Comptes rendus

Tania ModleskiHitchcock et la théorie féministe : les femmes qui en savaient trop. Paris, L’Harmattan, « coll. Champs visuels étrangers », 2002, 185 p.[Record]

  • Manon Auger

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  • Manon Auger
    Département des littératures
    Université Laval

Tania Modleski, professeure de cinéma et de littérature à l’Université de Southern California, consacre à la théorie féministe une part importante de son travail en plaçant celle-ci au coeur de ses recherches et de son approche, tant professionnelle que personnelle. Publié originalement en anglais en 1988, son ouvrage intitulé : The Women who Knew Too Much : Hitchcock and Feminist Theory vient de paraître en traduction française dans la collection « Champs visuels étrangers ». Cet ouvrage théorique, qui privilégie comme approche méthodologique à la fois la psychanalyse, la théorie féministe et l’analyse du langage filmique, ne dépare aucunement au sein de cette nouvelle collection qui présente une série de documents où l’on appréhende le film en tant que production culturelle, apportant ainsi un éclairage à la définition des identités socioculturelles. C’est dans cette optique que Modleski s’est intéressée au cinéma de Hitchcock en se servant de la théorie féministe comme soutien, et cela, afin d’expérimenter une nouvelle approche et d’ouvrir d’autres pistes de réflexion sur un corpus cinématographique déjà largement étudié. Visant cependant de façon plus fondamentale à interroger et à redéfinir la théorie féministe du cinéma, l’auteure tente de voir comment, à travers les films d’Hitchcock, le spectateur ou la spectatrice doit faire face à certaines de ses positions par rapport à la féminité et la masculinité et les revoir. C’est principalement en développant la problématique de la question identitaire inhérente à plusieurs films du cinéaste réputé que Modleski veut mettre en lumière « une meilleure compréhension de la victimisation des femmes » (p. 20), si présente dans le cinéma hitchcockien. Dans Hitchcock et la théorie féministe, Modleski propose une analyse distincte de sept films du réalisateur anglais (Chantage, Meurtre !, Rebecca, Les enchaînés, Fenêtre sur cour, Vertigo et Frenzy), mais elle présente d’abord, en introduction, un bilan sommaire des études antérieures sur le sujet et se positionne par rapport à celles-ci. L’auteure insiste principalement sur le fait qu’Hitchcock est souvent considéré d’emblée, autant par la théorie féministe que par les spécialistes d’Hitchcock eux-mêmes, comme le misogyne type, étant donné le sort macabre réservé à certains de ses personnages féminins. Toutefois, pour Modleski, qui se définit comme féministe et reconnaît qu’il « est évidemment nécessaire de mettre la question de la violence sexuelle au centre de l’analyse » (p. 172), ce jugement apparaît pour le moins réducteur à l’égard du réalisateur, car il freine toute véritable compréhension de son oeuvre en niant la complexité interprétative de ses films. L’ouvrage de Modleski permet de constater que c’est autour des concepts de féminité et d’identité que se voilent et se dévoilent les zones d’ombre qui rendent l’attitude des films d’Hitchcock envers les femmes plus complexe qu’elle n’y paraît de prime abord, d’où un apport possible et un intérêt certain pour la théorie féministe du cinéma (p. 70) : C’est dans la postface seulement que Modleski justifie le choix des films à l’étude ; elle voulait des oeuvres canoniques et non canoniques qui représentent, selon elle, des moments phares dans la carrière du cinéaste. Cependant, bien qu’elle accorde à chaque film une analyse indépendante, chacune de celles-ci — et c’est bien là un grand intérêt de son ouvrage — contribue à une compréhension plus globale du corpus étudié, puisque certains thèmes développés par Hitchcock s’y retrouvent et sont explorés de différentes manières au fil de sa carrière. Ce découpage en chapitres, qui peut paraître hermétique, permet cependant à l’auteure de concentrer son intérêt – et celui du lecteur ou de la lectrice — sur un film à la fois. Un tel procédé, qui …