Abstracts
Résumé
Dans le cadre de la laïcité française, des aumôniers confessionnels sont présents dans les hôpitaux pour proposer des accompagnements spirituels et/ou religieux. Au CHU de Strasbourg, un service de cancérologie thoracique a fait le choix d’intégrer des aumôniers de plusieurs confessions dans ses réunions pluri-professionnelles. Quelles raisons ont bien pu amener ce service à intégrer des représentants du culte dans sa réunion pluridisciplinaire hebdomadaire ? Suite à quelles demandes, sur la base de quels protocoles et à partir de quels textes de références ? En vue de quels bénéfices pour le patient, les équipes médicales et soignantes, et les aumôniers ? Cet article vise à partager un retour d’expériences ainsi qu’une réflexion sur cette intégration des aumôniers dans une équipe pluri-professionnelle, au sein d’un hôpital public laïc français.
Mots-clés :
- aumônerie hospitalière,
- laïcité française,
- intégration des aumôniers dans le monde des soins,
- interdisciplinarité
Abstract
Within the framework of French secularism, faith-based chaplains are present in hospitals to offer spiritual and/or religious support. At Strasbourg University Hospital, a thoracic oncology department has chosen to include chaplains of several faiths in its multi-professional meeting. What reasons led this department to include religious representatives in its weekly multidisciplinary meeting? Following what requests, on the basis of what protocols and texts? What are the benefits for patients, medical and nursing teams, and chaplains? This article looks at the integration of chaplains into a multi-professional team in a French secular public hospital.
Keywords:
- healthcare chaplaincy,
- French secularism,
- integration of chaplains into the world of healthcare,
- interdisciplinarity
Article body
Introduction
« Pour comprendre comment l’appartenance religieuse et la spiritualité sont intégrées dans le modèle de soins, une bonne manière de procéder consiste à analyser comment la dimension religieuse et spirituelle est inscrite dans le cadre thérapeutique. » (Brandt 2017, 15)
En France, des aumôneries confessionnelles sont présentes dans les établissements de santé en vertu de la Loi de 1905, qui prononce la séparation de l’Église et de l’État et fonde la laïcité (dont le principe remonte à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789). La laïcité française, qui repose sur les principes de la distinction entre les institutions publiques et les organisations religieuses, ainsi que de la neutralité de l’État envers les religions, de l’égalité de tous les citoyens devant la loi (quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions), et de la liberté de conscience et de religion, garantit le libre exercice des cultes dans l’espace public et prévoit que chaque citoyen puisse rencontrer, au sein des établissements publics (tels que prisons, hôpitaux et lycées) ainsi qu’à l’armée, un représentant de son culte, afin de pratiquer sa religion. Toute personne hospitalisée qui en fait la demande doit pouvoir « exercer son culte[1] » et rencontrer les représentants religieux de sa confession.
Depuis la Loi Kouchner relative au droit des patients (2002), la confession des personnes n’est plus renseignée ni communiquée aux représentants du culte. Dans chacune de leur confession, les aumôniers interviennent à la demande, sur signalement de la famille et des proches, des membres ou des référents des communautés ecclésiales et religieuses d’appartenance, ou encore du personnel médical et soignant. Les accompagnements, aussi bien spirituels que religieux, sont du ressort de ces représentants du culte. Dans leur pratique, ces derniers sont ainsi amenés à rencontrer et à accompagner des personnes de diverses provenances, cultures et traditions, aux multiples sensibilités religieuses et spirituelles.
Dans l’exercice de leur fonction, les aumôniers constatent les effets de la sécularisation (Taylor 2011), de la désaffection religieuse et de la détraditionnalisation des croyances. Aujourd’hui, bon nombre de personnes n’entretiennent qu’un lien ténu, voire inexistant, avec les religions instituées. Plusieurs enquêtes sociologiques de ces dernières années soulignent cette désaffiliation, ce que confirme encore l’enquête de l’INSEE[2] sur la diversité religieuse parue le 30 mars 2023 (Drouhot et al. 2023 ; Portier et Willaime 2021 ; Bréchon 2014). Ces sondages montrent bien la diminution croissante, en France, du nombre d’individus qui déclarent appartenir à une confession particulière[3].
L’expérience des aumôniers hospitaliers corrobore ces sondages. Si les demandes d’ordre religieux tendent à diminuer, en revanche, celles d’accompagnements spirituels, quant à elles, se multiplient. Ne se reconnaissant pas (ou plus) dans les institutions ecclésiales, nombre de personnes aujourd’hui se disent « en recherche » ou en « quête spirituelle ». Elles préfèrent, aux formes traditionnelles instituées, des spiritualités aux contours plus souples, proches de leur pensée, de leurs attentes et de leurs souhaits (Lenoir 2019 ; Roy 2012).
Cet attrait contemporain pour la spiritualité rejoint une préoccupation du monde des soins qui, dès la fin des années 1960, cherche à accorder une place à la dimension religieuse et spirituelle dans la prise en charge des personnes hospitalisées. Dans sa philosophie des soins, Cicely Saunders accorde une attention particulière aux « souffrances spirituelles » des personnes en fin de vie, en plus de leurs souffrances physiques, psychologiques et sociales. Elle introduit la notion de total pain (« douleur totale » ou « souffrance globale »), qui inclut la spiritualité et la religion dans son approche holistique du soin compris comme care, opposé au cure qui désigne l’acte de soigner (Lamau 2014).
Le développement des sciences infirmières[4] et des soins palliatifs renforce cette prise en compte de la spiritualité dans les soins, en l’insérant dans la liste des besoins fondamentaux du patient. En plus des besoins physiques, psychiques et sociaux, les « besoins spirituels » constituent une dimension fondamentale, dont il faut tenir compte lors d’une hospitalisation. Cette attention à la religion et à la spiritualité dans le domaine des soins amène progressivement le monde médical et soignant à passer d’un modèle biopsychosocial à un autre tout à la fois biopsychosocial et spirituel (Rochat 2017 ; Cherblanc et Jobin 2013).
La prise en soins du patient comprend dès lors de multiples facettes, identifiées comme autant de besoins qui s’expriment et auxquels les équipes soignantes tentent de répondre. La spiritualité n’y fait pas exception. Selon le manuel de diagnostics infirmiers (NANDA-I[5]), l’hospitalisation d’une personne est susceptible d’entraîner une souffrance spécifique, qualifiée de « souffrance spirituelle » ou « détresse spirituelle[6] », que les acteurs du soin sont amenés à identifier en vue de la soulager. L’absence de prise en compte de la spiritualité ou de la religion du patient peut avoir toutes sortes de conséquences dont celle de ne pas détecter une détresse spirituelle ou religieuse.
Au vu de ces évolutions sociétales et dans le champ de la santé, des établissements hospitaliers de divers pays ont fait le choix d’intégrer au monde des soins, avec un vocabulaire et des modélisations proches du monde médical et soignant, des « accompagnants spirituels » ou des « intervenants en spiritualité »[7]. Cette intégration de la spiritualité au monde des soins a contribué à transformer l’exercice des aumôniers confessionnels et engendré de nouvelles pratiques. Dans son travail de thèse, Étienne Rochat présente le changement de paradigme qu’induit l’intégration de la spiritualité au monde des soins (Rochat 2017). Il relève deux mouvements à l’œuvre dans les établissements de santé : si le premier favorise l’autonomie des patients, en leur offrant la possibilité d’avoir accès aux ressources religieuses de leur choix (Lévy 2008), le second considère quant à lui en priorité le rapport à la maladie et les décisions prises relativement aux traitements (Koenig et al. 2012). Dans le premier paradigme, les aumôniers ne sont pas intégrés au modèle soignant et aux protocoles de soins, alors que dans le second, ils en font pleinement partie.
En France, les aumôniers relèvent du premier paradigme, en ce sens qu’ils ne sont intégrés ni dans le plan de soins et le projet thérapeutique des patients, ni dans les protocoles des équipes médicales et soignantes. Leur intervention ne fait pas l’objet d’une prescription médicale. Bien souvent, ils n’ont pas accès au dossier du patient, dans lequel ils ne transcrivent rien de leur passage dans le service ni de leurs rencontres avec les patients hospitalisés.
Sans avoir adopté de changement de paradigme en ce qui concerne les pratiques d’accompagnement religieux et/ou spirituel, un service de cancérologie thoracique du CHU[8] de Strasbourg, hôpital public laïc, a pourtant fait le choix, dès 2011, d’intégrer des aumôniers de différentes confessions (protestante, catholique et musulmane) dans sa réunion pluri-professionnelle (RPP) hebdomadaire, durant laquelle sont discutées les décisions prises concernant le plan de soins et le projet thérapeutique des patients. Quelles raisons ont amené ce service à proposer à des représentants du culte de participer à leur réunion pluridisciplinaire ? Avec quelles demandes, et sur la base de quel(s) protocole(s) ? De quelle manière s’est opérée l’intégration des aumôniers à l’équipe médicale et soignante, et à partir de quels textes de références ? En vue de quels bénéfices pour le patient, pour l’équipe médicale et soignante et, en retour, pour les aumôniers ?
Cet article propose un retour d’expérience de cette intégration d’aumôniers confessionnels dans une équipe pluridisciplinaire d’un service de cancérologie thoracique des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS). Après qu’a été précisé, dans cet article, le contexte de la laïcité française, qui encadre l’exercice des aumôniers en France, y sont présentées les raisons qui ont conduit à la création et à la mise en place d’une réunion pluri-professionnelle hebdomadaire dans le service susmentionné, ainsi qu’une interrogation sur les motivations qui ont amené des professionnels de la santé à demander à des aumôniers confessionnels de s’y adjoindre. Y sont mentionnés quelques atouts et les limites de cette expérience d’intégration d’aumôniers confessionnels dans une équipe pluridisciplinaire. Cet article s’achève par quelques remarques plus générales sur la place actuelle du religieux et de la spiritualité en France, telle qu’elle se donne à percevoir dans un établissement de soins public laïc.
1. L’aumônerie dans le contexte de la laïcité française
En plus de la Loi de 1905 (art. 1 et 2) qui garantit le libre exercice des cultes[9], divers textes juridiques[10] précisent le statut et les missions des aumôneries dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, dans le cadre de la laïcité.
La circulaire DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A no2006-90 du 2 mars 2006, relative aux droits des personnes hospitalisées, comporte une charte de la personne hospitalisée qui précise que l’« établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnes accueillies. Dans les établissements de santé publics, toute personne doit pouvoir être mise en mesure de participer à l’exercice de son culte (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, rites funéraires...)[11]. »
La Charte des aumôneries des établissements relevant de la fonction publique hospitalière (Circulaire DGOS/RH4 n°2011-356 du 5 septembre 2011, révisée le 23 janvier 2024[12]) présente l’exercice des aumôneries à l’hôpital dans le cadre de la laïcité, et propose une articulation de la religion et de la spiritualité avec les soins. Elle définit les principales missions des aumôniers à partir de la prise en compte des besoins humains, spirituels et/ou religieux des patients et de leurs proches en lien avec les équipes soignantes, de la formation des professionnels de santé dans le domaine de la spiritualité, de la religion, du culte et des rites, et de la participation à la réflexion éthique de l’hôpital.
Ce texte prévoit une collaboration active entre les services de l’État et les représentants des différents cultes, comme en témoigne le préambule de la charte : « C’est aux aumôniers des établissements mentionnés à l’article L. 5 du code général de la fonction publique (CGFP) qu’incombe la charge d’assurer, dans ces établissements, le service du culte qu’ils représentent et d’assister les patients dans leurs besoins spirituels lorsqu’ils en font la demande par eux-mêmes ou par l’intermédiaire de leur famille ou de la personne de confiance désignée par eux lors de leur admission dans l’établissement, ou ceux qui, lors de cette admission, ont souhaité déclarer appartenir à tel ou tel culte[13]. »
Les représentants religieux qui interviennent dans les établissements sanitaires et médico-sociaux sont rattachés à des aumôneries confessionnelles et travaillent dans le cadre de la laïcité et du respect des croyances et des convictions de chacun. Une minorité d’aumôniers est directement financée par les établissements de santé, mais la plupart d’entre eux relèvent d’institutions ecclésiales et de communautés religieuses, qui les mandatent pour assurer ce service.
En raison de la « compétence liée », ces aumôniers reçoivent un double mandat, tout à la fois de la part des établissements de santé en tant qu’agents hospitaliers, et de celle des institutions religieuses ou ecclésiales, comme représentants du culte qui relèvent d’une communauté reconnue par les pouvoirs publics. Ce double mandat signifie que les aumôniers, dans leurs fonctions, représentent ces deux institutions, dont ils doivent respecter les principes, en même temps que les droits et les devoirs, comme le stipule la Charte de la personne hospitalisée (datant du 2 mars 2006) :
l’expression des convictions religieuses ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches. Tout prosélytisme est interdit qu’il soit le fait d’une personne hospitalisée, d’un visiteur, d’un membre du personnel ou d’un bénévole[14].
2. Une expérience d’intégration d’aumôniers confessionnels dans une équipe pluri-professionnelle de soins
Les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) disposent d’un service d’aumôneries, qui comprend plusieurs équipes confessionnelles, au service des patients et de leurs proches, ainsi que du personnel administratif, médical et soignant. Les équipes sur place sont catholiques, protestantes et musulmanes, et il est possible de recourir à des référents d’autres obédiences religieuses (juives, orthodoxes, anglicanes et bouddhistes).
L’unité de cancérologie thoracique (UF 1404) du Nouvel Hôpital Civil (NHC) a choisi d’intégrer des représentants du culte à sa réunion pluri-professionnelle (RPP) hebdomadaire. Sur les vingt-six lits qui composent le service, six sont dédiés aux prises en charge palliatives (LISP[15]). Une approche globale et pluridisciplinaire est mise en œuvre pour les hospitalisations effectuées dans ce cadre.
La réunion pluri-professionnelle (RPP) a été créée en 2010, à l’initiative de trois professionnelles. En vue d’améliorer la prise en charge des patients hospitalisés dans ce service, une femme médecin, une psychologue et une diététicienne ont souhaité instaurer une réunion pluridisciplinaire hebdomadaire. Avec l’accord de la responsable du pôle et du chef de service, elles ont réuni des personnels médicaux (médecin sénior et internes), soignants (cadre de santé, infirmière et aide-soignante) et paramédicaux (psychologues, diététicienne et assistante sociale, auxquels se sont joints par la suite des kinésithérapeutes et orthophonistes) afin d’échanger autour des situations et des projets de soins des patients. Dans le cadre d’une approche psycho-sociale, des points relatifs au suivi médical, aux ressources physiques, psychiques et sociales des personnes hospitalisées y sont discutés.
Dès 2012, l’aumônier protestant a été invité à se joindre à cette réunion pluridisciplinaire, afin de contribuer à la discussion, pour les patients qui bénéficieraient d’un accompagnement spirituel et/ou religieux. Cette proposition s’explique en raison des relations personnelles tissées avec le médecin sénior en charge de la RPP, mais aussi du fait de la présence régulière de l’aumônier dans l’unité de soins et auprès des patients. Les aumôniers catholique et musulman ont rejoint la réunion par la suite (en 2013 pour l’aumônier catholique, en 2019 dans le cas de celui musulman). L’intégration des représentants religieux à la RPP avait pour objectif de prendre en compte les demandes spirituelles et religieuses des patients, dans le cadre d’une approche globale et pluridisciplinaire des soins (biopsychosociale et spirituelle).
Dès l’arrivée de l’aumônier catholique dans la réunion pluri-professionnelle, un protocole d’intervention dans le service ainsi qu’un dispositif d’intégration des aumôniers confessionnels à la réunion pluridisciplinaire hebdomadaire ont été élaborés, en s’appuyant pour ce faire sur le programme national de développement des soins palliatifs (2002-2005), la circulaire DHOS/O 2/DGS/SD 5 D n° 2002-98 du 19 février 2002 relative à l'organisation des soins palliatifs et de l’accompagnement[16], les définitions des soins palliatifs de l’OMS (1990 et 2002[17]) et de l’ANAES[18] (2002), ainsi que la charte nationale des aumôneries des établissements relevant de la fonction publique hospitalière (23 janvier 2024).
Concernant le protocole d’intervention, les responsables de l’unité de soins, en concertation avec les aumôniers, ont opté pour une répartition du service entre aumôniers protestants et catholiques. La présentation initiale auprès des patients permet de les informer des différentes possibilités d’accompagnements religieux et spirituels que proposent les aumôneries ; les personnes hospitalisées qui le souhaitent peuvent ainsi bénéficier de l’accompagnement d’un aumônier de leur choix, les demandes étant ensuite transmises selon la confession souhaitée.
Le passage des aumôniers (mais pas le contenu de leur visite) est tracé par le médecin dans le dossier des patients qui se trouvent en situation palliative, lors de la réunion suivante. Dans le cadre de la confidentialité partagée, des informations sont échangées avec les autres professionnels, en vue d’améliorer la prise en charge des soins prodigués à la personne hospitalisée et d’envisager son projet d’avenir, dans une approche éthique pluridisciplinaire.
Afin de tracer l’approche pluridisciplinaire proposée aux patients en situation palliative, une fiche spécifique a été créée en vue de la réunion pluri-professionnelle. Ajoutée au dossier des patients concernés, cette fiche comprend l’état de santé général du patient, l’évolution de ses pathologies, ses possibilités de mobilité physique, ses particularités alimentaires, ses besoins d’accompagnement psychologique, social, spirituel ou religieux (le choix confessionnel étant exprimé, le cas échéant). Le contenu des entretiens ne fait l’objet d’aucun compte-rendu écrit. Certaines informations sont toutefois transmises dans le cadre de la confidentialité partagée et dans la limite du secret professionnel, en vue d’une amélioration de la prise en charge des soins.
La vignette clinique suivante donne un exemple des échanges interdisciplinaires qui ont lieu dans le cadre de la réunion hebdomadaire, et esquisse l’impact que cette réunion peut avoir sur l’aumônerie et la prestation de soins. Lors d’une réunion pluri-professionnelle, la situation d’une dame âgée hospitalisée dans le service a été évoquée. Sa prise en charge médicale et thérapeutique ne semblait pas générer de discussions spécifiques, le plan de soins établi par les médecins permettant d’envisager un retour à domicile sous quelques jours. Les soignants avaient tous décelé un changement d’attitude de la part de cette patiente : joviale et communicative à son arrivée, elle avait subitement fait preuve de mutisme et refusait aussi bien les soins et les traitements que les échanges relationnels. L’équipe soignante ne s’expliquait guère ce revirement. Elle a fait remarquer que cette dame n’avait pas de famille connue et ne recevait pas de visites. Face à ce changement d’attitude, l’équipe soignante demanda à la patiente si elle souhaitait rencontrer un psychologue, proposition qu’elle a refusée. L’équipe n’a pas proposé le passage de l’aumônier à ce stade. Aucun professionnel ne connaissait sa confession, ni son positionnement par rapport aux questions religieuses et spirituelles. Lors de la réunion (RPP), les médecins ont suggéré à l’aumônier de tout de même se présenter à elle. Elle accepta la visite de ce dernier, notamment en raison de son origine protestante (affiliation sociologique). Au cours d’un long entretien, elle lui a précisé que le jour de leur rencontre correspondait à une date anniversaire, celle du décès de son fils (qui s’était défenestré à cette date, des années auparavant). Elle lui a fait part de ses sentiments de culpabilité, de remords, de tristesse et de son envie d’en finir. Elle articulait elle-même son refus (des soins, des traitements et des échanges avec l’équipe médicale et soignante) aux événements douloureux qui lui revenaient en mémoire. Avec son autorisation, l’aumônier fit part de sa situation à l’équipe pluri-professionnelle pendant la réunion suivante. Ce partage a permis à l’équipe d’articuler le changement d’attitude de cette dame à un vécu douloureux de son histoire, et a donc compris qu’il n’était pas à mettre en lien avec un refus thérapeutique ni un échec relationnel de l’équipe soignante. Suite à ce partage d’informations, la décision fut prise de ne pas précipiter son retour à domicile ni son transfert vers un autre service, ce afin de pouvoir élaborer un projet (de soins et d’avenir) adapté à sa situation.
Comme le montre cette vignette clinique, le fait que l’aumônier soit intégré à l’équipe pluridisciplinaire permet un partage d’informations qui n’aurait sans doute pas eu lieu en dehors de ce cadre et ce, pour différentes raisons (dont le manque de temps des équipes médicales et soignantes, la place des aumôneries dans le système de santé, ainsi que le rapport ambigu entretenu avec le fait religieux en France, dans le contexte de la laïcité). Le partage d’informations dans le cadre d’une réunion pluri-professionnelle a permis à l’aumônier de pouvoir rencontrer cette dame (alors que, sans cela, leur rencontre n’aurait sans doute pas eu lieu) et de pouvoir l’accompagner dans ses difficultés et ses souffrances, qui peuvent être qualifiées de « spirituelles » (dans la mesure où elles touchent aux questions existentielles, liées au sens et à la valeur de la vie). En retour, l’équipe pluri-professionnelle a pu bénéficier d’informations qui ont entraîné une modification du projet de soins prévu pour cette dame, ce dans la perspective d’une prise en charge globale et holistique.
Dans leurs pratiques, les aumôniers confessionnels intégrés à l’équipe pluri-professionnelle n’ont pas adopté d’outils d’entretien tels que celui du STIV/SDAT, par exemple (Rochat 2017), ni de questionnaires ou d’échelles de valeur d’évaluation de la détresse spirituelle, qui leur permettraient d’échanger avec l’équipe médicale et soignante sur la base de modèles conceptuels partagés et d’un vocabulaire commun. Les indicateurs spirituels n’ont pas non plus fait l’objet d’un travail ou d’une réflexion en amont de la réunion pluri-professionnelle. Cette absence rend parfois les échanges avec l’équipe médicale et soignante complexes, du fait de l’absence d’« un modèle à même de produire un discours sur la dimension spirituelle de la personne malade hospitalisée dans un langage compréhensible pour les soignants et capable de confronter, dans le cadre d’une interdisciplinarité vécue, les autres discours et le plan de soins » (Rochat 2017, 54). Bien qu’étant intégrés dans une réunion pluridisciplinaire, les aumôniers n’ont toutefois pas procédé à la modélisation de l’accompagnement qu’ils proposent, pas plus que de leur présence ou de leur action auprès des personnes hospitalisées. Cette absence rend difficile toute mesure de l’impact du travail des aumôniers sur la prestation de soins, malgré l’importance que les équipes médicales et soignantes lui reconnaissent.
Des enquêtes de terrain[19], réalisées par la Dre M.-C. Kopferschmitt (médecin sénior qui a contribué à la mise en place de la RPP), ont confirmé que les acteurs de santé estiment utile de prendre en compte la souffrance spirituelle des patients hospitalisés. Dans une étude réalisée en 2013 (dans le cadre d’un questionnaire anonyme, distribué à divers professionnels de santé), plus des trois-quarts des personnes interrogées ont jugé important, voire essentiel, de prendre en compte les données spirituelles lors des RPP. M.-C. Kopferschmitt conclut que
la présence des aumôniers au sein de la RPP a tissé des liens positifs avec les différents professionnels de santé. […] la demande des patients n’est plus d’ordre strictement religieux mais répond aussi à un besoin d’écoute et de recherche sur le sens et les valeurs de la vie. La présence des aumôniers est bien acceptée lors de la RPP et permet d’associer la spiritualité au domaine des soins, dans l’optique d’une approche globale des patients en phase palliative.
Dans une autre étude, datant de 2015, M.-C. Kopferschmitt note que les soignants peinent à définir la « souffrance spirituelle » : la moitié des personnes interrogées ne l’ont pas définie. Parmi celles et ceux qui ont répondu à la question, plus de la moitié la situe dans le domaine religieux (croyances, foi, rite) ; un quart évoque la perte ou la recherche du sens de la vie ; un tiers parle de la mort, de la peur de la mort et/ou de l’après. Les trois-quarts des personnes interrogées pensent que la RPP prend suffisamment en compte la souffrance spirituelle : « la définition de la souffrance spirituelle est inconnue pour une grande part des professionnels de santé. Cependant, la majorité d’entre eux sont convaincus du bien-fondé de la prise en compte des données spirituelles lors de la RPP. La présence des aumôniers est bien acceptée lors de cette réunion ».
La présence régulière des aumôniers aux RPP, le temps de présentation qui leur est consacré au moment de l’arrivée des nouveaux internes dans le service, la connaissance réciproque des rôles et des fonctions de chaque professionnel, ainsi que les relations tissées au fil du temps avec les membres de l’équipe expliquent sans doute, pour une part, cette acceptation des aumôniers dans les RPP. Les valeurs éthiques soutenues par la présence des aumôniers en réunion et leurs prises de parole, valeurs partagées par un grand nombre de membres de l’équipe, n’y sont sans doute pas étrangères non plus.
Cette intégration d’aumôniers confessionnels au sein d’une équipe pluri-professionnelle dans un hôpital public laïc constitue une expérience peu répandue en France, tout du moins sous cette forme. Bien qu’intégrés à une équipe de soins, les aumôniers ne sont pas pour autant compris dans le sillage d’un rôle soignant, pas plus qu’ils ne sont perçus comme des soignants. L’accompagnement (religieux et/ou spirituel) qu’ils proposent n’est pas associé à un « soin » (un « soin spirituel » par exemple). Certes, d’une certaine manière, ils participent à la prise en charge des soins des patients par leur présence, leur accompagnement et leur écoute, comme l’illustre la vignette clinique présentée précédemment.
Le contexte de la laïcité française induit un positionnement particulier des aumôniers dans les institutions hospitalières, y compris lorsqu’ils sont intégrés dans une équipe de soins. En vertu du double mandat qui caractérise l’exercice de leur fonction, les aumôniers représentent tout à la fois l’institution ecclésiale (ou la communauté religieuse) à laquelle ils sont rattachés, et celle hospitalière dont ils relèvent et au sein de laquelle ils exercent. Pour utiliser une expression imagée, ils ont tout à la fois « un pied dans » l’établissement sanitaire et « un pied en dehors ».
Il est possible de dire « Un pied dans » l’hôpital, car les aumôniers, en tant qu’agents hospitaliers, participent à la vie de l’établissement et au projet de soins des patients. Comme nous l’avons constaté dans le cas de la vignette clinique ainsi que dans les textes qui servent de référence à l’aumônerie hospitalière en France, l’accompagnement spirituel et religieux des personnes hospitalisées (de leur famille et de leurs proches) leur revient.
Mais l’expression « Un pied en dehors » est elle aussi vraie, au sens où les aumôniers conservent leur identité professionnelle et confessionnelle distincte. Dans cette perspective, ils ne sont pas associés aux soins. Autrement dit, si les aumôniers participent certes au soin (care), ils ne relèvent toutefois pas des soins (cure). Du fait de leur positionnement confessionnel, ils manifestent un « extérieur » des soins (une institution et une communauté autres que celles de l’établissement hospitalier) et un « ailleurs » (une tradition religieuse qui se réfère à une transcendance). Le « dehors » que figurent les aumôniers peut ainsi revêtir la forme d’un « hors les murs » (pour les patients et leurs familles, les aumôniers disent quelque chose de la vie extérieure et ordinaire qui se déroule en dehors de l’hôpital, de la vie qu’ils ont laissée en suspens du fait de leur hospitalisation), tout autant que d’une transcendance propre à leur fonction symbolique (en tant que représentants religieux). De par ce rôle et cette fonction symbolique, les aumôniers répondent au premier article de la Loi de 1905, qui prévoit la présence d’aumôniers confessionnels au sein des établissements publics laïcs, afin que les personnes puissent continuer à « exercer leur culte » en des lieux où leurs possibilités de mouvement sont restreintes. La religion joue ainsi à l’hôpital « un rôle institutionnel, de sorte qu’elle est la garante du respect des croyances dans un système de soin qui déracine les individus de leur domicile, parfois pour de longues périodes et, souvent, jusqu’à la mort. » (Pujol 2018, 2)
Au sein de la laïcité française, ce positionnement des aumôniers tout à la fois « dans » et « en dehors » de l’institution dans laquelle ils exercent correspond au troisième modèle décrit par P.-Y. Brandt (Brandt 2017, 16-18), à savoir celui d’une « institution laïque qui réserve l’accompagnement spirituel aux aumôniers » (à côté des deux autres modèles esquissés, dans l’un d’eux l’institution hospitalière a une connotation religieuse, et dans l’autre, elle est un « dispositif où chaque soignant est formé à l’accompagnement spirituel »). Cette expérience d’intégration des aumôniers aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg présente ainsi un modèle qui diffère de ceux qui peuvent se présenter dans d’autres pays du fait du contexte propre à la laïcité française.
3. Atouts et limites de cette expérience d’intégration d’aumôniers confessionnels au monde des soins
À ce stade de l’expérience, l’impact sur la prestation de soins du travail d’aumôniers confessionnels à partir de leur intégration dans une équipe pluri-professionnelle de soins demeure difficile à évaluer. L’accueil d’aumôniers confessionnels au sein d’une équipe pluridisciplinaire permet d’expérimenter un espace de dialogue interprofessionnel, par la confrontation de différentes cultures en présence (médicale, soignante et paramédicale, sans compter les propres cultures personnelles). Ce dialogue interprofessionnel permet un (ré)ajustement des théories par rapport aux pratiques, dans la perspective d’un travail collaboratif qui tienne compte des points de vue de chacun à partir de sa propre discipline.
Dans une perspective d’éthique clinique, l'intersubjectivité partagée est mise au service de l'amélioration de la prise en charge des soins des patients. De nombreux professionnels ont pu constater les avantages et les bénéfices de cette interdisciplinarité instituée. Le partage d’informations concernant la situation médicale et sociale, la mobilité et l’alimentation et les ressources psychologiques, spirituelles et religieuses des patients, a pu contribuer à une prise en charge adaptée des personnes hospitalisées, grâce à l’attention singulière portée à leur vécu et à leur subjectivité (comme le montre la vignette clinique). Les échanges permettent à chaque professionnel de se (res)souvenir que la situation exposée concerne une personne ayant une histoire et sa propre sensibilité, momentanément en proie à des difficultés de santé qui affectent son existence. En ce sens, ils contribuent à (ré)humaniser les soins.
L’évocation régulière de la dimension spirituelle et religieuse dans l’ordre du soin permet de susciter des discussions entre différentes professions (médicales, soignantes et paramédicales) et de tenir compte de cette dimension dans l’établissement du projet de soins du patient. Pour ce faire et dans une démarche de formation réciproque, chaque professionnel apprend à connaître les domaines d’expertise des uns et des autres. Dans le dialogue, il comprend ce qui relève du domaine des compétences de l’autre. Cette démarche est mise au service du suivi des patients, d’une part, et de la construction d’un collectif professionnel de l’autre, dans une approche globale :
Travailler, ce n’est pas seulement produire, appliquer des recommandations, c’est aussi vivre ensemble. La richesse des soins palliatifs est de s’appuyer sur l’interdisciplinarité en réponse à cette souffrance globale. Se nourrir du point de vue de l’autre, prendre le risque de l’écouter, oser partager sa façon de travailler, tout cela contribue à construire un collectif vivant et singulier.
Pujol 2020, 7
La présence régulière d’aumôniers confessionnels dans des réunions pluri-professionnelles amène à considérer la spiritualité comme un élément important à prendre en compte lors d’une hospitalisation. Les échanges pluridisciplinaires contribuent ainsi à « ne pas parcelliser le sujet souffrant » ni à « se tromper de réponse dans la rencontre de sa souffrance, qu’on y ait accès par le corps, la vie psychique, l’interrogation sur le sens de l’existence et de l’action ou par la question de Dieu, de la foi pour certains » (Jacquemin 2018, 85). Le développement de vocabulaires communs ainsi que d’indicateurs spirituels à transmettre aux équipes médicales et soignantes reste toutefois un défi à relever dans les années à venir.
Sans minimiser les apports et les ouvertures de cette intégration d’aumôniers confessionnels à une équipe pluri-professionnelle, j’esquisse à présent quelques limites qui ont pu apparaître dans cette expérience. Les discussions échangées dans le cadre des réunions pluri-professionnelles hebdomadaires concernent souvent un nombre important de patients. Or les échanges de fond exigent du temps, denrée rare à l’hôpital et qui fait souvent défaut. De ce fait, le partage d’informations tend à s’orienter en priorité autour de difficultés rencontrées dans la prise en charge de l’hospitalisation de certains patients. Les discussions techniques à visée utilitaire tendent ainsi à prendre le pas sur les échanges de fond, qui permettraient pourtant d’inclure une véritable dimension spirituelle et religieuse : « l’intérêt du monde des soins pour la question spirituelle se trouve [ainsi] récupérée par la logique médicale avec laquelle il cherchait justement à rompre » (Pujol et al. 2016, 13). De ce fait, il reste peu de temps à disposition pour entrer dans la culture religieuse et spirituelle propre aux personnes hospitalisées, dans ce qui constitue leur arrière-fond anthropologique et théologique et qui peut expliquer leurs croyances ou leurs convictions (et qui orientent parfois les choix ou les décisions prises par rapport aux soins). Lorsqu’un problème ou une difficulté de prise en charge se présente, les échanges s’organisent régulièrement autour d’une recherche de solutions à trouver. La fiche élaborée pour la réunion pluri-professionnelle, bien que reposant sur une approche globale du patient, contribue paradoxalement à formater les échanges, qui parfois se réduisent à une succession d’informations à tracer. La spiritualité et la religion, échappant à cette logique d’un soin à prodiguer, peinent à s’inscrire dans cette recherche de solution d’un problème à résoudre ou d’une réponse à apporter en situation de crise (Pujol et al. 2014). Une approche par trop technique prend alors le risque d’isoler les aspects corporels, physiques, psychiques et spirituels, ce qui fait que le patient n’est ni plus ni moins qu’un « cas médical », un problème social à résoudre, une souffrance psychologique ou spirituelle à soulager et l’approche globale est réduite à la portion congrue.
La contrainte liée au manque de temps exerce inévitablement une influence sur les informations transmises par l’aumônier à l’équipe pluri-professionnelle. Les échanges se limitent parfois au fait de tracer dans le dossier des patients lesquels bénéficient d’un accompagnement spirituel et/ou religieux, et de quelle confession. Les questions existentielles qui abordent le sens, la transcendance, l’identité ou les valeurs de la personne hospitalisée (Rochat 2017) ne font pas l’objet d’un protocole modélisé d’échanges. Dans leurs prises de parole en réunions pluri-professionnelles, les aumôniers tentent de faire entendre la particularité de leur positionnement par rapport à l’institution hospitalière, ainsi que la voix du sujet rencontré, sa propre culture, qui de fait résiste à toute forme simplifiée de traçage. En conclusion, la question suivante mérite d’être posée : « et si le “spirituel” était justement le lieu du “non-soin”, c’est-à-dire un espace dans lequel les catégories épistémologiques de la médecine échoueraient à éclairer la complexité du réel ? » (Pujol 2018, 3)
Conclusion
Dans le contexte de la laïcité française, les aumôniers confessionnels relèvent les défis qui se présentent aujourd’hui aux établissements hospitaliers et aux institutions religieuses. Sur fond d’une sécularisation avancée (Taylor 2011), d’une détraditionnalisation et d’une désaffiliation religieuse croissantes, les aumôniers naviguent entre divers systèmes de représentations. En ayant une conscience renouvelée du fait religieux, en particulier lorsque celui-ci ne fait que peu appel au symbolique connu, ils se voient amenés à mobiliser des définitions nouvelles, notamment de la spiritualité :
Le concept de “spiritualité” émerge au cœur de cette culture grandissante qui place le bien-être et la liberté individuels au rang de valeurs structurantes de la société. Il décrit la capacité de l’homme à questionner le sens de son existence et à se sentir connecté à une réalité transcendante ou ultime, qu’elle soit désignée en des termes religieux ou séculiers.
Pujol et al. 2016, 8
Dans leur travail et en lien avec la communauté médicale et soignante, ils tentent de mettre en place de nouvelles pratiques d’accompagnement religieux et/ou spirituel, qui permettent d’accorder une place au sujet rencontré et de « relier le patient ou le soignant à cette part de lui-même que cherche à désigner le mot “spirituel” » (Terlinden 2007, 31).
L’expérience d’intégration d’aumôniers confessionnels dans une équipe de soins pluri-disciplinaire, telle qu’elle se trouve décrite dans cet article, tente d’accorder une place à la dimension religieuse et spirituelle des patients hospitalisés et de leurs familles dans l’ordre du soin, dans le cadre d’une approche globale. Certes, cette intégration des aumôniers dans le monde des soins en France demeure pour l’heure modeste, eu égard aux pratiques qui ont cours depuis plusieurs années dans d’autres pays, dans lesquels les accompagnants spirituels ou les intervenants en spiritualité sont intégrés aux pratiques médicales et soignantes (selon le paradigme 2, décrit par É. Rochat ; Rochat 2017). Il n’en demeure pas moins que cette expérience, qui tient compte du contexte français, peut être reproduite ailleurs en France. Elle sera peut-être appelée à se développer à l’avenir. Espérons que les institutions religieuses et les établissements de soins se saisiront de cette opportunité pour travailler de concert à la modélisation d’une intégration des aumôniers confessionnels au monde des soins, dans le contexte de la laïcité française.
Appendices
Note biographique
Annick Vanderlinden est maître de conférences en théologie pratique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg (France). Responsable de l’Aumônerie protestante des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg de 2010 à 2023, elle y a exercé en tant qu’aumônière protestante durant cette période. Elle est titulaire d’un Doctorat en théologie pratique et en philosophie de la religion des Universités de Neuchâtel (Suisse) et de Strasbourg. Sa thèse a été publiée sous le titre : Vivre sous le regard de Dieu. Une redécouverte théologique du regard (2012). Ses sujets de recherche actuels portent sur l’intégration de la spiritualité et du religieux dans le monde des soins en France. Elle est l’auteure de divers articles, dont récemment « Traversées du doute : accompagner quêtes et pertes de sens à l’hôpital » (2024).
Notes
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[1]
Ainsi que le stipulent les articles 1 et 2 de la loi de 1905 : « ART. 1.- La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l’ordre public. ART. 2.- La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. » (https://www.assemblee-nationale.fr/)
-
[2]
L’INSEE désigne l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques, chargé de collecter, d’analyser et de diffuser diverses données relatives à l’économie et à la société françaises.
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[3]
Concernant l’appartenance religieuse en France, P. Portier et J.-P. Willaime discernent trois tendances, à savoir : une baisse de l’identification des Français au catholicisme, un nombre croissant de personnes se déclarant « sans religion », et l’identification croissante à d’autres religions. Ils relèvent qu’« il y a aujourd’hui moins de Français qui ont une conviction et plus de Français sans conviction arrêtée. Ce premier constat est important : si l’identification à une option de sens, religieuse ou athée, reste majoritaire (63%), il demeure que de plus en plus de Français sont sans appartenance déclarée (37% de “sans religion indifférents”). » (Portier et Willaime 2021, 25)
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[4]
Virginia Henderson, dans ses recherches et son enseignement des sciences infirmières, fait du « besoin de pratiquer sa religion et d'agir selon ses croyances » le onzième des quatorze besoins qu’elle discerne, en vue d’une bonne prise en charge des patients hospitalisés.
-
[5]
North America Nursing Diagnoses Association - International.
-
[6]
La « détresse spirituelle » se définit comme la « Perturbation de la capacité de ressentir et d’intégrer le sens et le but de la vie à travers les liens avec soi-même, les autres, l’art, la musique, la nature ou une Force Supérieure. » (NANDA-I 2010, 376-377)
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[7]
Soulignons ici un paradoxe : en adoptant les canons des sciences infirmières, les accompagnants spirituels, en vue d'une intégration au monde des soins et d’une collaboration avec les soignants, ont aussi contribué à ce que ces derniers se dessaisissent de cet aspect de leur travail. Soumis à un taux d’activité de plus en plus important en un temps réduit, les soignants en sont venus à déléguer l’écoute et l’accompagnement des personnes hospitalisées et de leurs familles aux accompagnants spirituels.
-
[8]
Centre Hospitalier Universitaire.
-
[9]
La loi du 9 décembre 1905 s’applique dans le cadre de la Constitution du 4 octobre 1958 (art. 1) qui stipule que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » (https://www.legifrance.gouv.fr/)
-
[10]
Tels que l’Arrêt du Conseil d’Etat du 28 janvier 1955, les Circulaires datées du 19 janvier 1976, du 2 février 2005 (relative à la laïcité dans les établissements de santé), du 2 mars 2006 (Charte de la personne hospitalisée), du 20 décembre 2006 (qui précise, avec l’instruction du 12 février 2015, le statut du service des cultes et les modalités de recrutement des aumôniers au sein des établissements de santé), et du 23 janvier 2024 (Charte nationale des aumôneries des établissements relevant de la fonction publique hospitalière).
- [11]
-
[12]
Cette charte a été élaborée et signée par les aumôniers nationaux (des cultes catholique, protestant, orthodoxe, juif, musulman et bouddhiste), la Fédération hospitalière de France (pôle Ressources humaines hospitalières), France Assos Santé, le Ministère de l’Intérieur (Bureau central des cultes) et le Ministère du Travail, de la santé et des solidarités (bureau des personnels de la fonction publique hospitalière).
-
[13]
Charte nationale des aumôneries des établissements relevant de la fonction publique hospitalière (23 janvier 2024, 1-2).
- [14]
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[15]
Lits Identifiés Soins Palliatifs.
- [16]
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[17]
« Les soins palliatifs sont des soins actifs, complets, donnés aux malades dont l’affection ne répond pas au traitement curatif. La lutte contre la douleur et d’autres symptômes et la prise en considération des problèmes psychologiques, sociaux et spirituels, sont primordiales. » (OMS, 1990) ; « Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés. » (OMS, 2002). Cf. https://www.sfap.org/system/files/def-oms.pdf et https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/palliative-care (consultés le 06/07/2023).
-
[18]
Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation de la Santé.
-
[19]
Ces enquêtes de terrain ont fait l’objet de communications orales et donné lieu à des posters présentés lors du congrès de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP) : « Approche globale et présence des aumôniers en réunion pluridisciplinaire » (2013) ; « Analyse des apports de la réunion pluri-professionnelle en cancérologie thoracique » et « Prise en charge spirituelle des patients en phase palliative en cancérologie thoracique » (2015).
Bibliographie
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- Bréchon, P. (2014). Le croire religieux des Français d’après les enquêtes ISSP. Dans E. Aubin-Boltanski, A.-S. Lamine et N. Luca (dir.), Croire en actes. Distance, intensité ou excès ? (pp. 99-115). L’Harmattan.
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- Roy, O. (2012). La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture. Seuil (Points essais 679) (Ouvrage original publié en 2008).
- Taylor, C. (2011). L’âge séculier. Seuil.
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- Vanderlinden, A. (2024). Traversées du doute : accompagner quêtes et pertes de sens à l’hôpital. Dans D. Frey, I. Grellier-Bonnal et M. Vial (dir.), L’ombre d’un doute. Vivre et penser la précarité de la foi (pp. 183-194). Labor et Fides.