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Introduction

La reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique au Canada n’est pas un phénomène nouveau. Les travaux de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le multiculturalisme (1963-1971), la proclamation de la Loi sur les langues officielles (1969) et la mise sur pied du Commissariat aux langues officielles (1988) ont débouché sur une politique linguistique au pays. En 1988, la Loi sur les langues officielles est modifiée afin de répondre aux exigences de la Charte canadienne des droits et libertés. En 2005, elle est modifiée à nouveau pour concrétiser l’engagement du gouvernement fédéral à promouvoir la dualité linguistique et le développement des communautés. En 2003, le Plan d’action pour les langues officielles (2003-2008) favorise le double héritage des deux langues officielles. Il prévoit cinq domaines prioritaires pour mieux répondre aux besoins des communautés en situation linguistique minoritaire, à savoir, la petite enfance; la santé; la justice; l’immigration; le développement économique.

En dépit de ces démarches politiques, les écrits scientifiques soutiennent que les besoins en matière de services sociaux et de santé des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) ne sont pas encore adéquatement satisfaits (Beaulieu, 2010; Boileau, 2009; Bowen, 2001; Comité consultatif, 2007; Corbeil, Grenier, Lafrenière, 2007). Les auteurs suggèrent que des changements profonds sont requis dans les systèmes pour que soient offerts en français des services sociaux et de santé de haute qualité. De plus, d’autres auteurs soulignent le besoin de sensibiliser les professionnelles et professionnels aux dimensions culturelles de leurs clientes ou clients, telles que l’ethnie, le genre, la culture, la religion et les convictions politiques (Bednarz, Schim et Doorenbos, 2010; American Academy of Nursing, 2010; Coutu-Wakulczyk, 2003).

Pour bien situer le contexte et les assises des lignes directrices qui font l’objet du présent article, nous reprenons d’abord les résultats d’une recension des écrits portant sur la compétence linguistique et culturelle. Cette recension a eu pour résultat la réalisation d’un sondage mené auprès des enseignantes et enseignants des programmes francophones de santé et de service social au Canada (Benoît, et collab., accepté) afin de connaitre l’état actuel de la formation à l’offre active de services en français au Canada. Ces travaux nous ont permis de formuler des recommandations ou lignes directrices visant à faciliter la formation à l’offre active. Nous espérons qu’elles pallient un manque de modèles sur lesquels pourrait s’appuyer la formation des futurs professionnelles et professionnels des services sociaux et de santé.

Problématique

Le concept de l’offre active vise à mieux répondre aux besoins de santé et de services sociaux des CFSM. L’offre active se définit d’une part comme « une invitation, verbale ou écrite, à s’exprimer dans la langue officielle de son choix » (Bouchard, et collab., 2012, p. 46). Le Commissariat aux services en français de l’Ontario (2008, p.15) précise que « dans un contexte de majorité linguistique, s’il y a une demande, il y aura de l’offre. En matière de services en français, il faut plutôt de l’offre pour qu’il y ait de la demande ». D’autre part, le Consortium national de formation en santé (CNFS, 2012, p.10) propose une définition plus large et plus englobante de l’ensemble des dimensions de l’offre active et énonce :

L’offre active de services de santé de qualité en français ne se borne pas à offrir des services dans la langue du patient; elle comprend aussi une approche globale de la planification et de la prestation des services de santé destinés à une communauté en milieu minoritaire. Il s’agit d’une approche proactive qui tient compte de l’état de santé de la communauté et de son manque historique de services de santé en français. Cette approche fait appel à la mobilisation de la communauté; elle tient compte de la diversité culturelle des patients ou bénéficiaires; elle s’inscrit dans une perspective éthique; elle met en place des mesures positives d’intervention, au besoin; et elle vise à assurer la qualité des services et l’équité des bénéfices auxquels ont droit tous les citoyens francophones du Canada, peu importe leur situation minoritaire.

On en déduit que l’offre active dépasse la seule présence d’intervenants bilingues; elle demande une compréhension des aspects culturels des CFSM liés, entre autres, à l’insécurité linguistique (Desabrais, 2010), à la diglossie entre la langue majoritaire et la langue minoritaire (Landry, Allard et Deveau, 2008) et à l’historique de manque de services.

Les professionnelles et professionnels qui oeuvrent en contexte francophone minoritaire font face à de nombreux défis dans leur offre active de services en français. Ces défis peuvent être d’ordre linguistique ou organisationnel.

Sur le plan linguistique, par exemple, des professionnelles ou professionnels de la santé, de langue maternelle française, peuvent éprouver de la difficulté à utiliser leur propre langue au travail. Certains, ayant fait leurs études en anglais, ne connaissent pas la terminologie professionnelle en français; d’autres ont perdu l’usage du français et se sentent mal à l’aise lorsqu’ils s’expriment dans cette langue (Beaulieu, 2010; Irvine, et collab., 2006). D’autres défis sont d’ordre administratif ou culturel. Dans l’étude de Drolet et collab. (2014) portant particulièrement sur les défis de la langue, les personnes rencontrées mentionnent qu’elles composent régulièrement avec une clientèle aux compétences linguistiques diversifiées ou limitées. En effet, le phénomène de la mondialisation et celui de la diversité culturelle associés à celui de l’immigration font en sorte que les communautés francophones du Canada sont de plus en plus hétérogènes (Landry, Allard et Deveau, 2010; Corbeil et Lafrenière, 2010).

Sur le plan organisationnel, dans l’étude de Drolet et collab. (2014), les résultats présentent une pénurie de ressources et de personnel francophone ou bilingue capables d’offrir des services complets ou spécialisés en français, et d’organismes francophones ou bilingues où peut être dirigée la clientèle. Cette situation est décrite comme un obstacle à une intervention complète en langue française. De plus, le soutien de l’employeur n’est pas toujours présent et l’importance du service en français n’est pas toujours reconnue (Bouchard et Vézina, 2009).

D’autres facteurs soulignent des éléments de succès pour assurer une continuité de services en français, comme la présence de réseautage ou de capital social entre les professionnelles et professionnels (Savard, et collab., accepté).

Notre présupposé de recherche est que les CFSM forment un groupe culturel rassemblé par une même langue, le français, et qui présentent différentes réalités culturelles. Dans le contexte de la dualité linguistique canadienne, il est donc important de réviser la situation qui prévaut dans les domaines de la santé et des services sociaux pour assurer l’accessibilité, la sécurité, la qualité et l’équité des services pour tous les membres des CFSM.

Afin de fournir des soins et des services adaptés, et d’assurer leur efficacité, il devient essentiel de conscientiser les professionnelles et professionnels des services sociaux et de santé aux enjeux culturels et linguistiques. Et cela prévaut tant sur le plan des services à offrir que sur celui de la formation (Coutu-Wakulczyk, 2003). Betancourt et Green (2010) soutiennent que la compétence culturelle et linguistique représente un fondement important pour les domaines du service social et de la santé ainsi qu’une habileté centrale au professionnalisme et à la qualité des soins et des services. Ils ajoutent que la formation à la compétence culturelle et linguistique devrait figurer parmi les normes, au même titre que tout autre contenu éducatif. En ce sens, l’American Office of Minority Health (2001) a établi des normes entourant la compétence culturelle et linguistique pour les professionnelles et professionnels de la santé.

Au Canada, une importance a également été accordée à la formation en français en santé et en service social, au recrutement d’étudiantes et d’étudiants et à la rétention des professionnelles et professionnels dans les CFSM. Entre autres, le Consortium national de formation en santé (CNFS) a vu le jour en 1999, regroupant 11 institutions postsecondaires pouvant offrir de la formation en santé en français pour les francophones et francophiles de toutes origines. Il a comme mandat d’appuyer la formation professionnelle dans les champs de la santé et du service social ainsi que la recherche portant sur la formation dans ces domaines dans le but d’améliorer les services.

Une étude pancanadienne menée par Bouchard et Vézina (2009) montre toutefois que, même formés en français, les nouveaux professionnelles et professionnels francophones et francophiles sont peu outillés pour reconnaître les enjeux liés à l’offre active de services de santé en français et pour poser des gestes concrets afin d’améliorer la situation. Il y aurait donc lieu, au cours de leur formation, de mieux les préparer à intervenir en contexte minoritaire.

C’est donc dans cette optique, et dans le but ultime d’offrir des services de qualité en français pour répondre aux besoins des CFSM, que nous proposons des lignes directrices entourant la création de programmes collégiaux et universitaires de formation à l’offre active de services sociaux et de santé en français pour les futurs professionnelles et professionnels de la santé et des services sociaux (Annexe 1).

Méthodologie

La rédaction de telles lignes directrices fait partie de la phase des recommandations de l’étude sur les approches pédagogiques et les contenus de formation dans les programmes de santé et de service social en milieu minoritaire francophone au Canada rapportés dans l’article de Benoît et collab. (2014). Cette étude exploratoire s’est déroulée en deux phases : une phase théorique consistant en une recension exhaustive des écrits et une phase empirique consistant en un sondage mené auprès de formatrices ou de formateurs à l’aide d’un questionnaire créé à partir des éléments de la recension. Les questions du sondage portaient sur les huit items suivants :

  1. les caractéristiques démographiques des formatrices ou formateurs;

  2. la formation reçue par les formatrices ou formateurs sur six thèmes (les besoins de services sociaux et de santé des francophones en situation minoritaire; les déterminants de la santé en contexte francophone minoritaire; les stratégies d’enseignement; la compétence culturelle; la compétence linguistique; et l’offre active);

  3. les croyances et valeurs personnelles des formatrices ou formateurs quant aux services sociaux et de santé en français;

  4. les contenus de cours sur les CFSM (savoirs, savoir-faire et savoir-être) présents dans les cours offerts par les répondantes ou les répondants;

  5. le matériel pédagogique utilisé ou disponible pour enseigner ces contenus;

  6. le cadre de formation dans lequel les particularités et besoins des CFSM sont étudiés;

  7. les activités pédagogiques dans lesquelles les CFSM sont étudiées;

  8. l’appui et l’engagement du milieu de travail facilitant l’enseignement de contenus liés aux CFSM.

À partir des résultats de cette première étude, nous avons fait appel à un groupe pancanadien d’expertes et d’experts en éducation universitaire, groupe composé de six professeures ou professeurs et de trois étudiantes. Les professeures ou professeurs d’établissements postsecondaires de différentes régions du Canada (Alberta, Ontario, Nouveau-Brunswick) ont été contactés à partir d’une liste de partenaires francophones en milieu minoritaire établie par le CNFS. Les trois étudiantes provenaient du second cycle dans le domaine de la santé et travaillaient déjà avec professeures et professeurs de l’équipe d’expertes et d’experts. Ce groupe s’est rencontré par vidéoconférence organisée à partir de l’Université d’Ottawa, au moyen d’Adobe Connect, pour une durée de deux heures. Une semaine avant la rencontre, tous avaient reçu les résultats de l’enquête, de même que les questions qui allaient être posées durant la rencontre en ligne.

Les objectifs de rencontre avec ce groupe d’expertes et d’experts étaient de présenter les résultats du sondage globalement et d’en discuter question par question, et aussi d’obtenir leur opinion sur les résultats, d’identifier les lacunes et les façons de les combler, de même que d’identifier les dimensions clés à retenir pour la préparation de lignes directrices.

Les questions posées aux expertes et aux experts étaient les suivantes :

  1. D’après vous, dans les résultats reliés à la formation qui devrait être données aux formatrices ou formateurs, lesquels devrions-nous adopter et dans quel ordre d’importance?

  2. D’après vous, dans les résultats reliés aux savoirs, lesquels devrions-nous adopter et dans quel ordre d’importance?

  3. D’après vous, dans les résultats reliés aux savoir-faire, lesquels devrions-nous adopter et dans quel ordre d’importance?

  4. D’après vous, dans les résultats reliés aux savoir-être, lesquels devrions-nous adopter et dans quel ordre d’importance?

  5. D’après vous, dans les résultats reliés au cadre de formation, lesquels devrions-nous adopter et dans quel ordre d’importance?

  6. D’après vous, dans les résultats reliés aux activités pédagogiques, lesquels devrions-nous adopter et dans quel ordre d’importance?

En ce qui concerne l’appui de l’institution dans laquelle une formatrice ou un formateur enseigne, quelles seraient les meilleures stratégies à implanter?

Les réponses et réflexions ont été recueillies par deux stratégies de collecte, à savoir, la prise de notes par deux chercheuses de l’équipe durant la rencontre et l’enregistrement audio de la conférence. La session a été animée par l’auteure principale et bien que nous voulions une discussion ouverte, l’animatrice avait prédéfini la séquence des questions et la durée de réflexion de chacune des questions.

L’analyse des données s’est faite à partir des notes recueillies et du verbatim de l’enregistrement de cette réflexion collective. Nous avons effectué une analyse de contenu (directed content analysis [Hsieh et Shannon, 2005]) de l’ensemble des réflexions des participantes et participants, guidée par les résultats de la recension et du sondage. Plusieurs grandes catégories ont été identifiées. Elles situent les points névralgiques et essentiels pour assurer une formation à l’offre active dans les milieux de formation postsecondaires. Par exemple, nous avons identifié quatre catégories, ou points d’ancrage, articulés autour des niveaux d’appuis nécessaires : 1. l’appui de l’institution; 2. l’appui des facultés et départements; 3. l’appui des programmes de cours; 4. l’appui aux enseignantes et enseignants. Une cinquième catégorie ou point d’ancrage représente les stratégies pédagogiques comme résultats des appuis organisationnels afin d’arriver au succès pédagogique souhaité.

À la suite de cette analyse, l’équipe de recherche a rédigé une première ébauche des lignes directrices qu’elle a partagée par courriel avec le groupe d’expertes et d’experts pour lui permettre de renforcer la crédibilité de son contenu. Finalement, les lignes directrices ont été complétées par consensus entre l’équipe de recherche et le groupe d’expertes et d’experts, par diverses méthodes de consultation (courriels, téléphones, etc.).

Résultats

Les lignes directrices pour la formation à l’offre active de services sociaux et de santé en français sont présentées à l’Annexe 1. Elles s’appuient sur des éléments-clés du sondage, de la recension des écrits et de la réflexion entre les expertes et experts et l’équipe de recherche et se déclinent autour de nos cinq points d’ancrage.

1. Appui de l’institution

Selon la recension des écrits, un grand défi de l’implantation d’une formation sur la compétence culturelle et linguistique ou sur l’offre active de services réside dans l’initiative du personnel et de l’institution d’enseignement; dans l’obtention du soutien administratif; dans l’obtention d’un financement continu; dans l’espace d’enseignement à l’intérieur du curriculum; dans l’accès aux communautés et les habiletés pour engager ces communautés; et dans le manque de sophistication et de rigueur dans les méthodes d’enseignement (Carter-Pokras, et collab., 2010). Parmi les stratégies proposées pour relever ces défis se trouvent l’identification de sources de financement (Carter-Pokras, et collab., 2010); l’identification d’une personne-clé pour revendiquer la compétence culturelle et linguistique (Butler, et collab., 2011); l’évaluation des compétences des étudiantes et des étudiants (Butler, et collab., 2011; American Association of Colleges of Nursing, 2008); l’embauche de professeures ou de professeurs de bagages culturels différents (Butler, et collab., 2011; American Association of Colleges of Nursing, 2008; Seneque, 2010); l’immersion des étudiantes et des étudiants dans des communautés culturelles différentes lors des stages (Butler, et collab., 2011); et la formation obligatoire pour le corps professoral (Butler, et collab., 2011; Seneque, 2010; Sumpter et Carthon, 2011).

Les résultats du sondage auprès des formatrices ou des formateurs canadiens indiquent toutefois qu’ils reçoivent un bon appui de la part de leur établissement d’enseignement, mais qu’ils n’ont pas toujours accès à du matériel pédagogique en français (Benoît, et collab., accepté).

Le premier niveau des lignes directrices recommande ainsi que l’établissement d’enseignement identifie la formation pour la francophonie en situation minoritaire comme une de ses responsabilités, qu’il réserve des fonds appropriés pour le développement de ressources éducatives en français pour la formation professionnelle à l’offre active et qu’il sensibilise les éducatrices et éducateurs à l’importance de l’offre active (voir Annexe 1, niveau 1 a, b, c).

2. Appui des facultés et départements

Les écrits identifient trois types de curricula pour développer la compétence culturelle et linguistique, soit le curriculum à intégration horizontale de contenu, le curriculum à intégration à court terme et unique et le curriculum intégrant des modules de formation sur la compétence culturelle. La plupart des auteures ou auteurs sont d’avis que la compétence culturelle et linguistique doit être intégrée dans plusieurs cours selon un curriculum à intégration horizontale (Tuck, Moon et Alloca, 2010; Sumpter et Carthon, 2011), c’est-à-dire, tout au long de la formation. Selon Sasnett, Royal et Ross (2010), une intervention à court terme et ponctuelle mène difficilement à un apprentissage face à un objectif de formation.

Dans le cadre du sondage auprès des formatrices et des formateurs, la moitié des répondantes ou répondants soulignent qu’au sein de leur département, les contenus de formation relatifs aux besoins des CFSM sont présentés dans le cadre de plusieurs cours alors que d’autres affirment qu’ils sont surtout intégrés aux expériences de stage. Peu de répondantes ou de répondants indiquent que cette formation fait partie de l’ensemble du curriculum (Benoît, et collab., accepté).

Le deuxième niveau des lignes directrices recommande ainsi que les facultés et les départements de service social et de santé identifient au moins un objectif général de programme de formation sur l’offre active pour l’ensemble de leurs programmes et qu’ils forment le corps professoral aux savoirs, savoir-faire et savoir-être en lien avec l’offre active (voir Annexe 1, niveau 2 a, b).

3. Appui du programme d’études

Les écrits scientifiques identifient également des contenus spécifiques pour une formation à la compétence culturelle et linguistique, telles une prise de conscience de soi et de sa propre langue et culture; une ouverture d’esprit; une connaissance d’autres cultures; une connaissance de l’environnement socio-politicoéconomique; des attitudes qui favorisent la communication interculturelle; des habiletés cliniques interculturelles et de revendication; et l’utilisation d’interprètes lorsque nécessaire (Axtell, Avery et Westra, 2010; Crenshaw, et collab., 2011; Butler, et collab., 2011). Plus précisément, Gustafson et Reitmanova (2010) proposent dix critères caractérisant les approches pédagogiques, la structure du curriculum, le contenu des cours et les principes théoriques de la diversité culturelle selon une approche critique de la culture (p. 818-819 [traduction libre]) :

  1. incorporer la notion de la diversité culturelle dans l’ensemble du curriculum, et ce, d’une façon interdisciplinaire;

  2. définir la culture comme un mouvement fluide de relation et d’être, reflétant toutes les dimensions de la diversité humaine : le genre, la race, l’ethnicité et la nationalité;

  3. donner l’occasion aux étudiantes ou aux étudiants d’effectuer des stages cliniques prolongés auprès de groupes culturels différents afin de faciliter une compréhension approfondie des communautés auxquelles appartiennent les personnes traitées;

  4. donner l’occasion aux étudiantes ou aux étudiants et aux formatrices et aux formateurs d’explorer comment les valeurs, attitudes et pratiques de la culture dominante influencent le curriculum;

  5. engager les étudiantes et les étudiants à mener une réflexion critique et à s’engager dans des discussions sur l’inégalité des pouvoirs, des ressources, sur la discrimination et l’oppression qui contribuent à la disparité face à la santé et à l’accès aux soins de santé;

  6. engager les étudiantes et les étudiants et les formatrices et les formateurs à effectuer une évaluation critique de leur propre identité culturelle et à découvrir comment celle-ci influence leurs actions en classe et en milieu clinique, en relation avec leurs pairs, leurs superviseurs et leurs clientes ou clients;

  7. permettre aux étudiantes et aux étudiants de développer des habiletés de communication et de négociation sur le sens qui est donné à l’expérience de la maladie par la personne, et ce, au sein de différentes populations;

  8. créer des situations d’apprentissage sur un ensemble d’environnements à l’intérieur et à l’extérieur du milieu éducationnel et des organismes de santé afin d’intégrer l’apprentissage didactique avec l’apprentissage expérientiel;

  9. tirer profit des équipes interdisciplinaires dans des communautés variées;

  10. évaluer l’apprentissage des étudiantes et des étudiants en matière de diversité culturelle par des commentaires formatifs et sommatifs sur l’attention à la signification de la santé et de la maladie selon la culture, une pratique socialement responsable et des connaissances sur les contraintes structurelles, politiques et historiques qui marginalisent et désavantagent les patientes, patients et populations.

Ces critères ont été très utiles pour situer les principes théoriques de la diversité culturelle selon une approche critique de la culture en lien avec les approches pédagogiques, la structure du curriculum et le contenu des cours.

Dans le cadre du sondage mené auprès du corps professoral, parmi les contenus de formation reliés au « savoir » que les répondantes et répondants soulignent intégrer dans leurs cours, l’approche centrée sur la personne est celui qui est le plus souvent cité, suivi de l’importance d’offrir des services en français et de l’importance du service de qualité égale dans les deux langues officielles du pays. Les contenus liés aux droits linguistiques des communautés francophones en situation minoritaire, à la compétence culturelle et à la notion de culture des CFSM font moins souvent partie des cours offerts. En ce qui concerne les savoir-faire, l’acquisition d’habiletés de communication en français pour favoriser une bonne relation avec la clientèle francophone en situation minoritaire et l’acquisition d’habiletés de leadership sont les plus souvent enseignées, alors que la capacité de réseautage et l’utilisation d’interprètes le sont le moins souvent. Les contenus reliés aux savoir-être comprennent la conscientisation à l’éthique professionnelle liée à la compétence culturelle et linguistique; une meilleure connaissance de soi et de son système personnel de valeurs; la pratique réflexive en contexte minoritaire francophone; la pensée critique par rapport à l’offre active des services sociaux et de santé en français; et la sensibilisation à l’offre active continue de services sociaux et de santé en français. Selon les répondantes ou répondants, tous ces contenus sont souvent intégrés dans les cours (Benoît, et collab., accepté).

Le troisième niveau des lignes directrices recommande alors que le programme d’étude identifie des contenus spécifiques pour les programmes de formation en service social et en santé en lien avec l’offre active en assurant que les contenus de formation soient en lien avec les trois dimensions de l’offre active : 1. les savoirs, soit les connaissances en lien avec l’offre active; 2. les savoir-faire ou les compétences en lien avec l’offre active; 3. les savoir-être, c’est-à-dire les attitudes en lien avec l’offre active (voir Annexe 1, niveau 3 a, b). Ces savoirs conduiraient aux comportements d’offre active (Savard et collab, 2014) que devraient pouvoir démontrer les professionnelles et professionnels de la santé et des services sociaux en contexte francophone minoritaire.

4. Appui aux formatrices ou formateurs

Dans les écrits, il est mentionné qu’une part importante de la réussite d’implantation d’une formation à la compétence culturelle et linguistique concerne l’engagement et le leadership du corps professoral. Dès lors, une formation devrait être offerte aux formatrices et aux formateurs pour les outiller dans leur enseignement et les amener à développer, entre autres, une conscience de soi (Gustafson et Reitmanova, 2010; Waite et Calamaro, 2010). Cette formation peut prendre la forme d’un cours annuel sur le sujet (Butler, et collab., 2011), d’une formation rigoureuse ou d’activités de formation continue (Seneque, 2010) ou encore, de mentorat (American Association of Colleges of Nursing, 2008; Association of American Medical Colleges, 2005). Butler et collab. (2011) proposent également l’identification d’une personne-clé qui prendrait le dossier en main et qui servirait de guide ou de mentor pour ses collègues.

Dans le questionnaire adressé aux corps professoraux, un grand nombre de répondantes ou répondants affirment ne pas avoir reçu de formation au sujet des déterminants de la santé, des besoins de services sociaux et de santé des francophones minoritaires, de la compétence linguistique et culturelle, de l’offre active de services en français ou des stratégies d’enseignement favorisant la formation des futurs professionnelles et professionnels à oeuvrer auprès de CFSM. Cependant, plus de la moitié d’entre eux souhaiterait recevoir de la formation sur ces différents thèmes dans le but de nourrir leurs propres connaissances et leur sensibilisation aux minorités francophones de même que pour améliorer leur pratique d’enseignement auprès de leurs étudiantes et étudiants. La plupart reconnaissent également que cela fait partie de leurs responsabilités de former les futurs professionnelles et professionnels des services sociaux et de santé à oeuvrer en milieu minoritaire francophone. D’autres soulignent toutefois, comme raisons de ne pas s’intéresser à recevoir ce genre de formation, le manque de temps, le fait qu’ils n’ont pas à enseigner cette matière dans leurs cours ou qu’ils se sentent déjà assez compétentes ou compétents (Benoît, et collab., accepté).

Le quatrième niveau des lignes directrices identifie plus spécifiquement les savoirs, savoir-faire et savoir-être à inclure dans une formation à l’offre active pour le corps professoral universitaire et collégial (voir Annexe 1, niveau 4 a, b, c). Cette formation pourrait être offerte par les programmes, départements, facultés ou par l’institution et pourrait être justifiée dans la formation continue du corps professoral. Cette formation faciliterait l’accès des formatrices et des formateurs aux savoirs, leur permettrait de démontrer les comportements facilitant l’offre active et les sensibiliserait aux besoins des CFSM et aux attitudes en lien avec l’offre active les amenant à valoriser les savoir-être.

5. Stratégies pédagogiques

Les écrits scientifiques proposent également des stratégies d’enseignement ou d’apprentissage pour favoriser le développement de la compétence culturelle et linguistique. Outre les cours théoriques, il y a les expériences de stage (Amerson, 2010); le mentorat (Seneque, 2010; Gustafson et Reitmanova, 2010; Campinha-Bacote, 2010; Lujan et Vasquez, 2010; Kaul et Guiton, 2010); l’immersion culturelle dans un milieu étranger ou différent de celui de l’étudiant (Kamaka, 2010; Larson, Ott, et Miles, 2010; VanTyle, et collab., 2011); et l’implantation de modules associés à des exercices réflexifs (Vyas et Caligiuri, 2010).

Dans le cadre du sondage mené auprès du corps professoral, nous avons demandé aux répondantes et répondants d’indiquer les types d’activités qu’ils utilisent pour enseigner les contenus de formation liés aux CFSM. Le stage est de loin le plus fréquent, suivi par les études de cas (Benoît, et collab., accepté).

Le cinquième niveau des lignes directrices propose l’utilisation de stratégies pédagogiques privilégiées pour former les futurs professionnelles et professionnels du service social et de la santé à l’importance de l’offre active et à offrir des services de qualités en français. Ces stratégies incluent le stage dans une CFSM, des objectifs propres à l’offre et à la demande de services en français dans l’encadrement et l’évaluation des stages, une diversité de modalités pédagogiques ainsi que des modalités interactives qui suscitent la participation active des étudiantes et des étudiants. (voir Annexe 1, niveau 5)

Discussion, retombées et défis

Ces lignes directrices ont déjà été présentées dans différents contextes de formation et elles soulèvent un grand intérêt auprès du corps professoral et des autorités académiques (universités et collèges). Nous pouvons déjà remarquer que, d’une part, elles permettent de mieux situer dans la structure de l’organisation éducationnelle les points névralgiques autour desquels doivent être placés les efforts de développement de formation à l’offre active et, d’autre part, elles aident à bien cibler des éléments à développer dans les programmes. Ces premiers résultats sont importants, car ils répondent à un manque de connaissance sur l’enseignement de l’offre active dans les programmes de formation en santé et en service social au Canada. Il est maintenant reconnu (CNFS, 2012) que sans une bonne organisation des différentes dimensions de l’offre active catégorisées en types de savoirs, l’effort de former en français reste insuffisant pour préparer à travailler auprès des CFSM (Bouchard et Vezina, 2009). Ces lignes directrices ont aussi le mérite de proposer des appuis bien ciblés dans une organisation éducationnelle, en tenant compte des interactions du système éducationnel et des niveaux d’organisation et de pouvoir.

Nous remarquons qu’un principe central ressort de l’ensemble de notre recherche, soit l’importance de la formation des formatrices et des formateurs eux-mêmes. En effet, il est permis de croire que tout formatrice ou formateur qui ne connait ni ne comprend les trois savoirs reliés à l’offre active (CNFS, 2012) pourrait démontrer un manque d’objectifs reliés à l’offre active dans ses cours. Donc, pour bien assurer les assises d’une offre active de services intégrée à la formation professionnelle au Canada, nous insistons sur l’importance de la formation au niveau du corps professoral, tel que déjà souligné par le CNFS (2012) dans son Cadre de référence pour la formation à l’offre active des services de santé en français.

La mise sur pied d’une formation pour le corps professoral, appuyée par le département, la faculté ou l’institution tout entière, reste à être opérationnalisée et les démarches dans ce sens sont en cours d’être formalisées dans la plupart des institutions d’enseignement partenaires du CNFS. En janvier 2014, à l’Université d’Ottawa — où oeuvrent les auteures du présent article —, vingt professeures ou professeurs, coordonnatrices et coordonnateurs cliniques et trois étudiantes (sciences de la santé, médecine, travail social et psychologie) ont été réunis afin d’entamer une première réflexion sur l’appropriation de ces lignes directrices dans leur faculté ou département. Cette demi-journée de réflexion a permis de cibler certaines actions qui sont beaucoup de l’ordre de contenus et d’ajouts d’objectifs de cours, entre autres, offrir un cours facultaire obligatoire sur les particularités des CFSM et l’importance de l’offre active; intégrer des histoires de cas ou des exemples de situations cliniques qui mettent en valeur les particularités des CFSM et les défis d’accès à des services en français; rendre obligatoire au moins un stage dans un milieu francophone minoritaire où un critère serait la pratique de l’offre active de services en français ou dans les deux langues officielles; sensibiliser et former les superviseuses et superviseurs de stages, de même que les formatrices et formateurs et les futurs professionnelles et professionnels anglophones. Cette journée a aussi ciblé les personnes intéressées dans l’institution pour développer un plan d’action à court et à long terme.

Bien que la nécessité d’inclure une formation à l’offre active de services en français semble acceptée par l’ensemble des formatrices et des formateurs rencontrés au cours de cette recherche, sa mise en oeuvre pourrait comporter plusieurs défis qui sont similaires à ceux identifiés et qui semblent faire l’unanimité dans notre recension d’écrits sur la compétence linguistique et culturelle. Carter-Pokras, et collab. (2010) ont identifié six thématiques sur les défis d’implantation d’une formation aux professionnelles et professionnels des services sociaux et de la santé sur la compétence culturelle :

  1. obtenir le soutien administratif;

  2. soutenir l’élan;

  3. obtenir un financement continu;

  4. trouver de l’espace à l’intérieur du curriculum;

  5. donner l’accès aux communautés et les habiletés pour engager ces communautés;

  6. reconnaitre le manque de sophistication et de rigueur dans les méthodes d’enseignement.

Butler et collab. (2011) reconnaissent que le succès d’implantation dépend largement des éléments suivants : le leadership (dédié à la cause); l’identification d’une personne clé pour revendiquer la compétence culturelle; l’évaluation de ces apprentissages (propose une évaluation annuelle des compétences des étudiants); l’embauche de professeurs de bagages culturels différents; l’immersion des étudiants dans d’autres cultures lors des stages; et l’obligation pour tous les professeurs à suivre un cours annuel sur la compétence culturelle.

Les ordres professionnels de l’American Association of Colleges of Nursing (2008) et de l’Association of American Medical Colleges (2005) soulignent qu’il faut rechercher un engagement de l’organisation et un leadership pour créer une structure et un processus pour l’implantation du curriculum; allouer des fonds pour le développement du programme et du corps professoral; articuler le programme à tous les partenaires (étudiantes, étudiants, professeures, professeurs et communauté); développer des relations collaboratives pour recruter des étudiantes ou étudiants et pour augmenter le nombre de personnes diplômées; instaurer une politique d’exigence d’une langue étrangère pour les étudiantes ou étudiants; établir un plan d’évaluation pour mesurer les résultats (compétences); offrir du mentorat pour les professeures, professeurs, étudiantes et étudiants; offrir des expériences cliniques guidées; et recruter des professeures, professeurs, étudiantes et étudiants de cultures différentes.

Ces études et rapports font part de stratégies similaires et complémentaires aux lignes directrices que nous proposons dans le présent article, à savoir, une structure de développement à la formation à l’offre active pour les différents niveaux des institutions, pour le corps professoral et les futurs professionnelles et professionnels.

Conclusion

Les lignes directrices pour la formation à l’offre active de services sociaux et de santé en français ont été conçues comme outil de référence pour les milieux de formation et les milieux de stage. Elles ont comme objectif de guider les éducatrices et éducateurs ainsi que les directeurs et directrices des différents programmes de formation dans les domaines de la santé et des services sociaux, tout en leur permettant la flexibilité de les adapter selon leurs besoins et leur contexte particulier. Ces lignes directrices pourront être utilisées dans les milieux de formation en sciences sociales et de la santé dans les universités et collèges au Canada, afin que les formatrices ou formateurs et les personnes en instances décisionnelles puissent entrer dans cette démarche essentielle de formation aux savoirs des trois niveaux identifiés par notre équipe de travail, et ainsi, participer à l’élargissement de l’accès aux services en français pour les populations francophones en situation minoritaire au Canada.

Comme futures démarches, l’équipe de recherche va continuer à faciliter la formation du corps professoral universitaire et collégial par une intégration des savoirs, savoir-faire et savoir-être en lien avec l’offre active.