Comptes rendus

Claude GendronÉduquer au dialogue. L’approche de l’éthique de la sollicitude. Paris, L’Harmattan, coll. « Savoir et formation », 2003, 301 p.[Record]

  • Anita Caron

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  • Anita Caron
    Université du Québec à Montréal

C’est à une façon nouvelle de concevoir le dialogue que nous invite un ouvrage fort bien documenté de Claude Gendron, chercheuse québécoise en éducation morale. Les considérations qu’elle développe dans cet essai s’inspirent de travaux de philosophes et de psychologues féministes qui, insatisfaites du peu de place faite aux expériences des femmes, aux émotions et aux relations asymétriques par la plupart des théories en éducation morale, ont proposé des perspectives ouvrant la voie à une éthique dite de la sollicitude. Cette approche, qui a pris forme au cours des années 90, affirme l’importance de développer le Soi relationnel (relational self) et présente le dialogue comme une assise fondamentale de ce développement. Les chercheuses qui se sont intéressées à cette théorie considèrent en effet que la dimension morale du dialogue est liée « à un savoir-être-en-relation » autant qu’« à un savoir raisonner » et qu’elle « se rattache autant à une capacité d’écoute qu’à une capacité de bien penser » (p. 279). Il s’agit, on le voit, d’une contestation radicale de la méthode socratique qui, pour un bon nombre de théoriciens et de théoriciennes ainsi que de spécialistes de l’éducation, a été considérée comme « le parangon du dialogue moral » (p. 42). Un tel modèle, commente Claude Gendron, véhicule pourtant des présupposés philosophiques qui exigent une sérieuse remise en question. C’est ce à quoi l’auteure s’applique dans le premier chapitre. Elle en arrive à la conclusion que les conditions discursives mises en oeuvre par cette méthode sont peu favorables à l’émergence d’un véritable dialogue. En s’inscrivant dans une rationalité nettement intellectuelle et tournée vers le général, le dialogue socratique ne propose pas, avance-t-elle, un cadre permettant un réel apprentissage moral. Si les théories en éducation morale font une aussi large place au dialogue socratique, c’est avant tout, explique-t-elle, parce qu’ils « construisent le domaine moral et l’éducation morale sur la base d’une correspondance avec l’exercice du jugement et du raisonnement procédural » (p. 91). Qu’il s’agisse de l’approche de Kohlberg, de Wilson ou de Lipman, on se trouve, constate Claude Gendron, devant une logique postulant « que le dialogue moral vise primordialement la formation du jugement autonome et du raisonnement formel » (p. 91). C’est ce qui a amené des chercheuses, notamment Norma Haan, Nona Lyons et Céline Garant, à procéder à des recherches empiriques faisant appel à un nouveau type de dialogue axé sur des caractéristiques telles que « l’empathie affective, le développement d’une logique interpersonnelle, le souci marqué du particulier » (p. 99). C’est la forme de dialogue privilégiée en particulier par Nel Noddings, qui est l’une des principales théoriciennes de l’éthique de la sollicitude. Professeure à l’Université Stanford durant plusieurs années et actuellement membre du Teacher’s College de l’Université Colombia, cette philosophe féministe est la première à avoir proposé des perspectives philosophiques pouvant fonder cette éthique. Dans le chapitre troisième de son ouvrage, Claude Gendron retrace le parcours de cette philosophe et expose de quelle façon l’approche qu’elle a élaborée se distingue nettement de l’éthique conçue « en tant que raisonnement moral basé sur la justification d’actions » (p. 100). L’objet primordial de l’éthique de la sollicitude est en effet « la rencontre morale de l’autre » qui « exige un ancrage dans l’affectivité, la sensibilité » (p. 111) et qui prend sa source à travers une préoccupation, un souci de l’autre. C’est évidemment à travers le dialogue que se cristallise cette éthique. Dans le quatrième chapitre de son ouvrage, Claude Gendron s’applique à démontrer de quelle manière pour Noddings, comme pour Martin Buber, le dialogue traduit « un savoir-être, une manière morale d’être …