Présentation

Migrations : femmes, mouvement et « refondation » du féminisme[Record]

  • Chantal Maillé

Des millions de gens ne vivent pas où ils sont nés (Des Rosiers 1996 : xiii). Des mouvements migratoires intenses du xxe siècle ont émergé de nouvelles identités, qui, bien qu’elles soient issues de l’espace, du déplacement, ne sauraient se réduire à des revendications territoriales. Servant à désigner cet autre, ces nouvelles identités viennent complexifier l’analyse du social. Les notions qui permettent de reconnaître ces réalités émergentes sont souvent imparfaites, pensons par exemple à la notion de femme immigrante, désignant tant de réalités, tant de vies aux parcours sinueux qui partagent certes l’expérience d’une vie marquée par le déracinement, mais aux réalités difficilement assimilables à ce raccourci. Au Québec, les expériences des femmes minoritaires sont souvent résumées à la position périphérique et inexacte de la catégorie de « femmes immigrantes », laquelle efface précisément l’inscription de chaque expérience de la marginalité que vivent les femmes dites « immigrantes » et corrobore le métarécit d’une société québécoise blanche, homogène, de métissage récent, où sont venus des gens d’ailleurs dans le dernier quart de siècle et où la présence autochtone est ou bien tue, ou bien abordée comme un élément marginal de l’histoire. Le présent numéro de Recherches féministes veut témoigner de l’apport des travaux qui mettent au coeur de leur problématique les réalités des femmes dont les trajectoires de vie sont marquées par ce mouvement, femmes peu entendues, qui ont été marginalisées par un discours féministe universalisant, mais aussi par le fait que leurs réalités soient reléguées au second plan dans le champ des études ethniques, où les questions de genre sont souvent gommées par l’absence de prise en considération des expériences des femmes. Il y a bien eu une ouverture dans le féminisme québécois des années 1990 pour inclure au programme du féminisme majoritaire quelques revendications devenues incontournables, mais cette ouverture doit maintenant s’accompagner d’une véritable critique des pratiques d’exclusion et de marginalisation des femmes « autres », et dépasser le prétexte d’une société qui serait plus tolérante, moins raciste qu’ailleurs, où ce genre d’exercice ne cadrerait pas avec la réalité sociopolitique. L’exercice demande de donner véritablement la parole et le pouvoir aux femmes minoritaires. Comme l’écrivait Vivian Barbot (2000 : 20), à propos du programme du féminisme québécois, « les objectifs communs de revendication, s’ils sont énoncés d’une manière assez large pour rejoindre la majorité des femmes, laissent presque systématiquement de côté la problématique de celles qui sont issues des groupes minoritaires, qui sont pourtant, la plupart du temps, les plus susceptibles de souffrir de la situation décriée ». Barbot voit cependant l’émergence d’une nouvelle vision, plurielle et solidaire, au sein de ce mouvement, liant cette dynamique à la tenue de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000. Pourtant, il faut observer le réflexe de majoritaire qui continue de prévaloir dans les forums de discussion féministes où les questions touchant à la diversité sont abordées, alors que se pose la question de l’accueil de différences et de cultures qui sont perçues telles des menaces à ce que l’on définit comme un consensus propre au Québec autour des valeurs d’égalité. Le problème se pose avec d’autant plus d’acuité que la discussion sur la diversité culturelle laisse souvent peu de place à la parole des femmes, donnant à certains hommes le pouvoir de définir les paramètres d’une représentation qui tend à reproduire les stéréotypes identitaires à travers ce prisme d’un vécu uniforme de l’appartenance culturelle. La réflexion sur le sujet qui s’amorce chez les féministes québécoises est donc très pertinente. Francine Descarries parle d’une volonté indéniable d’ouverture au sein du mouvement des femmes québécois, où le pluralisme y est …

Appendices