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Malgré des avancées indéniables en matière d’égalité entre hommes et femmes, la liste des inégalités de genre, y compris parmi les pays les plus avancés sur ce plan en Europe, est longue : taux d’emploi des femmes inférieurs à celui des hommes, surchômage dans la plupart des pays, ségrégation professionnelle, inégalité de salaires, de statut et de temps de travail, partage inégal des tâches domestiques au sein des familles, etc.

Au cours des dernières années, la Commission européenne a lancé une nouvelle approche de l’égalité, par l’entremise du concept de gender mainstreaming, c’est-à-dire « l’intégration de l’égalité dans l’ensemble des politiques et par tous les acteurs visés » (Commission européenne, 1996).

Parmi les leviers d’action en vue de la diffusion de l’approche intégrée et transversale de l’égalité, les confédérations syndicales peuvent jouer un rôle essentiel, en intégrant l’égalité dans toutes leurs pratiques et dans toutes leurs stratégies. Cette démarche constitue également un enjeu essentiel pour améliorer la place des femmes et de l’égalité au sein des organisations syndicales. Deux axes sont donc présents : sur le plan interne, favoriser la place des femmes dans les instances de direction des confédérations représentatives; sur le plan des stratégies, renforcer le thème de l’égalité dans toutes les actions et négociations, de façon à la fois transversale et permanente.

L’objet de notre article est de présenter quelques résultats des travaux menés dans le contexte d’un programme de recherche européen dont les rapports sont accessibles en ligne (voir l’encadré sur la recherche MSU). Nous avons choisi d’appliquer le concept d’approche intégrée ou transversale de l’égalité au champ syndical, à ses activités déjà réalisées ou engagées, en croisant analyse conceptuelle et situations nationales respectives. Nous avons également voulu élaborer une approche comparative entre des pays européens rarement réunis de cette façon, soit : l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l’Italie et les Pays-Bas. Cette démarche présente l’intérêt d’observer les mécanismes à l’oeuvre dans ces différents pays où l’intégration de cette nouvelle approche de l’égalité est diversement envisagée – voire quasiment ignorée – par l’acteur syndical, selon des configurations sociétales spécifiques.

La place des femmes dans le monde syndical

Le mouvement syndical, dans l’ensemble des pays étudiés mais de façon diversifiée, a entretenu des relations ambivalentes à l’égard du travail des femmes, de leur participation syndicale et plus largement des mouvements féministes. Le mouvement ouvrier est en effet un héritage du compagnonnage, des premières sociétés de résistance et des mutuelles, structures toutes fondées sur des univers exclusivement masculins. Dans tous les pays étudiés, la référence première a été celle de l’« ouvrier de métier », « qualifié », le « mineur », l’« ouvrier de la métallurgie », avec peu de reconnaissance et de visibilité des femmes au travail. Certes, des tentatives d’intervention en faveur de la protection des femmes (et des enfants) au travail ont existé, mais elles n’étaient pas au coeur des priorités syndicales.

L’autonomie ou la mixité des structures syndicales : quel est le lien entre le mouvement des femmes et le mouvement syndical?

Avec la progression du travail salarié des femmes, leur place dans les syndicats va être effectivement mieux reconnue. Une question essentielle se pose alors : faut-il constituer des syndicats spécifiques des femmes ou, au contraire, les intégrer dans les structures masculines? Le choix entre « autonomie et mixité » est déterminant et loin d’être simple.

Dans la plupart des cas, les syndicats vont choisir la mixité plutôt que l’autonomie soit d’emblée, soit progressivement : en Autriche, si les femmes ont été très tôt salariées et syndiquées, dès la fin du xixe siècle, le choix a été de privilégier des sections ou départements « femmes », plutôt que des syndicats féminins. En France, à la CFTC (syndicat chrétien), des syndicats masculins et féminins se côtoient jusqu’en 1944. À la CGT, des syndicats féminins ont été créés (que ce soit les « Dames employées de commerce » ou encore les ouvrières de « l’Aiguille »). Progressivement, ces syndicats féminins vont disparaître. Cependant, les résultats à terme concernant la prise en considération de l’égalité et la présence des femmes au sein des directions syndicales montrent dans tous les cas l’existence de résistances internes.

Parmi les pays étudiés, deux exceptions à la mixité des structures désormais dominante sont encore aujourd’hui observables : le Danemark a gardé un syndicat de femmes, le KAD, syndicat des ouvrières, fondé en 1901, qui réunit toujours uniquement des femmes et représente leurs intérêts dans presque tous les cartels, lors des négociations. Autre cas particulier intéressant, les Pays-Bas, où un tournant important a eu lieu en 1981 : lors du congrès de la fusion entre NVV et NKV, mais aussi congrès de l’adoption du programme Action pour les femmes (document politique exprimant des points de vue importants sur l’égalité), après de nombreux débats, il a été décidé d’accepter au sein de la confédération un nouveau syndicat de femmes regroupant les femmes travaillant sans rémunération (les mères de famille ou volontaires non rémunérées dans les associations). Ouvert à toutes, et non plus aux seules compagnes des syndiqués, ce syndicat est devenu une organisation attractive, faisant des propositions originales dans le domaine de l’émancipation. Disposant du droit de vote au sein de la confédération, ce syndicat ne peut cependant pas négocier avec les employeurs sur tout ce qui relève du travail salarié.

Fait important à noter également, les rapports entretenus entre mouvements féministes et mouvement syndical ont été historiquement complexes. Au départ, dans certaines confédérations (en France, en Belgique et en Italie), une défiance s’est manifestée à l’égard de tels mouvements sociaux, considérés, pour simplifier, comme un courant de la « bourgeoisie ». Puis les mouvements féministes ont été acceptés et ont même largement contribué à une meilleure prise en considération de cette dimension. Par exemple, en France, les deux confédérations principales (CGT et CFDT) dénonçaient la surexploitation des travailleuses durant les années 70, mais leurs positions divergeaient essentiellement sur deux points : la question des revendications spécifiques et les liens entre le « dans » et le « hors » entreprise. La CFDT s’attache à réfléchir sur le statut des femmes dans l’entreprise et hors celle-ci, tandis que la CGT concentre son attention, à l’époque, sur l’entreprise. Pour la CFDT, « la lutte contre les rapports de domination dans la famille » et la « lutte contre les discriminations et l’oppression des travailleuses » font partie intégrante d’un tout, soit la lutte contre la domination des hommes sur les femmes (3e Congrès de 1976). La volonté de mieux tenir compte du « hors » travail par la CGT se manifeste finalement lors de sa VIe conférence sur les femmes salariées (1977) : dans son rapport introductif, Christiane Gilles, secrétaire de la CGT et responsable du secteur féminin confédéral, souligne que l’action spécifique de la CGT contre la surexploitation des femmes doit porter sur les conditions de travail, le salaire, mais également sur les droits hors travail, en particulier le droit aux loisirs, à la culture. Ces discours mettent en évidence la double « ségrégation de classe et de sexe » que subissent les femmes. Cependant, comme le souligne Margaret Maruani (1979), une différence importante subsistera pendant toute cette période entre la CGT et la CFDT, concernant «l’ordre des priorités et la relation entre exploitation capitaliste et domination patriarcale ». Pour la CGT, la dichotomie principale reste l’opposition capital/travail; pour la CFDT, les concepts domination/exploitation sont liés et aucun des deux n’est jugé prioritaire sur l’autre.

En revanche, aux Pays-Bas, notamment, durant les années 70, alors que le mouvement féministe se développait hors des syndicats, l’évolution économique aidant, l’attitude syndicale à l’égard des femmes commence à évoluer. Le mouvement a été lent à ses débuts puis la participation syndicale est devenue plus active pour arriver à un investissement militant dans le mouvement pour l’égalité des droits des femmes. Au sein du FNV, particulièrement, les féministes, au départ bénévoles, ont constitué peu à peu une force active, en favorisant l’adaptation de nombreux accords collectifs et en s’engageant au nom du syndicat dans des plates-formes revendicatives puis dans l’ensemble du mouvement féministe. Des thèmes revendicatifs, jusqu’alors non traités, prendront de l’importance, comme les droits attachés au temps partiel, portés par les mouvements de femmes et les syndicats.

Aujourd’hui encore, le débat sur la nécessité d’avoir ou non des structures spécifiques se poursuit. Faut-il privilégier une organisation autonome de femmes pour développer une culture féminine et asseoir une force (comme les organisations féminines anglaises ou américaines avec une plus grande conscience du genre)? Convient-il de privilégier plutôt un modèle qui intègre les femmes dans la structure avec le risque de nier ou de noyer leurs revendications propres? Certes, les organisations séparées peuvent jouer un rôle intégrateur et émancipateur, mais le risque de ghettoïsation, de confinement des femmes demeure : « l’entre-soi, sans doute favorable à une conscience [mais qui] présente aussi le risque qu’on vous laisse dans votre coin sans que vous puissiez vous faire entendre et sans pouvoir exercer d’influence générale » (Perrot 1999 : 22).

Au regard de l’Histoire, on peut se demander si l’existence d’une structure ou d’une presse spécifique a empêché ou ralenti la prise en considération par l’ensemble de l’organisation des questions propres aux femmes. Le fait de désigner une personne ou un groupe responsable de ces questions spécifiques ne dégage-t-il pas l’organisation dans son ensemble de ses responsabilités? Le pouvoir effectif attribué aux « comités ou commissions femmes » est ici déterminant (droit de vote, reconnaissance statutaire, budget spécifique). Or selon les pays, et les confédérations, ce rôle est plus ou moins développé…

De la syndicalisation des femmes…

Le préalable à toute analyse de la place des femmes dans les syndicats est très certainement d’en mesurer leur nombre. Cette dimension statistique est nécessaire et même incontournable, tout en étant une condition non suffisante de l’égalité. La constitution de données statistiques homogènes pour les six pays de l’étude a été problématique : certaines confédérations ne fournissent toujours pas de données sexuées sur leurs membres; par ailleurs, les appellations des différentes instances diffèrent d’une confédération à l’autre. Afin d’avoir néanmoins une base comparative minimale, nous nous sommes appuyés sur différentes sources que nous avons confrontées. Il s’agit des études de la Confédération européenne des syndicats (CES) menées en 1993, en 1998 et en 2002, complétées par les données recensées par des expertes et des experts nationaux, à partir de sources syndicales internes (journaux, procès-verbaux, sites Web), de travaux de recherche existants et, enfin, des enquêtes de notre groupe de recherche, auprès des principales centrales syndicales.

La CES évalue à 40 % la part des femmes syndiquées en Europe et constate de fortes disparités selon les pays, de l’ordre de un à sept. Notre enquête MSU confirme cette tendance générale (voir le tableau plus loin). La part des femmes syndiquées dans les six pays de notre étude varie de 18 à 50 %.

Au Danemark, en Belgique (CSC), en Italie (CGIL) et en France (CFDT), la part des femmes syndiquées est élevée, proche de la parité. Cependant, des raisons différentes justifient ce résultat commun : au Danemark, l’environnement socioéconomique incite les femmes à être syndiquées (taux de syndicalisation général fort lié à l’accès aux droits sociaux, taux élevé de participation des femmes à l’activité); en Belgique, le taux de syndicalisation général élevé est certainement le facteur déterminant de cette participation, car l’activité féminine est relativement plus faible. Pour la France, le taux de féminisation de la CFDT s’explique par la base syndicale de cette confédération plus tertiaire que la CGT. En revanche, en Italie, ni le taux de syndicalisation (moyen) ni surtout la part des femmes actives (faible) ne peuvent justifier ce dynamisme… On peut donc considérer que la sensibilisation de la CGIL aux questions de genre et l’introduction de quotas et d’une norme antidiscriminatoire dans ses structures ont porté leurs fruits.

Pour les autres confédérations (surtout aux Pays-Bas et en France (CGT)), la faible syndicalisation des femmes s’explique par le taux de syndicalisation général et par la nature des emplois féminins. En effet, l’implantation syndicale est encore marquée par la prédominance des secteurs traditionnellement masculins (industrie, grandes entreprises, etc.), alors que l’emploi féminin se développe partout en Europe dans les services (commerce, santé, services publics, etc.). Les syndicats peinent à s’implanter dans ces secteurs, d’autant plus que la nature des emplois qui y sont créés correspond souvent à des statuts atypiques ou à temps partiel (contrats à durée déterminée, emplois informels, etc.). Les traditions d’implantation syndicale correspondent encore aux grandes entreprises industrielles masculines où les droits syndicaux sont plus importants (comme en France). Ce sont précisément dans les maillons faibles de l’activité syndicale que de nombreuses femmes exercent leur activité professionnelle (secteurs moins structurés sur le plan syndical, activités contractuelles plus faibles, notamment dans les emplois de la restauration et du commerce, de l’aide à la personne, etc.). A contrario, le développement de l’emploi public féminin (éducation, administration, santé) constitue de nouveaux points d’appui pour les syndicats (aux Pays-Bas notamment). Enfin, rappelons également que les femmes sont aussi plus souvent que les hommes exclues du marché du travail, que ce soit dans l’inactivité ou le chômage.

…à leur participation aux instances de direction syndicales

Par ailleurs, toutes les études soulignent un décalage persistant entre le taux de syndicalisation des femmes et leur participation aux instances de direction syndicales. Aucun pays n’échappe à ce constat : même dans les syndicats où le taux de syndicalisation des femmes dépasse celui des hommes, les femmes sont sous-représentées dans les instances de direction. Notre étude confirme ce résultat : quel que soit le contexte national (nature des relations professionnelles, place de l’égalité dans les politiques), peu importe aussi la part des femmes syndiquées et le niveau de leur participation au marché du travail, dans tous les pays, un déficit de représentation des femmes dans les instances de direction des syndicats apparaît… Ainsi, d’après nos données, complétées par celles de la CES, la part des femmes parmi l’ensemble des personnes déléguées aux congrès se situe autour de 30 %. En Autriche, aux Pays-Bas et en Belgique, ce taux est d’environ 20 %, tandis qu’il dépasse la moyenne européenne pour la CGIL (Italie), la FO (France)[1] et la FTF (Danemark).

Parmi l’ensemble des instances de direction des confédérations, nous n’avons retenu que deux indicateurs : la part des femmes dans les conseils de direction et dans les bureaux ou comités de direction[2]. Dans seulement deux pays de notre étude, on trouve au mieux un tiers de femmes dans les conseils de direction (Danemark et Pays-Bas). Ailleurs, on est le plus souvent proche d’un quart de femmes, voire au-dessous de 20 %, la moyenne européenne étant de 25 % (CES 2003a). Au sein des comités de direction, la situation est plus équilibrée sur le plan européen (32 % de femmes en moyenne). Cela ne s’observe pas dans les pays ici étudiés dont la situation apparaît très différenciée : certaines confédérations sont proches de la parité (CGIL (Italie); CGT (France)), tandis que d’autres n’ont aucune femme dans cette instance dirigeante (CGSLB (Belgique)) ou seulement 10 % (CGC, CFTC (France), UIL et CISL (Italie) et CSC (Belgique)).

Y compris dans les syndicats à dominante féminine, le nombre de femmes dans les instances de direction demeure bien en inférieur à leur présence massive dans un domaine (par exemple, le syndicat des fonctionnaires FTF (Danemark) comprend 70 % de femmes syndiquées mais « seulement » 50 % de femmes aux postes de direction. Enfin, fait unique en Europe et sur lequel nous reviendrons, la CGT (France) a adopté lors de son congrès de 1999 la parité (c’est-à-dire une répartition 50/50) dans ces deux instances de direction (commission exécutive et bureau confédéral).

En vue d’affiner ces données, nous avons tenté de repérer une évolution de la féminisation de ces structures au cours des dix dernières années, à partir de la plus récente étude de la CES (2003a). Pour l’ensemble des pays européens, la part des femmes dans l’ensemble de ces structures est croissante (de 8 % dans les délégations aux congrès; de 10 % dans les conseils de direction et de 16 % dans les bureaux journaliers). Pour ce qui est des six pays étudiés, cette progression apparaît plus faible. Elle est cependant significative pour la FGTB (Belgique), LO (Danemark) et CGT (France).

Tableau

Syndicalisation, activité des femmes et représentation dans les directions syndicales en 1993 et de 2002 à 2004

Pays

Organisations syndicales

Taux de syndicalisation général

(source : EIRO, Eurostat, 2003-2004)

Part des femmes parmi les personnes syndiquées 2002

(source : EIRO 2004)

Part des femmes parmi la population active

Part des femmes déléguées au congrès en

Part des femmes dans les conseils de direction des confédérations

Part des femmes dans le comité de direction ou au bureau journalier des confédérations

1993

2002 (ou au dernier congrès)

1993

2002 (ou au dernier congrès)

De 2002 à 2004

1993

De 2002 à 2004

De 2002 à 2004

%

%

%

%

%

%

%

N

%

%

N

Autriche

OGB

36,0

32,8

44,0

14,0

17,0

8,0

16,6

10/60

29,0

20,0

2/10

Belgique

FGTB

CSC

CGSLB

69,2

 

 

40,3

42,0

39,0

42,5

 

 

 

 

18,0

21,0

7,0

 

 

27,0

8,0

14,0

11/41

3/38

3/21

20,0

13,0*

 

29,0

11,0

0,0

2/7

1/9

0/8

Danemark

LO

FTF

AC

87,5

 

 

49,0

+/–70,0

27,0

46,9

 

 

30,0

 

29,0

30,0

37,0

 

14,0

 

18,0

22,0

50,0

40,0

 

14,0

 

0,0

20,0

26,0

50,0

5/25

 

 

France

CGT

CFDT

CGT-FO*

CFTC*

CFE-CGC

8,3

 

 

 

 

28,0

44,0

(40,0)

(46,0)

18,5

45,6

 

 

 

 

 

21,0

35,0

 

 

29,0

37,0

(45,0)

(31,0)

8,7

25,2

25,0

30,0

 

 

50,0

32,0

8,0

17,7

27,0

25/50

12/37

3/35

8/45

6/22

35,7

29,0

8,0

 

 

50,0

30,0

33,0

12,5

10,0

5/10

3/10

3/9

2/16

1/10

Italie

CGIL

CISL

UIL

37,0

 

 

50,0

45,0

18,0

38,5

 

 

 

18,0

7,0

40,0

31,0

20,0

34,0

7,0

12,0

38,0

15,0

15,0

60/156

7/47

23/149

25,0

 

13,0

50,0

12,0

 

6/12

1/8

 

Pays-Bas

FNV

CNV

27,0

 

29,0

27,0

43,2

 

20,0

 

25,0

27,0*

19,0

 

21,0

14,0

3/14

2/14

29,0

 

40,0

 

2/5

 

* : Les données en italique sont fournies par les organisations elles-mêmes et n’ont pu être confrontées à d’autres sources, ce qui rend ces données peu fiables.

Source : Données du Conseil économique et social (2000), complétées par des données de la CES (1999, 2003a), par Eurostat et EIRO (2004) et actualisées par nous (2005).

-> See the list of tables

À quels outils faut-il avoir recours pour élaborer l’approche intégrée de l’égalité au sein du syndicalisme?

L’approche intégrée de l’égalité dans le syndicalisme est encore loin d’être un processus réellement mis en oeuvre par les organisations syndicales. Il s’agit d’une double stratégie : maintenir des actions spécifiques, tout en élaborant dans l’ensemble des pratiques syndicales, une approche transversale du genre, en veillant à ce que la question de la place des femmes et de l’égalité soit présente en permanence.

Devant le déficit de femmes dans la prise de décision et l’absence d’une véritable intégration de l’égalité dans toutes les actions syndicales, différentes méthodes sont mises en oeuvre. Selon la dernière étude de la CES (2003a : 23), « des actions positives peuvent être ainsi brièvement répertoriées : la mise en oeuvre de Conférences femmes; la création de Comités femmes, de Commissions de l’égalité, de départements femmes ou la désignation de responsables des questions d’égalité; l’établissement de quotas, de sièges réservés, la garantie de la proportionnalité; l’existence de nouvelles approches dans la conduite des affaires syndicales; l’éducation des femmes à l’exercice des responsabilités ».

Selon notre étude, il apparaît tout d’abord que toutes les confédérations ont adopté, depuis longtemps, une structure spécifique chargée des questions d’égalité, rattachée aux directions confédérales, disposant d’un budget propre et parfois d’un droit de vote. La désignation d’un ou d’une responsable « égalité » est également fréquente. Si le recours aux formations et aux actions de sensibilisation se généralise, la question de l’introduction de quotas est désormais controversée. En outre, dépassant la seule question des horaires, notre enquête fait état d’un besoin de plus en plus manifeste de mener une nouvelle réflexion sur le fonctionnement global du syndicalisme. Enfin, développer le thème de l’égalité dans toutes les actions est un des objectifs prioritaires de l’approche intégrée de l’égalité, bien que ce thème n’apparaisse pas encore systématiquement. Ces outils ont des effets plus ou moins directs et visibles et sont en réalité employés différemment selon les pays.

Les actions de la Confédération européenne des syndicats

Si au sein de chaque confédération nationale le mouvement d’intégration de l’égalité est encore lent, sur le plan européen, on peut considérer que cette démarche a été amorcée à la CES dès 1992. Le comité femmes de la CES a introduit ce terme par référence au troisième programme d’action de la Commission sur l’égalité des chances (Cockburn 1999 : 122) :

[Le] terme de mainstreaming [d’intégration] a correspondu à l’attente des femmes du Comité Femmes de la CES, qui s’inquiétaient de voir l’action des femmes se « ghettoïser » dans des structures spécialisées […] Elles revendiquaient surtout que le Comité femmes participe aux comités thématiques permanents de la CES et demandaient que les dirigeants de ces comités soient sensibilisés à la question du genre dans leur domaine de compétence, que les secrétariats confédéraux et leurs départements au sein des comités permanents aient responsabilités et moyens pour impulser une politique de genre dans leurs activités.

Concrètement, depuis cette initiative, une conférence sur les femmes est organisée avant chaque congrès (tous les quatre ans). Les statuts de la CES ont été amendés pour que le comité femmes soit représenté dans chaque structure de décision (congrès, conseil de direction, comité d’organisation et certains comités permanents).

Dans le plan d’action pour l’égalité de la CES, adopté en 1995 et reconduit en 1999, le principe est réaffirmé (CES 1995 : 5-6 : « une perspective d’égalité des chances et de traitement des femmes et des hommes est nécessaire pour refléter les intérêts des femmes comme ceux des hommes dans les politiques et programmes syndicaux […] Les syndicats doivent garantir l’expression des problèmes collectifs et individuels des femmes, dans toutes les politiques et dans tous les programmes des organisations et dans les négociations collectives. ». En 1999, le plan en faveur de l’égalité dans la CES et ses organisations affiliées est davantage explicite et trois objectifs y sont affirmés : en premier lieu, on doit assurer la représentativité des femmes dans les organes de négociations collectives et de prises de décision; en deuxième lieu, on doit également intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les politiques syndicales (intégration de la dimension de genre) ; en troisième lieu, le principe de l’égalité salariale y est également annoncé.

L’essentiel des principes de l’approche intégrée était ainsi contenu dans ce plan d’action qui affirmait également en introduction l’importance des liens entre ces trois objectifs, car plus les femmes seront présentes à la table des négociations, plus les thèmes de l’égalité – notamment salariale – seront traités.

Poursuivant cette démarche, le plus récent plan d’égalité de la CES maintient parmi ces objectifs « d’inclure la dimension de l’égalité (gender mainstreaming), en premier lieu dans les négociations collectives (par la formation des négociateurs, en incluant ce thème dans les négociations…); […] et en troisième lieu, expliciter la prise en compte de la dimension « égalité » dans toutes les politiques » (CES 2003b : 1).

Il faut constater aujourd’hui que ces principes affirmés par la CES ne trouvent pas toujours un réel écho au sein des confédérations nationales retenues pour notre étude. L’un des premiers résultats de nos enquêtes est en effet de souligner que peu d’organisations syndicales ont réellement expérimenté l’approche intégrée de l’égalité, bien que le principe général « d’intégrer l’égalité dans les politiques syndicales » ait été introduit explicitement dans de nombreuses confédérations : LO (Danemark), FNV (Pays-Bas), ÖGB (Autriche), CGIL (Italie), CFDT (France) et FGTB (Belgique). L’étude démontre toutefois que certaines démarches, qui ne sont pas qualifiées en tant que telles, s’apparentent à cette approche intégrée de l’égalité dans la mesure où elles ont pour objet de mieux intégrer de façon permanente et systématique l’égalité et la place des femmes dans l’ensemble des structures et des pratiques syndicales : (c’est le cas, par exemple, à la CGT (France), où ce terme n’est pas généralisé, mais où la démarche est en partie appliquée (représentativité des femmes au sein des structures).

Favoriser la place des femmes : quotas, mixité et parité

Parmi l’ensemble des outils à la disposition des organisations syndicales (ou d’ailleurs politiques), le plus visible consiste à favoriser, par une politique volontariste, la place des femmes dans les instances de direction. L’existence d’une « masse critique » de femmes, estimée autour du tiers des effectifs, a été relevée dans de nombreux rapports européens[3] comme un passage obligé en vue d’une meilleure intégration. Nous avons cependant rappelé que ce concept d’approche intégrée ne se limitait pas à la seule question de la représentativité des femmes.

Ainsi, le plan en faveur de l’égalité de la CES de 1999 insiste largement sur cette dimension. Dans le bilan réalisé à mi-parcours de son plan pour l’égalité, le comité des femmes a insisté sur l’importance d’une double approche : tout en développant des mesures spécifiques, il convient d’avoir un système d’intégration de l’égalité dans tout le processus décisionnel et dans toutes les négociations collectives. La nécessité d’actions positives et de mesures volontaristes avec des objectifs quantifiables et un calendrier déterminé est également rappelé.

Or, notre étude MSU montre que bien des barrières subsistent dans la mise en place de telles mesures volontaristes et quantifiables dans les pays étudiés. Un clivage important apparaît entre les pays et même entre confédérations au sein de certains pays, selon l’existence ou non d’affichage d’un objectif quantitatif sur le plan des instances de direction. De plus, il faut tenir compte de l’ancienneté d’une telle démarche. Paradoxalement, les pays correspondant au modèle tripartite, avec un partenariat social fort et l’affirmation d’un objectif égalitaire déjà ancien, qui semblaient les plus à l’avant-garde sur ces questions n’appliquent pas ou peu une politique de quotas, mais ils vont privilégier d’autres actions en faveur de l’égalité, du moins dans le champ syndical. En revanche, cette question semble désormais d’actualité en France surtout (avec de forts clivages internes selon les syndicats), en partie en Italie et en Belgique.

Au Danemark, par exemple, plusieurs organisations syndicales refusent l’utilisation de quotas pour augmenter la part des femmes dans les instances de direction, alors que des mesures de rattrapage ont eu lieu auparavant pour favoriser la place des femmes et de l’égalité. Cette démarche a été surtout pratiquée dans le domaine politique, dans certaines associations, mais pas dans le mouvement syndical. Si des progrès dans la féminisation des instances syndicales apparaissent, on peut se demander si ce n’est pas surtout l’effet de la féminisation du travail, de l’émergence des femmes dans le débat public, en politique, etc. Ce sont donc des mesures indirectes qui ont fortement incité les partenaires sociaux à promouvoir la place des femmes : la législation en matière d’une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les commissions publiques ou la proposition, pour tout recrutement de membres de conseils publics, d’un candidat ou d’une candidate ont eu une vraie influence sur l’ensemble des acteurs sociaux. Ce sont donc des mesures d’ordre plus qualitatif et non coercitif (comme les places réservées ou les quotas) qui vont être privilégiées par la LO. Observons cependant que ce débat n’est pas totalement clos, puisqu’au congrès extraordinaire de la LO de 2003, les délégués et les déléguées ont discuté d’une nouvelle proposition du KAD (le syndicat féminin des ouvrières) en faveur de l’introduction de quotas…

Ces réticences sont en partie partagées aux Pays-Bas, où l’on considère que l’introduction de quotas ou de places réservées, de façon systématique et générale, ne peut être efficace que si les femmes sont suffisamment nombreuses à militer. Dans certaines structures, le déficit de femmes disponibles a rendu toute politique de quotas impossible. En revanche, dans d’autres organisations où il y avait suffisamment de femmes disponibles, des mesures en faveur de la présence des femmes ou encore, et surtout, « le concept plus progressif d’une représentation proportionnelle des femmes » ont mieux réussi.

Enfin, en Autriche, seul le GPA (syndicats des cols blancs) a introduit depuis 1995 un système de quotas : 43 % des personnes qui dirigent ces syndicats doivent être des femmes.

Inversement, en France, la question de la place des femmes dans la prise de décision, et notamment dans le champ politique, a suscité d’importants débats publics récents, vu le déficit de femmes dans les différentes instances politiques. La révision constitutionnelle de juin 1999 a eu des retentissements importants : après de nombreux débats très controversés sur l’idée de parité, la Constitution française a introduit le principe de favoriser un accès égal pour les hommes et les femmes aux mandats électoraux, s’appliquant dès les élections de 2002, où les listes devaient présenter 50 % d’hommes et de femmes (sans imposer toutefois une obligation de résultats concernant l’ordre de nomination des femmes).

Ces lois ont eu jusqu’à présent un impact quantitatif mitigé par rapport aux objectifs de la parité. En revanche, on ne peut pas nier l’effet d’entraînement dans d’autres domaines, notamment auprès des organisations syndicales. La CFDT est la première à avoir introduit, dès les années 80, le principe de quotas (d’un tiers) au sein des grandes instances confédérales (bureau national et commission exécutive) et réfléchit désormais à un mixage de modalités : parité sur le plan interprofessionnel et mixité sur le plan des fédérations « juste représentation » des femmes selon les secteurs d’activité). Beaucoup plus tardivement, mais de façon plus radicale, la CGT a adopté, lors de son congrès de 1999, le principe de la parité dans deux instances de direction (le bureau confédéral et la commission exécutive confédérale). Enfin, les autres centrales syndicales sont marquées par de fortes réticences à l’égard de toutes modalités coercitives en la matière (FO, CFTC, CFE-CGC). De tels choix sont donc complexes et font l’objet de controverses, à l’instar du débat en politique sur l’introduction de la parité : convient-il de « forcer » l’égalité, d’imposer une juste représentativité, au risque d’adopter une approche « communautariste »? La position la plus commune est pourtant de constater que le mouvement « spontané » sera loin de suffire à une juste reconnaissance de la place des femmes dans les structures syndicales.

Ces modalités ont eu un certain impact sur le fonctionnement syndical. Bien que la présence des femmes soit loin d’être le seul vecteur de l’égalité, cette démarche semble un passage obligé pour développer et mieux porter le thème de l’égalité. Cependant, ces principes de parité, de mixité ou « de juste représentation des femmes » éprouvent plus de difficultés d’intégration sur le plan des fédérations ou des unions géographiques : par exemple, à la CGT, la parité n’a pas été introduite au sein du comité confédéral national, véritable instance de direction entre deux congrès, très loin d’être paritaire (25 % de femmes), car cette structure reflète la composition des fédérations. Nous avons constaté que seulement 19 % des fédérations syndicales de la CGT étaient dirigées par des femmes ; pour le congrès de 2006, seulement 27 % des personnes déléguées sont des femmes. Pour autant, le bilan est loin d’être négatif : désormais, dans la plupart des organisations, ce débat sur la place des femmes et les questions d’égalité est porté lors de la préparation des congrès de ces différentes organisations, et cela montre que la mise en oeuvre de la parité, sur le plan confédéral, peut avoir un effet d’entraînement, à terme sur l’ensemble des organisations.

En Italie, dans une moindre mesure, alors que nous avons constaté une forte présence de femmes dans la CGIL (49 % des personnes syndiquées), leur faible représentativité au sein des instances de direction a conduit à introduire un quota minimal de femmes parmi les secrétaires de même que les dirigeantes et les dirigeants (officers) syndicaux en 1991. Ainsi, dans les statuts de la CGIL, un article nouveau a été voté au 12e Congrès : « Dans toutes compositions d’une direction, des comités d’adhérents et ligues de retraités aux directions représentatives, internationales et nationales, il est établi que jamais un sexe ne représente moins de 40 % et plus de 60 % de l’ensemble. » De même, une norme « anti-discrimination » établit une meilleure représentation des femmes dans les directions, le taux pouvant varier de 30 à 40 %. Cette norme commence à avoir des effets positifs, surtout dans les fédérations où les emplois sont féminisés (textile, habillement, chaussures). Au congrès de la CGIL de septembre 2002, la part de déléguées a été de 38,5 % avec des taux oscillant entre 40 et 60 % dans le commerce, le textile et l’emploi public. Pour la seconde confédération, la CISL, les femmes représentent 40 % des membres et, du fait de l’introduction d’un quota minimal, il y a désormais 30 % de femmes à la direction. Cependant, nous observons en Italie que dorénavant on estime plus important d’implanter des mesures plus qualitatives en faveur des femmes et que l’on a choisi de mettre en retrait des mesures de quotas.

Enfin, en Belgique, les quotas ou les mécanismes de parité ne sont pas appliqués lors des élections sociales ni lors de la composition des structures syndicales. Seule la FGTB a fait un pas dans ce domaine en introduisant dans son congrès en juin 2002 un quota d’un tiers de femmes au sein de son conseil de direction (le bureau exécutif). Toutefois, on reconnaît que la composition des structures ne joue pas toujours en faveur des femmes : dans les résolutions du Congrès de 2002, « Emploi de qualité, vie de qualité », la FGTB a inscrit ceci :

La parité entre hommes et femmes devient peu à peu la règle. La FGTB, qui a été aux premières lignes du combat pour l’égalité, doit y préparer ses structures. À cette fin l’alternance hommes/femmes sur les listes des élections sociales 2004 devrait être l’objectif. Dans les secteurs à représentation hommes/femmes déséquilibrée, où cet objectif ne pourrait, en toute logique, être atteint, il faudra viser une participation proportionnelle. La FGTB fédérale décide, pour sa part, d’inclure au minimum 1/3 de femmes dans son Bureau exécutif.

Les réticences à « imposer » des femmes se manifestent dans les autres syndicats : pour la CGSLB, on insiste sur le fait que les hommes, tout comme les femmes, doivent représenter les intérêts de tous et de toutes, hommes et femmes, groupes cibles ou non.

Favoriser l’égalité dans l’action et la négociation

Outre la représentativité des femmes au sein des structures, nous avons déjà souligné qu’une véritable démarche d’intégration de l’égalité suppose que l’ensemble des pratiques et des stratégies syndicales intègrent une perspective de l’égalité entre les genres, que ce soit sur le plan de l’action ou des revendications ou encore sur celui des négociations. L’étude de la Fondation de Dublin (Kravaritou 1997) avait montré à quel point intégrer l’égalité dans la négociation était difficile pour l’ensemble des pays, à des degrés divers cependant. Bien que le thème de l’égalité apparaisse plus souvent, il reste marginal, traité à part. Notre propre étude montre une évolution sensible de ce thème dans les négociations, selon les pays, lié au modèle de relations professionnelles.

Ainsi, c’est aux Pays-Bas, que la volonté syndicale de favoriser l’égalité dans toutes les pratiques syndicales se manifeste le plus aujourd’hui. De nombreuses initiatives ont été prises pour favoriser l’égalité et faire participer les femmes aux actions retenues. Tous les représentants et représentantes syndicaux de la FNV trouvent important d’intéresser à l’égalité les salariées (pas seulement celles qui sont syndiquées) et de les amener à s’y engager en utilisant, pour cela, des moyens différents de ceux qui sont habituellement mobilisés. Cela devrait être fait en ayant recours aux médias largement, outre la presse syndicale pour présenter le syndicat comme une organisation mixte, qui défend les intérêts collectifs et individuels des hommes et des femmes. Il s’agit de présenter le syndicat comme une organisation qui tient compte de l’opinion de ceux et celles qui sont syndiqués ou non syndiqués et qui cherche à inclure les personnes salariées à tous les niveaux de l’action syndicale. Différents principes ont ainsi été introduits, tant dans les méthodes de négociation et les actions que dans les contenus : par exemple, avant une négociation collective, des études et des sondages sont effectués pour mieux tenir compte des points de vue des salariés et des salariées, notamment de ces dernières, qui ne participent pas directement aux réunions. Les syndicats proposent de nouvelles activités et, explicitement, y font participer les femmes (plus de social, de consultation, de formation, de travail éditorial, organisationnel). En outre, dans les thèmes de négociation, la question de l’équilibre entre travail et hors travail est clairement devenu un point central des négociations collectives en vue d’améliorer la situation des femmes au travail. Mentionnons, enfin, des expériences innovantes en matière d’inégalités salariales, comme la constitution d’un observatoire des salaires féminins au sein de la FNV (Wierenk 2002) et des initiatives concrètes comme la lutte contre la discrimination dans l’évaluation des fonctions professionnelles, démarche entamée depuis 1989. On peut également considérer que l’effort commun des syndicats et des organismes employeurs pour établir une liste des problèmes sur ce sujet au sein de l’association STAR est « révolutionnaire ».

Dans les autres pays, la démarche d’intégration de l’égalité se fait jour, mais sous des formes différentes. Ce mouvement semble plus lent et davantage lié à un contexte d’incitation législative, qui s’explique par le rôle spécifique de l’État dans le champ des relations professionnelles de ces pays. Reprenons ici un seul exemple, soit le cas français. La tradition de négociation de l’égalité y est très faible. Cependant, de l’avis partagé par toutes les confédérations, la question de l’égalité dans les négociations sera favorisée par la Loi sur l’égalité professionnelle du 9 mai 2001. Pour toutes les personnes que nous avons interrogées, le volet de cette loi sur la négociation fait l’objet d’un consensus : la négociation obligatoire de l’égalité professionnelle, en tant que telle et parmi les autres thèmes de négociation, ainsi que la mise en place d’indicateurs sexués contribueront, notamment, à une meilleure intégration de l’égalité. Certaines personnes ont parfois émis des doutes quant aux répercussions réelles de cette loi, à plus long terme. Le bilan de la loi précédente sur l’égalité professionnelle de 1983 est en effet plutôt négatif : peu de plans d’égalité professionnelle, peu de rapports de situations sur la place des femmes et des hommes, même lorsque ces rapports étaient obligatoires… La crainte que la nouvelle loi ait aussi peu d’impact s’est donc exprimée : tant que les acteurs locaux de l’entreprise – et tout particulièrement les syndicats – ne s’engageront pas dans la démarche, ce thème ne viendra pas naturellement sur la table des négociations… Or, le nombre de thèmes de négociation (outre les salaires, le temps de travail et la prévoyance collective, viennent s’ajouter l’égalité et l’épargne salariale) et la faiblesse des forces syndicales dans bon nombre d’entreprises ne simplifient pas la tâche de ceux et de celles qui prennent part aux négociations. Enfin, les syndicalistes expriment aussi des doutes légitimes quant à la participation des directions d’entreprise du fait, notamment, de la faiblesse des sanctions, rares par exemple en cas de non-négociation réelle sur les salaires. Cependant, le premier bilan des accords signés dans ce contexte montre qu’une certaine mobilisation prend forme : plus d’une cinquantaine d’accords ont été signés depuis 2001, ce qui est une première en France (Laufer et Silvera 2005).

Modifier le fonctionnement interne et les structures syndicales

Dans l’ensemble des pays étudiés, devant la culture syndicale dominante marquée sous le sceau du modèle du militant ou de la militante totalement disponible, la volonté d’assouplir le mode de fonctionnement interne et les structures syndicales se manifeste. Il s’agit : de proposer des changements organisationnels (en France, par exemple, il y aura des réflexions sur les horaires des réunions syndicales, sur l’aide au reclassement des syndicalistes par la mise en place d’une véritable « gestion des ressources syndicales » (CFDT)); d’introduire un mode de management plus déconcentré avec, par exemple, des directions collégiales (et mixtes); de changer et d’alléger certaines structures par fusion, de développer des organisations plus horizontales (Pays-Bas). Il est essentiel de distinguer, dans le cas de la FNV, le personnel salarié de la confédération des militantes et des militants élus non permanents. Pour le personnel salarié de la FNV, de nombreuses mesures ayant pour objet l’égalité ont été introduites : possibilité d’accueil des enfants, de congés longs pour les pères et mères; changement dans les méthodes de recrutement, avec une ouverture sur l’extérieur; changement dans la gestion interne du personnel (possibilité de temps partiel pour tous et toutes, restrictions des heures supplémentaires et remise en question du modèle de disponibilité « jour et nuit », changement des règles de mobilité obligatoire). Toutes ces mesures font désormais partie d’un accord collectif interne au syndicat et ont réellement permis de modifier la culture dominante du syndicat, de favoriser l’égalité à l’interne. Notons que ces mesures sont loin d’être généralisées parmi ceux et celles qui sont syndiqués et responsables non permanents (qui sont cependant minoritaires parmi les membres des conseils de direction mais nombreux au sein des comités de direction). Bien que l’on relève des progrès, il paraît plus difficile de changer les pratiques de ces militants et militantes, qui offrent volontairement leur temps au syndicat…

Ces transformations, souvent encore à l’état de réflexion, ne concernent pas toujours directement l’égalité de genre, mais elles ont fréquemment des effets indirects sur la question. À travers ces différentes mesures, l’objectif est d’ailleurs de mieux répondre aux attentes de toutes les personnes, qu’elles travaillent ou soient en chômage, notamment les plus jeunes. Ces intérêts « nouveaux » sont parfois surtout portés par les hommes syndicalistes comme en Autriche. De même, aux Pays-Bas, l’accent est mis en faveur de la « diversité » syndicale (personnes venant de l’étranger, jeunes, personnes en chômage et femmes). Mais dans ce cas un véritable débat s’est engagé sur le fait d’abandonner pour autant les structures pour les femmes, comme à la FNV Bondgenoten, où est fortement discutée l’idée de supprimer le comité national pour les femmes et de mettre en place une structure commune pour les femmes, les jeunes et les personnes venant de l’étranger.

Conclusion

L’intégration de la place des femmes et de l’égalité est un processus lent, qui éprouve encore des difficultés, y compris lorsque le contexte semble favorable sur le plan des relations professionnelles. La reconnaissance des femmes au sein des structures syndicales ou même le thème de l’égalité ne se sont toujours pas totalement imposés. Ces modèles sociaux intégrés se sont construits bien davantage sur la défense des intérêts du « noyau dur » du salariat essentiellement masculin (les ouvriers de l’industrie). L’exemple autrichien est, à cet égard, édifiant, où malgré une syndicalisation ancienne et importante des femmes, ces dernières restent largement exclues des centres de décision syndicaux à tous les niveaux des trois organisations différentes sur lesquels repose ce modèle social. De plus, fait alarmant, lorsque l’intégration semble acquise, parfois de longue date, elle reste fragile et le maintien d’une action tant transversale que permanente se révèle difficile partout.

L’étude comparative du défi que doit relever l’intégration de l’égalité dans toutes les stratégies et actions dans le syndicalisme nous a permis de relever les conditions préalables à une telle démarche : les systèmes de relations professionnelles dits « néo-corporatistes », marqués par une audience syndicale forte, une montée des thèmes égalitaires, portée conjointement par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux, ont favorisé cette démarche intégrée. Cependant, les mesures de rattrapage sous forme de quotas et de places réservées ne sont pas privilégiées (mais ce débat reprend au Danemark). La démarche de l’approche intégrée et transversale de l’égalité apparaît sous d’autres formes (intégration de cette question dans l’ensemble des pratiques syndicales, réflexion sur l’organisation, les horaires, intégration de l’égalité dans les négociations, développement de la formation). Si ces mesures sont efficaces sur le plan de la culture syndicale, il n’empêche que, dans ces pays, la part des femmes aux postes de direction des principales confédérations est loin d’être à parité (au Danemark surtout).

En revanche, dans les pays où le système de relations professionnelles est d’ordre plus oppositionnel (en France et en partie en Italie), l’État a compensé l’absence de consensus autour de l’égalité en introduisant une législation plus contraignante ou en s’appuyant sur les directives européennes (Italie et Belgique). Dans ces pays, sur la période toute récente, il semble que des mesures fortes apparaissent au sein des syndicats en vue d’améliorer la prise en considération des femmes dans les structures et les revendications syndicales, sous la double pression des mouvements sociaux (dont les mouvements féministes) et de la loi. Dans ce contexte, apparaissent des mesures volontaristes (comme les quotas, les normes antidiscrimination, la parité) qui atteignent un effet encore relatif. En revanche, des mesures d’intégration réelle de l’égalité dans toutes les stratégies et actions syndicales sont plus difficiles à mettre en oeuvre.

Or il convient de ne pas opposer mesures quantitatives et qualitatives : la présence des femmes à la direction des syndicats influence en effet les préoccupations syndicales mais aussi les méthodes de travail, jugées plus démocratiques. Ainsi, favoriser la représentativité féminine est un des moyens de diffusion des thèmes égalitaires. Certaines questions considérées comme « privées » ou individuelles deviennent des revendications collectives qui nécessitent des solutions sociales d’ensemble. Le champ revendicatif s’élargit au domaine du « hors » travail et à la sphère du privé (avortement, harcèlement sexuel, modes d’accueil des enfants, partage des tâches domestiques et familiales, etc.). De plus, en reliant la question domination/exploitation, en posant la question de la condition d’infériorité faite aux femmes, des militantes et des militants obligent le syndicalisme à s’interroger sur l’un de ses fondements, soit l’égalité (l’égalité serait-elle circonscrite à l’entreprise?), et invitent chaque membre du syndicat – hommes et femmes – à réfléchir sur sa participation à la production et à la reproduction de la division sexuelle des rôles.

Enfin, soulignons que notre programme de recherche, un groupe de travail intersyndical belge a permis la signature par les trois organisations syndicales représentatives d’une charte syndicale de l’approche intégrée de l’égalité, qui les engage à respecter certains principes comme un suivi statistique de la place des femmes dans toutes les instances, la possibilité de mettre en oeuvre des mesures de rattrapage pour favoriser leur juste représentation, l’introduction du thème de l’égalité dans toutes les actions et négociations et dans toutes les formations syndicales… Gageons qu’une telle démarche sera suivie dans d’autres pays[4]

Tous ces débats et initiatives autour de l’approche intégrée de l’égalité vont bien plus loin que la seule représentativité des femmes dans les instances syndicales, même si cela constitue un préalable incontournable. Il s’agit d’un des enjeux majeurs du syndicalisme que d’intégrer une telle démarche pour favoriser l’égalité professionnelle certes, mais aussi l’égalité dans toutes les dimensions de la vie. L’égalité restera un objectif vain sans une telle participation des partenaires sociaux, mais, inversement, l’avenir du syndicalisme passe par une véritable reconnaissance de la place des femmes dans l’entreprise et hors de celle-ci.

Tableau

Liste des sigles

Acronyme (pays)

Titre en entier

ABVV-FGTB (Be)

Algemeen Belgisch VakVerbond - Fédération générale du travail de Belgique

ACLVB-CGSLB (Be)

Algemeen Centrale des Liberale Vakbonden van België -Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique

ACV-CSC (Be)

Algemeen Christelijk Vakverbond - Confédération des syndicats chrétiens

AC (DK)

Akademikernes Centralorganisation (Confédération danoise des associations professionnelles)

BIT

Bureau International du Travail

CES

Confédération Européenne des syndicats

CFDT(FR)

Confédération française démocratique du travail

CFE-CGC (FR)

Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres

CFTC (FR)

Confédération française des travailleurs chrétiens.

CGIL (IT)

Confederazione Generale Italiana del Lavoro (Confédération générale italienne du travail)

CISL (IT)

Confederazione Italiana sindicati Lavoratori (Confédération Italienne des syndicats des travailleurs)

CGT (FR)

Confédération générale du travail

CGT-FO (FR)

Confédération Générale du Travail – Force ouvrière

DA (DK)

Dansk Arbejdsgiverforening (Fédération des employeurs danois)

EIRO

European Industrial Relations Observatory (Observatoire européen des relations industrielles)

FNV (NL)

Federatie Nederlandse Vakbeweging (Confédération syndicale hollandaise)

FTF (DK)

Funktionaerernes og Tjenestemaedenes (Fédération des employés et fonctionnaires).

GMT (AU)

Gewerkschaft Metall-Textil (Fédération de la métallurgie et du textile)

GPA (Au)

Gewerkschaft der Privatangestellten (Fédération des employés privés)

HK (DK)

Handels- og kontorforbundet (Union des employés de bureau et commerciaux)

IRES (FR)

Institut de Recherches économiques et sociales

ISERES (FR)

Institut Syndical d’études et de recherches économiques et sociales

KAD (DK)

Kvindeligt Arbejderforbund (Syndicat des femmes ouvrières)

LO (DK)

Landsorganisationen I Danmark (Confédération des syndicats danois)

MSU

MainStreaming into Unions (approche intégrée de l’égalité dans les syndicats)

ÖGB (AU)

Osterreichischer Gewerkschaftsbund (Fédération des syndicats autrichiens)

UGICT-CGT (FR)

Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens - CGT

UIL (It)

Unione Italiana del Lavoro (Union italienne du travail)

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