Présentation[Record]

  • Christine Piette

Le titre d’un numéro hors thème demande toujours un effort particulier d’imagination. Il doit être assez large pour englober des articles réunis par le seul hasard des textes reçus, mais il doit aussi correspondre d’une manière ou d’une autre à chacun. Depuis les quinze ans d’existence de Recherches féministes, le présent numéro hors thème est le huitième. Après Convergences, Unité/Diversité, Enjeux, Théorie, méthode, pratique, D’actualité, Invisibles et visibles ainsi que Féminin pluriel, voici maintenant Expériences. Le mot expérience renvoie aussi, selon le dictionnaire, à « un événement vécu par une personne et susceptible de lui apporter un enseignement ». Si l’on entend cette proposition dans un sens large, il est clair que la recherche féministe nourrit, le plus souvent, l’action et constitue ainsi un savoir pratique. Les cinq recherches du présent numéro peuvent tenir lieu de guide pour l’action et être envisagées en fait de retombées pragmatiques. Partis politiques, électeurs et électrices, directeurs et directrices de maison d’édition et membres de jurys littéraires, personnes engagées dans la planification urbaine et édiles municipaux, responsables de la conception et de la mise en oeuvre des programmes d’éducation sexuelle, de même que patrons et patronnes dans leurs pratiques d’engagement peuvent tous et toutes nourrir leurs réflexions et tirer profit des analyses fines des auteures des articles du présent numéro. Manon Tremblay, directrice du centre de recherche sur Femmes et politique de l’Université d’Ottawa, se demande si des différences d’identité existent entre les députées et les sénatrices francophones et anglophones sur la scène politique fédérale canadienne de 1921 (date de l’élection de la première députée) à 2002. À partir de courtes biographies établies par le Service de la recherche de la bibliothèque du Parlement, elle passe en revue leur profil sociodémographique, leur cheminement politique et partisan et, enfin, leur carrière parlementaire en politique fédérale. Elle en conclut que le facteur linguistique ne semble pas constituer un clivage important entre ces femmes. Du moins sur le plan des trois axes explorés, l’élitisme qui les caractérise transcende, à quelques détails près, les différences linguistiques. Maître de conférences en littérature française à l’Université d’Angers, Sylvie Ducas s’intéresse à l’inscription des écrivaines dans le champ de la littérature au xxe siècle par l’entremise du prix Femina. Elle refait ainsi, de façon magistrale, l’histoire de ce prix : elle explore ses liens avec la presse féminine qui l’a créé et explique son statut de « Goncourt des Dames » ou d’« anti-Goncourt » ; elle démontre comment ce prix a su s’imposer dans l’espace des institutions littéraires, évoque ses crises, ses contradictions et ses limites. On voit bien le rôle unique qu’il a incontestablement joué quant à la reconnaissance des femmes de lettres, mais aussi le conservatisme des jurées (statutairement des femmes) dans le choix des auteures et auteurs consacrés, de même que des oeuvres primées. L’article est sans complaisance dans sa démonstration à savoir que le prix Femina n’échappe pas plus que les autres grands prix aux contraintes marchandes de l’industrie culturelle et aux reproches, souvent mérités, de collusion entre les jurées et les maisons d’édition. L’auteure complète son analyse par les résultats d’une enquête par entretiens menée auprès d’une soixantaine de lauréates et lauréats, de même que de membres du jury. Cette enquête lui permet de mettre en lumière le rôle du prix dans la construction identitaire de l’écrivaine et la manière dont les enjeux symboliques de la consécration sont intimement liés à l’identité sexuelle. Cette partie aide ainsi à comprendre la condition difficile des écrivaines, de même que leur perception du succès littéraire. Un bon nombre de recherches …