Article body

Le projet Autonomie et diffusion de l’information sur Internet (ADI), est un projet de partenariat entre l’Université de Montréal et le Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF) qui a pour objet l’appropriation des technologies de l’information et de la communication (TIC) par les groupes de femmes afin que ces derniers soient présents sur l’autoroute de l’information et y diffusent de l’information. Les lignes qui suivent rendent compte de ce projet qui s’est déroulé entre 1999 et 2001. Le texte ouvre sur une présentation du CDEACF et sur la problématique relative aux TIC en poursuivant avec une description du projet ADI pour terminer par une mise en perspective.

Le Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine

Le Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CDEACF) est né en 1983 de la fusion du centre de documentation de l’Institut canadien d’éducation des adultes (ICEA) et de celui de Relais-femmes. Ces deux organismes sont eux-mêmes issus de la volonté de groupes populaires, communautaires, syndicaux et universitaires. Les centres de documentation ont toujours été essentiels pour le travail de militance ou le travail communautaire mais les groupes de terrain ont de la difficulté à en assumer la gestion dès lors que la documentation devient volumineuse, d’où l’importance du CDEACF.

Le CDEACF est géré par un conseil d’administration constitué de représentantes et de représentants des groupes membres, dont statutairement deux membres viennent des organismes fondateurs, soit l’ICEA et Relais-femmes[1]. Le CDEACF a pour mandat la collecte, l’organisation, l’animation et la diffusion de l’information documentaire sur l’éducation des adultes — incluant l’alphabétisation, l’éducation populaire et l’action communautaire — et sur la condition féminine. Il a aussi pour mandat de former les groupes dans la gestion documentaire et de participer aux réseaux nationaux et internationaux travaillant dans des champs similaires ou complémentaires par rapport aux siens. Or, la collecte et la diffusion de l’information ne peuvent se faire de nos jours sans recourir aux TIC. Ces dernières ont modifié le rôle et les modes de fonctionnement des centres de documentation[2].

Puisqu’il est au coeur de l’information, le CDEACF[3] a vite constaté que les groupes membres, plus précisément les groupes de femmes, n’étaient pas présents dans le réseau des réseaux ni ne savaient aller chercher l’information dont ils avaient besoin. De fait, dès 1988, une étude effectuée par Relais-femmes sur le réseau télématique révélait que 60 % des 114 groupes interviewés considéraient que l’outil était pertinent et méritait que les groupes investissent dans son intégration. Six ans plus tard, en 1994, une autre étude menée en milieu communautaire confirmait les données en insistant désormais sur le fait que les groupes avaient besoin de cet outil : c’est une question d’efficacité et d’influence dans le champ social et politique. L’importance des technologies n’est plus à démontrer ; elles sont devenues des outils de démocratisation et un vecteur du développement (BTA 1998 ; Communautique 2000a et 2000b).

C’est ainsi que les groupes membres du conseil d’administration[4] ont mandaté le CDEACF pour qu’il remédie à la situation et orchestre pour les groupes de femmes une stratégie en vue de les inscrire dans le réseau mondial virtuel. Depuis, plusieurs projets ont pris forme et ont été réalisés pour sensibiliser les groupes et les aider à s’équiper et à se former. En 1996, le projet Les groupes internautes[5] (Solar et Ndejuru 2000) naissait et l’idée d’un cyberféminisme québécois prenait forme (Stanton 1996). Suivront le projet Internet au féminin[6] (1997-1999), Volnet[7] (1999-2001) et le projet ADI (1999-2001), dont il est question dans le présent texte.

L’idée du cyberféminisme est non seulement de donner accès aux groupes de femmes à l’information disponible sur le Web, par exemple celle qui est relative aux diverses conférences internationales sur le développement social (1995) ou sur la situation des femmes (1995, Beijing+5), mais aussi d’inscrire les groupes de femmes sur l’inforoute afin de diffuser les données et l’expertise qu’ils ont développées au fil des ans. Pour ce faire, les groupes de femmes devaient se former aux TIC.

Les objectifs du projet ADI

Le projet ADI était un projet de formation qui avait pour objet le développement de l’autonomie des groupes de femmes dans la diffusion de l’information sur Internet en vue d’assurer une plus grande présence des groupes de femmes sur l’inforoute, de faire circuler davantage d’information relative aux femmes et aux groupes de femmes et de favoriser la communication entre les groupes. Dans cette perspective, il s’intéressait à l’appropriation des TIC par les groupes de femmes.

Les objectifs du projet ADI, au nombre de quatre, sont détaillés ci-dessous. Les moyens retenus pour les atteindre consistaient en des sessions de formation de trois jours en vue de développer les compétences des femmes membres des groupes de femmes quant à l’insertion et à la diffusion de l’information sur l’autoroute de l’information, en des activités d’accompagnement et de suivi et en des listes de discussion. Les outils mis au point pour soutenir la démarche sont les suivants : des documents d’accompagnement pour les sessions de formation ; le site Netfemmes sur le serveur du CDEACF avec des comptes de développement Web et un service d’hébergement Web, si désiré ; un gabarit de site pour faciliter la réalisation de sites ; des listes de discussion avant, pendant et après les sessions de formation ; un outil d’autodiagnostic pour apprécier son niveau de connaissances avant les sessions de formation ; et un questionnaire d’évaluation des sessions de formation.

Les personnes engagées dans la réalisation du projet ADI étaient nombreuses puisqu’il exigeait des compétences multiples en plus d’un travail soutenu dans un laps de temps relativement bref. Rosalie Ndejuru, directrice du CDEACF, Sharon Hackett, coordonnatrice du projet pour le CDEACF, et Claudie Solar, professeure au Département de psychopédagogie et d’andragogie de l’Université de Montréal, formaient le noyau de base à la coordination et à la réalisation du projet, mais celui-ci n’aurait pu voir le jour sans la contribution de Christine Simard, François Dallaire et Maryse Rivard ainsi que de Sylvie Chénard, Natacha Dumoulin, Monique Fréchette, Ghislaine Jetté, Florence Millerand, Yves Otis, Claude-Audrey Picard et Monique Sauvé.

Premier objectif : Assurer la formation des intervenantes des groupes de femmes à l’utilisation des TIC pour la diffusion et la communication

Au total, neuf sessions de formation ont eu lieu : six à Montréal, deux à Québec et une à Baie-Comeau. Ces sessions ont rejoint 90 femmes de 70 groupes différents de toutes les régions du Québec, car, à défaut d’orchestrer les activités dans la région, notamment par manque d’accessibilité à des laboratoires informatiques, le projet ADI permettait de rembourser les frais de déplacement et de séjour des participantes. Le projet comporte donc un total de 210 jours-personnes de formation.

Le déroulement type de l’organisation et de la tenue d’une session de formation était le suivant :

  1. Annonce de la tenue d’une session de formation : les futures participantes remplissent d’abord la grille d’autoévaluation pour déterminer leur niveau de connaissances informatiques ;

  2. Période d’inscription et démarrage d’une liste de discussion ;

  3. Tenue d’une session de formation sur la planification et la création d’un site ;

  4. Évaluation de la session de formation.

Deuxième objectif : Offrir un suivi à la formation

Afin d’assurer un suivi à la formation, on a eu recours à la création de deux listes de discussion, d’une part, et à la tenue d’activités de suivi, d’autre part. La première liste de discussion était mise en place pour chaque groupe de formation et commençait dès l’inscription pour se poursuivre pendant la formation et quelque temps après. Il s’agissait dans ce cas de se préparer pour la formation en déterminant notamment le type d’information à mettre sur Internet et les objectifs à atteindre par la création du site du groupe visé ainsi que d’avoir un encadrement en dehors des temps de rencontre. Il était alors question d’explicitation des contenus et des outils, de soutien aux travaux à exécuter et aux démarches de conception d’un site. Cette liste permettait aussi de construire une cohésion de groupe. Elle prenait fin avec des éléments d’évaluation et du soutien propre au groupe de formation visé.

La seconde liste de discussion permettait de joindre toutes les personnes qui avaient suivi la formation ainsi que toutes celles qui voulaient en savoir plus du point de vue technique sur la mise en ligne de l’information et sur les modalités de communication. Il s’agissait de la liste TECHNO de Netfemmes toujours accessible sur le Web (/listes/techno.html).

Les activités de suivi se sont aussi concrétisées dans des rencontres d’une journée. Deux sessions, rejoignant seize femmes, ont ainsi été orchestrées à Montréal et à Sherbrooke, de pair avec cinq sessions de suivi individualisé auprès de dix femmes. À ce suivi structuré, il convient d’ajouter tous les cas de suivi ponctuel effectué par téléphone ou par courriel.

Troisième objectif : Soutenir les groupes dans l’élaboration de leur site Web et dans leur insertion sur le réseau

La liste de discussion TECHNO, les documents d’accompagnement des sessions de formation et le suivi individualisé, tous assurés principalement par Sharon Hackett, ont servi et servent encore de soutien aux groupes dans l’insertion de l’information sur le Web et l’élaboration de sites. Pour soutenir les groupes, un gabarit de site est proposé en vue de faciliter la conception et la réalisation d’un site. Ce gabarit a été utilisé lors des sessions de formation et est toujours disponible. Il s’inspire du graphisme du site Netfemmes, ce qui permet d’harmoniser l’ensemble des productions pour les sites qui choisissent de se servir de cet outil. Enfin, une trousse d’outils pour webmestre est offerte présentement sur le site du projet ADI (http://netfemmes.cdeacf.ca/diffuser/). Elle était distribuée sous forme de CD-ROM lors des sessions de formation.

Quatrième objectif : Concevoir des documents d’accompagnement pour l’utilisation et le développement du site des groupes et du serveur Netfemmes

Les documents d’accompagnement, Diffuser sur le Web 1 et 2, ainsi que les outils de conception, comme nous venons de le voir, ont été mis au point pour les sessions de formation et ont servi à l’accompagnement lors de la formation ainsi qu’au suivi et au soutien dans la diffusion de l’information et le développement de sites. Ces documents, ou parties de documents, et d’autres sont disponibles à l’heure actuelle sur le site Netfemmes[8].

Un bilan du projet ADI

Si l’on résume, le projet ADI a rejoint 90 femmes dans les neufs sessions de formation de trois jours, 16 femmes dans le suivi de un jour et 10 femmes dans des sessions de suivi individualisé ou en petit groupe. Au total, 116 femmes ont eu accès à des sessions de formation. On note que 80 groupes de femmes ont ainsi bénéficié des sessions de formation et de suivi. Les membres des groupes venaient de différentes municipalités : Baie-Comeau, Bonaventure, Charlesbourg, Chibougamau, Drummondville, Gaspé, La Baie, Montréal, Notre-Dame-des-Prairies, Québec, Rivière-du-Loup, Shawinigan, Sherbrooke, Saint-Georges de Beauce, Saint-Jean-sur-Richelieu, Saint-Jérôme, Sainte-Thècle, Weedon.

Depuis, les stratégies de formation ont évolué et se sont consolidées dans le temps. Les documents d’accompagnement pour l’élaboration des sites ont également été enrichis au fil du temps. Les mises à jour des sites utilisées comme sources de référence se font par l’entremise du courriel et des listes de discussion.

L’appropriation et l’utilisation d’Internet par les groupes de femmes se notent par la fréquentation accrue du site Netfemmes. En 1999, le site recevait 650 visites hebdomadaires pour une consultation de 3 500 pages par semaine ; en 2001, la fréquence a plus que triplé, passant à 2 250 visites hebdomadaires pour une consultation de 11 770 pages par semaine.

Les femmes ayant reçu la formation sont devenues des conceptrices ou des gestionnaires de sites dans certains cas, des webmestres dans d’autres. Parfois, elles ont conçu de nouveaux sites ; parfois, elles ont restructuré ou mis à jour le site existant.

Pour les 80 groupes différents rejoints dans ce projet, 27 ont réalisé des sites (voir la liste des sites plus bas) et au moins une dizaine sont en train de mettre au point le leur. Ainsi, le tiers des groupes a désormais un site : il s’agit là d’une réussite exceptionnelle, et nous ne doutons pas que le nombre de sites va continuer à augmenter.

Les sites en ligne découlant du projet ADI

Les sites suivants sont en construction :

  • Portail “ Femmes et pouvoir ” en Estrie

  • Site RQCF

  • Site ConcertAction Femmes Estrie

  • Sites de plusieurs groupes estriens

L’appréciation du projet ADI

Nous présentons ci-dessous des éléments relatifs à l’évaluation des sessions de formation, à l’appréciation du projet ADI par le CDEACF et aux retombées pour les groupes.

L’évaluation des sessions de formation

L’évaluation de la formation a eu lieu à chaque session. Le tableau 1 présente la moyenne des résultats aux questions du type quantitatif du formulaire d’évaluation. Les sessions de formation ont suscité un haut niveau de satisfaction : la moyenne la plus basse est de 3,4 sur l’échelle de Likert, où 4 correspond à la plus grande satisfaction. La satisfaction quant aux formatrices est également très élevée (3,8/4) et, fait à noter, les sessions de formation sont recommandées à l’unanimité.

Les commentaires du type qualitatif, pour leur part, révèlent une tout aussi grande satisfaction quant aux sessions de formation. Les participantes disent avoir généralement atteint leurs objectifs personnels quant à l’apprentissage des outils informatiques pour la diffusion sur le Web. En fait, les données qualitatives ont surtout été utiles pour adapter les contenus des trois journées de formation et leur ventilation. Une certaine constance dans les commentaires se dessine autour du fait que les participantes se rendent compte, à la fin des trois jours de formation, que davantage de temps est nécessaire pour mettre la dernière main à leur site de groupe et procéder à son insertion sur le réseau.

Tableau 1

Résultats des évaluations des sessions de formation

Résultats des évaluations des sessions de formation

-> See the list of tables

Soulignons qu’au fil des sessions de formation, les commentaires des participantes ont toujours été pris en considération et ont donné lieu à des réaménagements parfois minimes, sur la façon de présenter un aspect, parfois plus substantiels, quand il s’agit du contenu ou du déroulement.

L’appréciation du projet ADI par le CDEACF

Pour le CDEACF, le projet ADI a permis rien de moins que de garantir l’existence et le développement du grand réseau Netfemmes. La liste TECHNO a pris son essor grâce aux deux années d’existence de ce projet et est devenue un espace virtuel d’échange d’idées entre femmes francophones sur les questions technologiques : elle réunit plus de 130 femmes d’une dizaine de pays. Cette fréquentation accrue est typique du renforcement des liens de réseautage et de partenariat que le projet a permis.

À travers les sessions de formation présentées en direct et le volet virtuel, le CDEACF a joué un rôle de conseiller et d’animateur auprès des groupes participants. Les différents services offerts dans ce projet ont amené le CDEACF à concevoir des services d’hébergement de sites, des services-conseils et des services de développement d’applications pour les groupes de femmes, en plus de la création et de la gestion des listes de discussion. De cette manière, le CDEACF conserve un leadership en matière de technologies et offre aux groupes des conseils fiables dans une perspective féministe.

Par ailleurs, la reconnaissance dont jouit le CDEACF auprès des groupes de femmes et des groupes communautaires lui a valu d’être le promoteur d’un projet de développement d’outils de formation à distance. Ce projet réunit six regroupements de groupes de femmes parmi les plus importants du Québec et du Canada francophone. La réputation et l’expertise du CDEACF lui ont également permis d’être sollicité pour siéger au conseil d’administration du Carrefour mondial de l’Internet citoyen[9]. En outre, il a été appelé à coordonner pour l’alliance internationale WomenAction un projet de recherche mondial qui a donné lieu à la publication d’un site trilingue[10], à la parution de trois versions de l’ouvrage Femmes et médias à travers le monde pour le changement social publié en anglais, en français et en espagnol (CDEACF 2000) ainsi qu’à l’élaboration d’un répertoire de ressources féministes en communication. Enfin, le CDEACF est devenu l’un des plus importants organismes d’exécution du programme de branchement auprès des organismes communautaires et bénévoles (Volnet), et ce, depuis 1999.

Enfin, aucune bibliothèque ni centre de documentation ne peut aujourd’hui prétendre accomplir sa mission de façon appropriée sans recourir aux TIC. C’est pour cela que le CDEACF doit s’assurer que ses usagères et usagers ont les capacités technologiques nécessaires pour recevoir et diffuser l’information. Le projet ADI a grandement contribué à l’atteinte de cet objectif.

Les retombées pour les groupes visés

Rappelons que 27 sites sont maintenant en ligne et que plus d’une dizaine sont en développement. Cela constitue une retombée directe du projet ADI pour un tiers des groupes. Cela n’aurait pas été possible sans les sessions de formation. Par ailleurs, le nombre de groupes de femmes qui s’engagent dans les TIC a augmenté. La capacité des groupes de femmes à mettre en évidence les applications technologiques pertinentes et appropriées à leurs besoins s’est grandement améliorée et leur capacité de transiger avec les techniciens et les techniciennes (webmestre, infographe, développeur ou développeuse de bases de données) s’est confirmée.

Le projet ADI a permis au CDEACF de lancer une gamme de services destinés aux groupes de femmes : d’abord un “ serveur solidaire ” qui héberge de plus en plus de sites de groupes, dont plusieurs ont été créés ou refaits dans le contexte du projet : c’est notamment le cas du site du Regroupement des femmes de la région 03[11]. Les sessions de formation et le suivi réalisés pendant le projet ont donné naissance à une gamme de services-conseils très appréciés des groupes de femmes, incluant le développement d’applications Web partagées ou créées sur mesure, ou les deux à la fois, dont on peut trouver des exemples sur le site Netfemmes[12].

Une autre retombée directe du projet ADI concerne la table des groupes de femmes ConcertAction Femmes Estrie, qui a tenu à ce que tous les groupes de sa région bénéficient des avantages de cette formation. À cette fin, elle a demandé et obtenu un projet de portail qui deviendra un site parapluie pour tous les groupes de la région qui souhaitent une présence virtuelle.

Aujourd’hui, de nombreux groupes de femmes ont démythifié Internet, notamment grâce au projet ADI, et sont en mesure d’en faire un usage ciblé en soutien à leurs actions. Ce qui a été l’apanage de la Marche mondiale (site, bases de données et listes de discussion) devient une possibilité très réelle pour des groupes de moins grande envergure. C’est cette démocratisation technologique qui permet d’intégrer l’ère de l’information et du savoir. Les groupes de femmes qui ont participé au projet ADI y sont entrés par la grande porte.

Une mise en perspective

Après la présentation du projet ADI ainsi que de ses activités et retombées détaillées, nous voulons en traiter sous différents angles afin d’en dégager les enjeux collectifs sous-jacents et de l’analyser sous l’angle de l’autoformation, c’est-à-dire de la formation continue autodirigée, et de perspectives féministes quant à l’appropriation des TIC.

Des enjeux collectifs

Le projet ADI s’inscrit dans la foulée des projets de démocratisation des TIC auprès des femmes et des groupes de femmes. Si son objectif premier est la formation des groupes, les autres projets du CDEACF viennent en soutenir la démarche en fait d’équipement et de branchement au réseau des réseaux. Ce sont là des objectifs à court terme : pour que les femmes aient une influence sur le Web, il faut qu’elles soient équipées, branchées et formées. L’objectif ultime à atteindre à long terme est de s’assurer de la présence des groupes de femmes sur Internet et les enjeux sous-jacents sont ceux de la langue, des savoirs et de la mondialisation :

  • pour ce qui est de la langue : le réseau Internet est surtout en anglais, d’où l’importance de créer des espaces francophones et de concourir au développement d’une culture. De plus, le langage n’est pas neutre (Batelaan et Gundera 1991 ; Moreau 1991 ; Labrosse 1990 ; Yaguello 1989 ; Poyton 1989 ; Dumais 1987) et des sites au langage inclusif respectent davantage la place et la présence des femmes ;

  • pour ce qui est des savoirs : le savoir non plus n’est pas neutre (Bouchard 1995 ; Solar 1995 ; Mosconi 1994 et 1989) et les savoirs sur les réseaux n’ont pas l’ampleur ni la diversité de ceux qui sont disponibles sur les médias plus classiques, tel l’imprimé, tout particulièrement quand il s’agit des savoirs féministes. Former des femmes aux TIC, c’est donc favoriser l’insertion non seulement de contenus relatifs aux femmes mais aussi l’expertise et les savoirs spécialisés développés par les groupes de femmes ;

  • pour ce qui est de la mondialisation : “ On parle beaucoup de la mondialisation. Mais on ne parle pas des femmes ”, écrit Wichterich dans La femme mondialisée (1999 : 11). D’après cette auteure, jusqu’à présent, les femmes et les groupes de femmes subissent plus qu’ils ne participent à cette mondialisation et la pénétration des TIC est inéquitable (Elie 1996). Pourtant, les groupes souhaitent y participer et le font de plus en plus (CDEACF 2000), notamment en diffusant sur Internet les réponses des femmes aux questions sociales, politiques et économiques. Les groupes veulent bâtir un réseau de solidarité et d’entraide dans la lutte mondiale contre la discrimination. Nous y reviendrons plus loin.

Une démarche d’autoformation collective

Dans la lignée de la mise en perspective théorique dans le champ de l’éducation que nous avons faite en 1997 à propos du projet Les groupes internautes (Solar et Ndejuru 2000), le projet ADI constitue aussi une démarche d’autoformation collective. Il s’agit en effet d’une prise en charge collective des besoins de formation dans une perspective de prise de pouvoir collective sur les TIC. Nous écrivions alors (Solar et Ndejuru 2000 : 206-207) :

Les groupes de femmes font partie du monde associatif et ce milieu est porteur de projets d’autoformation individuelle ou collective (Portelli, 1985 ; Solar, 1994). Les groupes de femmes s’insèrent en effet dans une structure le plus souvent en marge des institutions, ce qui en fait un ferment d’autodidaxie selon la catégorisation de Philippe Carré (1992) […] Ils constituent aussi des organisations autoformatrices commandant des apprentissages par et dans les activités du groupe. Les groupes comme tels et les femmes qui y travaillent ont depuis fort longtemps décidé des formations qui leur conviennent. L’autodirection dans l’apprentissage couvre tous les aspects de la formation : du quoi au comment, avec qui et quand. De plus, si l’autoformation individuelle consiste à produire sa vie (Pineau et Marie-Michèle, 1983), l’autoformation collective serait alors de produire sa société. L’autoformation collective des groupes de femmes réside dans l’auto-éducation permanente “ pour les femmes par les femmes ” pour reprendre un slogan propre au mouvement des femmes.

Il s’agit bien d’une prise en charge collective des besoins de formation, car le CDEACF est une organisation à but non lucratif. Ce sont les membres qui expriment leurs besoins et qui décident des orientations du CDEAF. De plus, le projet ADI s’est construit et déroulé dans une interaction constante entre le CDEAF et les groupes de femmes. À cette prise en charge collective des besoins de formation s’ajoute une prise en charge collective dans la direction de la formation, ce qui transparaît dans les modalités d’évaluation et de rétroaction continues qui ont accompagné le projet.

La prise de pouvoir collective

Nous reprendrons ici les propos tenus au sujet du projet Les internautes (Solar et Ndejuru 2000 : 208) :

À l’heure de la mondialisation des savoirs, des marchés et des communications, les nouvelles technologies de l’information et des communications deviennent de plus en plus des préalables à l’action, tant politique, économique que culturelle (CCAI, 1995). Les NTIC donnent accès à une multitude de données de façon immédiate et permettent une mise en réseau des personnes, des groupes et des organisations (Krol, 1995). Elles constituent une source d’apprentissage majeure pour l’avenir et favorisent une formation permanente (Delors, 1996). Cette mise en réseau, de plus, fait fi des distances et du temps et permet des nouvelles modalités de travail et d’intervention (Lévy, 1995 ; Harasim, 1996). Elle brise l’isolement des groupes et des personnes, que cet isolement résulte de la dispersion sur un territoire donné, comme c’est le cas pour les francophones du Canada, ou de la spécificité des dossiers, comme c’est le cas pour ceux sur la situation des femmes.

La prise de pouvoir sur les TIC permet la construction d’une solidarité internationale plus que nécessaire : “ La solidarité féminine internationale a besoin, sur le marché global, de nouvelles voies et de nouveaux instruments ” (Wichterich 1999 : 62). Cette prise de pouvoir permet des actions à la grandeur de la planète : la Marche mondiale des femmes n’aurait pas pu prendre l’ampleur qu’elle a connue sans cet outil indispensable d’interactivité et de connectivité qu’offrent les TIC. Il s’agit ici d’une appropriation collective de leurs pouvoirs (empowerment) grâce à laquelle les groupes formés sont entrés dans un processus dynamique qui leur a permis de développer un sentiment de compétence et d’efficacité, en rapport avec une capacité d’agir sur leur environnement dans un contexte donné (Marescot 2002 : 17-18).

Le projet ADI, de pair avec les autres projets du CDEACF, a donc permis aux femmes et aux groupes de femmes non seulement d’accéder aux sites Internet mais encore d’en créer. Rappelons qu’au début de 1997 il n’y avait aucun site de groupe francophone sur Internet. La situation a donc changé rapidement. Le site Netfemmes[13], quant à lui, est hébergé sur le serveur du CDEAF[14]. Ce site, nous l’avons dit, a reçu, en 2001, 2 250 visites par semaine pour une consultation hebdomadaire de 11 770 pages, soit presque autant qu’un festival de cinéma, paraît-il. Il constitue désormais un carrefour pour l’ensemble des femmes et des groupes de femmes qui sont à l’oeuvre en milieu tant associatif ou communautaire qu’institutionnel. Il deviendra encore plus fort et encore plus utile dans la mesure où les femmes et les groupes de femmes l’utiliseront et l’alimenteront. Il est à l’image de la vitalité des groupes et de leur inscription dans le cyberféminisme. En 1998, seulement dix groupes de femmes étaient branchés sur Internet. Aujourd’hui, ils sont plusieurs centaines. En 2000, il fallait des semaines de travail acharné pour recruter dix femmes qui seraient à un niveau assez avancé pour profiter des sessions de formation du projet ADI ; en 2001, les demandes ne cessent d’affluer. Les groupes de femmes ont le vif désir d’atteindre, toujours plus nombreux, l’autonomie dans la diffusion de l’information. Netfemmes est un site militant d’accès à Internet qui participe à la construction collective d’un maillage féministe.