Comptes rendus

Rada IvekovicLe sexe de la nation. Paris, Léo Scheer, 2003, 347 p.Dame Nation. Nation et différence des sexes. Ravenna, Longo Editore, 2003, 257 p.[Record]

  • Diane Lamoureux

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  • Diane Lamoureux
    Département de science politique
    Université Laval

Dans ces deux ouvrages, la philosophe Rada Ivekovic explore les rapports entre genre et nationalisme, principalement à la lumière des événements yougoslaves, mais en élargissant son propos par des références à l’Inde et au Guatemala. Deux thèses centrales soutiennent sa réflexion. La première est que, à l’heure de la mondialisation, donc dans une ère qui remet en cause le principe de la souveraineté étatique, on assiste à des processus de « retraditionalisation ». La seconde thèse est que la division genrée est originaire et irrigue l’ensemble des rapports sociaux. La première thèse me semble plus forte et mieux démontrée que la seconde et elle fait l’objet du chapitre intitulé « L’hégémonie patriarcale et les cycles mondiaux » dans Le sexe de la nation. D’une certaine façon, il est possible de soutenir que tant les États libéraux occidentaux que les États « socialistes » ou les États postcoloniaux ont utilisé la citoyenneté dans une perspective postidentitaire, dans la mesure où celle-ci était définie sur la base de l’individu abstrait et non sur celle d’une identité particulière. Cependant, il ne faudrait pas oublier que la prédominance de l’État-nation comme forme moderne de l’État fondé sur la citoyenneté ramenait l’identité par la porte de derrière, distinguait entre nationaux et étrangers et s’appuyait sur le nationalisme — parfois appelé plus sobrement « patriotisme » — comme mécanisme de cohésion sociale. Comment, dans ces circonstances, qualifier le processus à l’oeuvre dans une bonne partie de la planète depuis l’implosion du bloc soviétique et l’accélération du processus de mondialisation économique ? L’élément le plus frappant est effectivement la remise en cause du rôle de l’État : « Les trois types d’État connus dans le monde socialiste, dans le monde capitaliste et dans le monde postcolonial se sont essoufflés et ont montré leur incapacité d’atteindre leurs buts en principe comparables (en premier lieu le bien-être économique et social) » (SN, p. 167). Les principaux prétendants à sa succession sont l’ethnicisme et le marché. Si le marché, dans certaines circonstances particulières, est susceptible de produire de la croissance économique, son rôle dans la production du lien social est beaucoup moins évident. Certes, le marché structure des rapports sociaux d’exploitation de la force de travail, mais il ne crée pas du lien social au sens où la nation ou l’État-providence ont pu le faire. Le propre des consommateurs et des consommatrices de tous les pays n’est pas « Unissez-vous » mais « Travaillez plus pour (espérer) consommer plus ». Le lien social repose ainsi de plus en plus sur des identités qualifiées d’authentiques qui s’opposent à ces abstractions que sont les consommateurs et les consommatrices ainsi que le capital mondial, tout en pouvant fort bien s’en accommoder. Ainsi, pour Ivekovic, la montée de l’extrême-droite en Europe, les talibans d’Afghanistan ou les guerres civiles de l’ex-Yougoslavie s’inscrivent dans un même mouvement général de « retraditionalisation » du politique : « L’ordre « moral » tient lieu de projet politique, parce que le libéralisme a pris le dessus, avec ce qu’il comporte d’évacuation du politique » (SN, p. 175). La conséquence en est très claire en ce qui concerne les femmes : « De là, pour les femmes, de nouveaux risques de fragilisation de leur condition en même temps que de nouvelles possibilités. Il y a de plus en plus d’écart entre les différents régimes des sexes (à niveaux divers), et de durcissements, mais en général pas sur toute la ligne ni partout en même temps » (SN, p. 172). Elle précise plus loin que « [l]’« anti-occidentalisme » essentialiste […] a pour recours la « tradition » et donc …

Appendices