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Pauvreté, inégalités de revenu et santé : quels liens?Entrevue avec Dennis Raphael[Record]

  • Dahlia Namian

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  • Cette entrevue a été réalisée le 7 décembre 2018 et traduite de l’anglais par
    Dahlia Namian
    Professeure agrégée, École de service social, Université d’Ottawa

Entrevue avec Dennis Raphael, Professeur, Université York

Cela nous mène à nous poser la question : quelle est la solution? Beaucoup de gens comme moi disent qu’il faut des syndicats plus forts et un rééquilibrage du pouvoir entre l’État, la société civile et le secteur des entreprises. D’autres personnes vont insister sur un revenu universel grâce auquel on serait capable d’éliminer les sources les plus flagrantes de pauvreté. En Ontario, si on vous considère « apte à l’emploi », mais que vous recevez de l’aide sociale, vous recevez environ 7 000 $ par an, ce qui, bien évidemment, est une recette pour la maladie et la mort. Le revenu universel vous permettrait de passer alors de 7 000 $ à 14 000 $ ou 15 000 $ par an (Raphael et collab., 2018). Cette solution peut certainement empêcher les gens de tomber à la rue, voire de mourir de faim. Or la mise en place d’un revenu universel ne va pas pour autant à la source du problème, à savoir, les bas salaires et le déséquilibre des pouvoirs dans la société. Donc, même si on met en place un revenu de base, il y a selon moi deux problèmes. Premièrement, les personnes resteront sous le seuil de pauvreté, de sorte qu’elles seront entre autres toujours à plus haut risque de maladie. Deuxièmement, cette mesure peut en venir à détourner l’attention des véritables causes de la pauvreté, à savoir les bas salaires, le travail précaire, le manque de logements et de garderies accessibles, etc. Ce qui est important à considérer, c’est que le revenu universel ne devrait pas se substituer à toutes ces choses. On s’intéresse de plus en plus au revenu universel au sein de la littérature universitaire, mais cette dernière ne remet pourtant pas en cause ces autres problèmes structurels, dont le travail précaire ou les bas salaires. La seule critique réelle ne vient pas du monde universitaire, mais de certains mouvements sociaux, notamment de l’Ontario Coalition against Poverty — OCAP (2017). Il s’agit selon moi d’une politique publique générale qui vient réduire le rôle de l’État dans la régulation de l’économie et ses dépenses sociales en termes de logements abordables, de formation professionnelle, de garderies, et cela, dans un contexte où le secteur des entreprises continue de supprimer les salaires et d’aggraver en toute impunité les conditions de travail. Si la tendance se maintient, nous observerons dans un proche avenir une régression ou une diminution constante des dépenses en programmes et en services publics. Les travailleuses sociales et travailleurs sociaux constituent une partie importante de la société. Elles et ils possèdent non seulement l’expertise, mais également la capacité de résoudre publiquement les problèmes liés aux déterminants sociaux de la santé. À mon avis, le problème est que les déterminants sociaux de la santé portent le mot « santé » et que, lorsque vous parlez de santé, les professions médicales ont tendance à écarter le travail social… Comme toute autre chose, la santé est un domaine encombré; les médecins, les épidémiologistes, les infirmières et autres professions reliées à la santé ne veulent pas forcément que les travailleuses sociales et travailleurs sociaux aillent sur leur territoire. Or si vous regardez ce que les travailleuses sociales et travailleurs sociaux sont censés faire, leur rôle touche directement aux déterminants sociaux de la santé, même s’ils ne les appellent pas toujours ainsi. Encore une fois, le travail social a le potentiel d’influencer les pratiques quotidiennes, d’influencer le pouvoir des communautés et d’ouvrir une tribune aux associations et à toutes celles et à tous ceux qui militent pour la réduction de la pauvreté, l’accessibilité au logement ou l’amélioration des conditions de …

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