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Il y a quelque temps déjà, une amie lesbienne célibataire m’affirmait que comme ex-hétéro mère de quatre enfants et mamie de sept petits-enfants, mariée récemment avec une femme, je profite du meilleur des deux mondes; une nombreuse descendance et une femme dans mon lit, de façon tout à fait légale et légitime. Visiblement, elle n’a pas encore lu Lettre à une amie hétéro de Paula Dumont. Son opinion ne serait pas si tranchée devant le pessimisme de l’auteure pour qui être lesbienne, c’est vivre le pire des deux mondes, être condamnée à vivre seule, sans enfant, butinant d’une fleur à l’autre en changeant de partenaire au moins tous les cinq ans, couvrant ses proches d’opprobre, et surtout subissant la discrimination, le harcèlement sexiste et hétérosexiste et parfois même la violence machiste. Une vie de recluse, de silence, de cachoteries, de faux-fuyants! Une vie de misère quoi!

Ce n’est certes pas la vie que j’ai choisie à 45 ans et que je mène depuis plus de vingt ans. Qui est cette auteure qui dramatise tant la vie homosexuelle et plus encore la réalité lesbienne? Paula Dumont, professeure retraitée de lettres dans un lycée français de la banlieue de Montpellier, a déjà publié deux récits autobiographiques, Mauvais genre et La vie dure (Dumont 2009 et 2010). Dans Mauvais genre, l’auteure relate certaines périodes de son enfance et de son adolescence afin de retrouver comment se sont bâtis sa personnalité et son lesbianisme. Elle y parle longuement de son désarroi et de sa solitude, du rejet familial et de l’absence de repères causée par l’invisibilité des autres lesbiennes. À la fin du livre, l’auteure reprend à son compte les récriminations faites par des représentantes du mouvement des lesbiennes féministes radicales des années 70 (Descarries-Bélanger et Roy 1988) sur la double discrimination vécue par les lesbiennes comme femmes et comme lesbiennes. Dans son deuxième livre autobiographique, l’auteure se concentre sur ses premières amours à l’âge de 20 ans. L’auteure en Pascale a eu une aventure amoureuse avec Catherine quand elles étaient en terminale, mais cette dernière, incapable d’accepter son orientation sexuelle, a rompu avec Pascale. Vingt ans plus tard, les deux amies renouent, alors que Catherine est mariée et mère. L’auteure raconte avec un certain humour les péripéties de ces femmes qui aiment les femmes avec tous les écueils qu’elles peuvent rencontrer dans leur vie marginale[1]. Voilà qui pourrait donner envie non seulement de lire ces deux livres autobiographiques, mais aussi de parcourir son troisième livre, toujours publié chez L’Harmattan.

L’ouvrage Lettre à une amie hétéro : propos sur l’homophobie ordinaire n’est pas autobiographique, malgré quelques références à la vie de l’auteure. « Cette lettre veut être le témoignage d’une lesbienne qui a survécu comme elle a pu dans un monde hostile aux gens comme elle », affirme l’auteure d’entrée de jeu (p. 5) au début de cette longue lettre de 178 pages. L’éditeur affirme en quatrième de couverture que ce livre « répond aux questions que se posent la plupart des gens sur les lesbiennes et les gays ». À partir de situations telles que la famille, l’école, le travail et la religion, l’auteure tente de démontrer toutes les formes de discrimination auxquelles ils et elles doivent faire face, tout en faisant des liens avec la vie en général des personnes hétérosexuelles. Elle démontre également certaines conséquences de l’homophobie de la société sur les gais et les lesbiennes, par exemple le mal-être, la dépression, les prises de risque et, ultimement, le suicide.

Enfin, l’auteure termine cette longue lettre par deux chapitres, le premier consacré au mode de vie propre aux lesbiennes et le second à celui des gais. Se situant à mi-chemin entre un récit sur les frustrations vécues par les gais et les lesbiennes, plus précisément par l’auteure tout au long de sa carrière dans l’enseignement collégial en France, et un essai théorique sur l’homophobie de la société française toujours en retard sur l’avancement des droits des gais et des lesbiennes, ce livre s’avère plutôt décevant : « Un livre qui pour moi manque de nuances à une époque où la société offre de plus en plus de modèles gays et lesbiens. La télévision, le cinéma, l’Internet permettent de se créer une vision différente de l’homosexualité[2] ». Voilà qui résume bien l’impression qui m’est restée après avoir lu les dernières lignes de cette si longue lettre.

Bien que j’ai été touchée par l’expression de la détresse de l’auteure qui a dû passer sa vie professionnelle « dans le placard » de son lycée, je n’ai pu m’empêcher, lors de ma lecture, d’être excédée par certaines tournures de phrases cherchant à retenir l’attention du lecteur ou de la lectrice en lui rappelant qu’elle s’adresse à une amie hétéro (par exemple, à la page 66) : « Mais, je me tue à te répéter », « Ce qu’il faut que tu comprennes » ou encore « Tu me reproches ». Et plus loin, faisant référence à l’enquête sur la sexualité en France, dont les résultats sont parus en 2008, l’auteure écrit : « [c]omme je constate avec tristesse que tu n’as jamais eu la curiosité d’étudier cette remarquable enquête, je vais en extraire la substantifique moelle pour ton édification » (p. 79). Phrase tout à fait déplacée dans un essai sur l’homophobie, mais somme toute rafraîchissante dans une autobiographie. C’est là toute l’ambiguïté de ce livre, à la fois pas assez documenté pour se réclamer de l’essai scientifique et trop désincarné pour un récit de vie. En ce sens, Lettre à une amie hétéro est un ouvrage qui m’a désappointée.