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Recherche sociale : de la problématique à la collecte de données est un ouvrage de référence bien connu des chercheurs et des étudiants au postsecondaire. Pour cette 7e édition, Isabelle Bourgeois, professeure agrégée à l’Université d’Ottawa, et codirectrice avec Benoit Gautier lors de l’édition précédente, assure, seule, la direction de l’ouvrage.

Soulignons d’emblée que la structure du livre comporte quatre parties et reflète celle de l’édition précédente, si ce n’est que certains titres ont été renommés « afin de moderniser le texte » (p. XVII). Dans les lignes qui suivent, nous ferons un survol des chapitres et nous soulignerons certaines modifications ou certains ajouts que comporte cette nouvelle édition.

Les deux premiers chapitres se veulent une introduction à la recherche sociale. Le chapitre « Qu’est-ce que la recherche sociale ? » définit les concepts et présente les chapitres subséquents. Le texte a été revu pour laisser tomber la notion d’objectivité de la recherche scientifique et la situer comme étant « une démarche intentionnelle systématique d’acquisition de connaissances ». Cette démarche, est-il établi, est empirique et vise « à répondre à une question factuelle » (p. 1-2). De plus, est-il encore établi, la recherche scientifique s’appuie sur deux postures épistémologiques — positiviste et interprétative — sur lesquelles reposera la démarche et le choix méthodologique de la recherche.

Le positivisme est associé aux principes des sciences naturelles ; il privilégie les méthodes quantitatives et « vise surtout à généraliser les résultats de la recherche à l’ensemble de la population, en établissant des relations causales ou des corrélations entre les variables d’intérêt » (p. 4). Dans cette perspective, il adoptera donc une démarche hypothético-déductive, fondée sur une question de recherche et des hypothèses.

Quant aux principes interprétativistes, « [ils] privilégient plutôt la cocréation des connaissances grâce aux échanges entre le personnel de recherche et les personnes touchées par le phénomène » (p. 4). Le but de l’approche interprétativiste — plutôt inductive — n’est pas de généraliser les résultats, mais bien de comprendre un phénomène en profondeur et de documenter l’expérience vécue par les participants.

Le chapitre « Les fondements de la connaissance » présente les sources de la connaissance et distingue les savoirs spontanés des savoirs raisonnés. Par ailleurs, l’étude de la science est abordée selon deux approches : l’approche sociohistorique à laquelle est associée la notion de paradigme développée par Thomas Khun et l’approche normative qui présente à la fois le critère de réfutabilité établi par Karl Popper et le concept de programme de recherche selon Imre Lakhatos. Enfin, les particularités et les enjeux propres aux sciences sociales ainsi qu’une remise en question des finalités de la recherche en sciences sociales viennent clore ce chapitre.

Partie 1. La problématisation

Cette première partie comporte quatre chapitres qui fournissent, de façon claire et détaillée, les éléments pour élaborer un projet de recherche. On notera, cependant, dans le chapitre « La formulation de la problématique », l’utilisation de façon synonyme de « problème de recherche », défini comme « un écart entre ce que nous savons et ce que nous désirons savoir » (p. 41) et de « problématique » (non définie) qui, traditionnellement, comprend les concepts, les théories, les questions, les méthodes et les hypothèses de la recherche. Par ailleurs, l’auteure établit que la problématisation peut se faire selon une logique déductive ou inductive (tout en les associant à des méthodes spécifiques) et que « l’approche choisie révèle d’une perspective épistémologique particulière et influence la question de recherche qui sera posée » (p. 58). C’est donc sur ces postulats que sont orientées les étapes de la problématisation de la recherche.

Le chapitre portant sur la recension des écrits et la recherche documentaire traite à la fois du processus cognitif et des techniques de recherche documentaire, et il constitue ainsi un excellent guide. Il aborde brièvement la question des fake sciences et des fake news, qui constituent de « nouveaux défis auxquels les étudiants sont confrontés » (p. 79).

Le chapitre sur la modélisation a complètement été revu pour présenter trois types de modèles et leur utilisation : thématique, formel et informatique. Les avancées en modélisation des systèmes complexes, qui amalgament des approches macroscopiques et microscopiques, font l’objet d’une nouvelle section.

Partie 2. La conceptualisation de l’étude

Cette partie qui constitue le lien entre la problématique et la collecte de données se divise en 5 chapitres dans lesquels sont présentées les différentes étapes de la conceptualisation. « La structure de la preuve » présente les techniques en lien avec le type des questions de recherche. Les chapitres « L’étude de cas », « La mesure » et « L’échantillonnage » ont été, pour certains, remaniés ou condensés, tout en conservant l’essentiel de leur contenu.

Enfin, le rôle des trois conseils sur la recherche au Canada ainsi que les questions de l’anonymat et du consentement lié à la conservation des données font partie des ajouts au chapitre « L’éthique en recherche sociale ».

Partie 3. La collecte de données

Dans l’ensemble, les chapitres qui ont trait à l’observation directe, à l’entrevue semi-dirigée, à l’approche (auto)biographique ont subi peu de modifications, sinon qu’ils sont beaucoup plus succincts.

Le chapitre sur les entretiens de groupe (intitulé « Le groupe de discussion dans l’édition précédente ») est rédigé par de nouvelles collaboratrices qui ont choisi de présenter l’entretien de groupe comme étant un outil de collecte de données, mais aussi comme un « dispositif de production de données » (p. 319). Les auteures mettent de côté les utilisations de l’entretien de groupe en marketing pour se concentrer sur son utilisation générale en recherche sociale. Elles décrivent les grandes étapes de la conception, de la planification et de la réalisation des entretiens de groupe.

Le chapitre « L’analyse documentaire » (intitulé « L’analyse de contenu », dans l’édition précédente) s’oriente vers une analyse qualitative des documents imprimés ou électroniques, en rappelant, toutefois, que les analyses quantitatives sont une pratique courante pour « résumer les tendances centrales » (p. 352), « [b]ien que ce type d’analyse soit contesté par les puristes qualitatifs » (p. 352).

Enfin, d’autres types d’analyse de données extraites de documents sont évoqués (les analyses de discours et l’analyse ethnographique) auxquels s’ajoute une section portant sur la revue de littérature systématique (pour reprendre les termes de l’auteure), un type d’analyse qui est utilisé en recherche sur la santé depuis une vingtaine d’années.

Le sondage fait l’objet d’un chapitre dans lequel sont décrites toutes les étapes de ce type de collecte, du devis de recherche jusqu’à l’utilisation du questionnaire. Quant au chapitre « Les données secondaires », il fournit un cadre d’évaluation de ce genre de données, en plus de traiter des problèmes et des questions éthiques que peut poser leur utilisation.

Partie 4. L’évolution des méthodes

La dernière partie du livre, intitulée « L’évolution des méthodes », au lieu de « Critique des méthodes », est divisée en cinq chapitres et demeure fidèle à l’édition précédente, si ce n’est de l’ajout du chapitre « Les enjeux contemporains de la recherche sociale ».

Plus succinct que dans la version antérieure, le chapitre sur la recherche-action présente un bref historique de l’approche, puis aborde ses trois finalités : l’action, la recherche et l’éducation. La recherche-action prend un sens différent selon la perspective qu’adoptent les praticiens-chercheurs et ces différentes conceptions sont expliquées en détail. Par ailleurs, les caractéristiques fondamentales des savoirs professionnels issus de la recherche-action ont été ajoutées à ce chapitre.

« L’objectivité de la science » aborde la question de la neutralité de la science du point de vue de la philosophie empirico-analytique en présentant sa logique et sa thèse pour démontrer que la science n’est pas exempte de valeurs et que la méthode scientifique « est mise en question pour l’étude de la pensée et de l’action des êtres humains » (p. 459). Ainsi, une nouvelle section portant sur la recherche du sens et de la signification fait état de la prémisse commune de certaines philosophies selon laquelle le but de la recherche est de comprendre le sens attribué par les sujets à leur environnement, tout en présentant le rapport dialectique individu/société.

Peu de changements ont été apportés aux chapitres « L’évaluation de la recherche par sondage » et « La recherche universitaire et la recherche organisationnelle ». Le premier propose un cadre d’évaluation de la recherche par sondage qui s’articule autour de six composantes, jumelé à quatre principes de base de la qualité d’une recherche. Le second aborde les particularités de la recherche sociale organisationnelle qui la distinguent de la recherche universitaire et présente, entre autres, certaines théories organisationnelles.

Cet ouvrage se termine par le chapitre « Les enjeux contemporains de la recherche sociale » qui traite des méthodes « qui ont été mises au point pour améliorer la validité des résultats de la recherche et donner une voix aux populations vulnérables auprès desquelles nous faisons de la recherche » (p. 507). On survole donc les méthodologies décolonisées, les recherches en contexte international et interculturel, les méthodologies féministes, la recherche participative, la méthode basée sur les arts, la numérisation de la recherche sociale, l’évolution de l’éthique de la recherche et, enfin, la diffusion des résultats et la démocratisation de la recherche.

Un avis mitigé

Conçu comme un outil pédagogique, ce livre sera utile aux étudiants du postsecondaire qui trouveront dans les parties qui traitent de la problématisation et de la collecte de données, les grands principes et les étapes de la recherche en sciences sociales.

Cependant, on peut se questionner sur la décision de la directrice de l’ouvrage d’opposer, dès le départ, le positivisme aux perspectives interprétatives, mais aussi de les associer à des méthodes particulières. Ce faisant, l’idée que la recherche scientifique en sciences sociales ne peut échapper à cette division épistémologique se voit renforcée : si elle suit la méthode scientifique des sciences naturelles, elle lui emprunte la démarche hypothético-déductive ; si elle s’y oppose parce qu’elle cherche à comprendre le fait social, elle adopte une démarche interprétativiste. C’est donc avec cette prémisse en tête que le lecteur abordera les chapitres suivants.

Malgré une volonté de réconcilier les deux perspectives en soulignant que « les attitudes ont évolué et [qu’]aujourd’hui, on retrouve de plus en plus de méthodes mixtes, qui permettent de jumeler certains principes positivistes et interprétativistes afin de profiter de chacune des épistémologies » (p. 5), l’ouvrage porte sur un faux débat. Ce n’est pas tant le décloisonnement des méthodes traditionnellement associées à une épistémologie particulière qui réconcilie des points de vue qui semblent incompatibles, mais bien la question de « science ». Comme le souligne Laflamme (2007), il s’agit plutôt de voir ces outils (qualitatifs et quantitatifs) comme appartenant à une même science, une science qui n’est ni totalement objective, ni totalement subjective et qui produit, à l’aide de ses modèles et de ses analyses (qualitatives ou quantitatives) des constructions du monde qui ne peuvent être une parfaite correspondance entre l’interprétation et son objet.

Il est vrai que la posture épistémologique peut orienter la question et l’usage de méthodes spécifiques, mais, bien souvent, ce sont aussi les questions de recherche qui orientent les choix de méthodes.