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L’ouvrage du professeur Yakov Rabkin, Israël et la Palestine, est composé de sept brefs chapitres qui constituent en réalité sept essais, et d’une postface qui font admirablement et succinctement le tour des enjeux les plus importants du conflit qui oppose les Israéliens et les Palestiniens. Ces sept essais se complètent fort bien et fournissent une compréhension profonde des enjeux reliés au conflit, à la fois bien ancrée conceptuellement et fondée empiriquement. En effet, l’ouvrage rappelle de nombreuses données empiriques et des citations de penseurs juifs européens qui appuient son analyse et qui sont inestimables dans la compréhension des processus historiques en cours.
La perspective offerte sur le conflit entre Israël et les Palestiniens est ancrée dans l’éthique du judaïsme plutôt que dans l’idéologie sioniste. Avec force de citations prises dans la Bible et chez des exégètes du judaïsme, Yakov Rabkin montre que les valeurs du judaïsme sont en totale contradiction tant avec les objectifs nationalistes du sionisme qu’avec les comportements politiques qui en découlent, particulièrement en ce qui a trait au traitement inhumain des Palestiniens.
Dans son premier chapitre, intitulé « La Palestine à la veille de la colonisation sioniste », il précise que d’un point de vue religieux, la notion d’exil est un châtiment divin. L’exil est un concept spirituel à portée universelle avant d’être un bannissement géographique. Ceci correspond d’ailleurs à la réalité historique, car c’est uniquement la strate politique juive qui fut exilée de Palestine par les autorités romaines. Il cite brièvement les travaux de Shlomo Sand sur cette question, qui démontrent ces affirmations en croisant de multiples méthodes historiques. Il rappelle que David Ben Gourion lui-même, fondateur de l’État d’Israël, considérait que ce sont les agriculteurs arabes de Palestine (les paysans) qui sont les plus probables descendants des juifs du premier siècle.
Plusieurs pages de l’ouvrage sont consacrées à montrer que du point de vue de la production savante judaïque, le judaïsme médiéval emprunte plusieurs éléments à l’islam, et que sur la durée, le rapport du judaïsme a l’islam a été plutôt bon, et n’a été perturbé que par l’émergence du sionisme. L’opposition au sionisme était profonde dans les communautés juives jusqu’au milieu du vingtième siècle. À l’appui de cette idée, il souligne qu’avant le sionisme, les juifs n’avaient fait aucun effort pour s’établir en Palestine, y compris quand cela était possible. Il rappelle, plus loin dans l’ouvrage, que « Plus d’un historien juif, en Israël et ailleurs a souligné que les juifs vivaient plus pacifiquement en Palestine avant l’arrivée des sionistes » (p. 15). Il explique aussi que « […] le sionisme faisait partie intégrante de l’aventure coloniale européenne ».
Le chapitre intitulé « L’État sioniste face aux Palestiniens » est consacré à la façon dont l’État sioniste a affronté le fait de l’existence des Palestiniens sur la terre convoitée. Rabkin rappelle l’opposition des organisations juives au sionisme dès le premier congrès sioniste de 1897, qui avait dû être déplacé d’Allemagne en Suisse car ces organisations rejetaient l’idée que les divers pays européens n’étaient pas leur patrie. Mais l’opposition était aussi morale et religieuse. Citation après citation, Rabkin montre qu’un grand nombre d’intellectuels juifs de renom s’opposaient à la fois au projet sioniste dans son ensemble et au comportement des Juifs sionistes en Palestine et à leur façon de traiter les Arabes autochtones. Il cite Albert Einstein, Ahad Ha’am, Judas Magnes, Martin Buber, Hanna Arendt, etc. Ces penseurs opposent une nationalité « spirituelle » à une nationalité politique.
Le chapitre intitulé « Le rejet du judaïsme et la formation de l’homme nouveau » aborde l’effet du sionisme sur la formation de l’« homme nouveau » hébreu « musclé, indépendant et audacieux ». Il souligne que l’idée proposée par les sionistes que les juifs appartiennent à une nation ou à une « race » distincte a « une odeur antisémite prononcée », ajoutant qu’« [u]n abîme s’ouvre ainsi entre la sensibilité historique de la tradition juive et celle des sionistes inspirés largement par le nationalisme romantique européen » (p. 24). Il s’inquiète de l’effet du sionisme sur les jeunes israéliens, qui deviennent plus racistes avec le temps, contrairement aux jeunes partout ailleurs dans le monde.
L’ouvrage dans son ensemble est un excellent antidote à la propagande sioniste. Il est à nos yeux une lecture obligatoire pour quiconque tente de démêler les faits de la fiction dans ce conflit qui est moins difficile à comprendre qu’on ne le pense.