme ouvre un accès public à un large éventail de données sur la santé et sur les meilleurs traitements. Ses membres ont tenu leur congrès international à Québec en 2013. Au fil de la lecture de Remèdes mortels et crime organisé, on découvre la réalité de l’emprise des compagnies pharmaceutiques, entre autres : des études cliniques tronquées ou falsifiées; des conflits d’intérêts au sein des périodiques scientifiques; une corruption des agences gouvernementales de régulation; une rétention des données de recherche; et une pluie abondante de faveurs et de cadeaux inondant l’ensemble du milieu médical. Gotzche appuie ses constats sur des exemples aisément repérables. La prédominance des essais pharmaceutiques commandités et dirigés par l’industrie serait le premier obstacle à une recherche rigoureuse. Progressivement, la corruption s’installe au sein des milieux universitaires et des revues spécialisées, générant notamment l’indignation et la démission de certains chercheurs et rédacteurs en chef soucieux d’intégrité professionnelle et de protection du public. Les questions que pose cet ouvrage font suite à un travail d’analyse critique des systèmes qu’on associe à l’approbation et à la mise en marché des médicaments. Certains de ses chapitres s’attardent sur des enjeux plus spécifiques. Qu’il s’agisse des aérosols contre l’asthme, des médicaments antitussifs, des anti-inflammatoires (AINS), des antidépresseurs ou des substances devant régulariser l’hypertension, Gotzche affirme que la plupart des médicaments mis sur le marché génèrent plus d’effets néfastes que de bienfaits pour la santé. Selon lui, très peu de patientes ou de patients en tirent des avantages. Les 21 chapitres de Remèdes mortels et crime organisé présentent des faits et une argumentation fondée sur une abondance de références dans un style où l’indignation est à peine retenue. Pour Gotzche, il y a déjà longtemps que le contrat social entre les chercheurs et les patients a été rompu (chapitre 5 et suivants) en vertu des nombreux conflits d’intérêts qui ont infecté les périodiques médicaux les plus influents. Les organismes de régulation de plusieurs pays auraient failli à leur mission et à leurs obligations envers les patients, notamment en se faisant complices des entraves à l’accès au public d’une quantité importante de données de recherche. L’auteur va plus loin (chapitre …