Présentation

Images et sensDe l’ordre visuel patriarcal et marchand[Record]

  • Estelle Lebel

En ce début de XXIe siècle et contrairement à la situation au cours des siècles précédents, les femmes semblent libres de s’imaginer. Elles sont admises dans les milieux professionnels de l’art et des médias. Pourtant, leur identité visuelle est plus que jamais bornée par des limites étroites. Ou bien on leur propose un modèle unique accessible au prix de régimes minceur et de chirurgies esthétiques mineures ou extrêmes, ou bien elles doivent se voiler de la tête aux pieds. Cette situation paradoxale illustre comment « la cartographie de l’oppression et le dessin de la libération ne sont jamais terminés » (Delphy 2004 : 24). Les manifestations protéiformes des phénomènes d’image et la bataille des femmes pour leur image rappellent constamment aux féministes qu’« un mouvement ne consiste pas seulement à avancer sur une route mais à la tracer» (ibid.). Les espaces publics et privés sont encombrés par les représentations troublées et troublantes d’images contrôlées à des fins marchandes. L’offre sexuelle ouverte ou suggérée est l’accroche principale (pitch) d’un grand nombre de messages publicitaires. La dimension sexuée de la communication est ainsi partout étalée et objectivée. Si nous savons, comme Gerbner (1997) l’a souligné pour les représentations de la violence sur les écrans, qu’elles ne sont pas de la violence, mais des messages sur la violence, nous savons aussi que les représentations des femmes sur les écrans ou sur le papier glacé des magazines et des panneaux publicitaires ne sont pas des femmes mais des messages sur les femmes. Ces messages participent des discours sociaux manifestant les rapports de forces dans la société; par discours sociaux, il faut entendre ces ensembles de significations reprises ou construites par les médias pour informer, divertir ou persuader; ces discours contribuent à la fabrication et au maintien des représentations sociales des femmes et des rapports sociaux de sexe. Les images sont des objets ajoutés au monde, des textes non dits mais parlant ainsi que des représentations construites et agissantes. Elles transportent des stéréotypes et des croyances de tous ordres et donnent lieu à des réceptions très variées selon que l’on est femme ou homme, de culture et de milieux différents. En dénonçant ces représentations, le féminisme a proposé une hypothèse forte sur l’identité. La représentation de soi semble s’autoriser des représentations construites par les autres. L’identité pourrait bien n’être que représentation. L’idée que nous ne pouvons pas ne pas tenir compte des représentations n’est pas nouvelle, et l’hypothèse que la construction de soi passe par l’autre est maintenant retenue par plusieurs auteures et auteurs contemporains. Cependant, c’est depuis l’avènement des médias de masse que des femmes disent ne pas s’y retrouver dans les images qu’ils véhiculent d’elles. L’idéologie publicitaire était déjà dénoncée comme la pire ennemie des femmes, durant les années 60, notamment par Betty Friedan (1964); parmi les effets aliénants de la publicité, on lui reprochait d’apprendre au public à juger les femmes à partir de leur corps mis en spectacle. La propagande marchande s’est étendue, colonisant de nouveaux médias et confinant le débat public dans des limites étroites, au point qu’en 2005, les enjeux pratiques et théoriques du féminisme dit de la « troisième vague » se cristallisent autour des médias, de la culture populaire et de la sexualité (Mensah 2005). Les enjeux sont importants. Les images publicitaires utilisant le corps des femmes sont les illustrations actuelles du livre ouvert de la domination marchande et masculine. Elles témoignent du fait que les femmes n’ont pas socialement la propriété de leur corps (Guillaumin, 1992). Les statistiques sont étonnantes. Avant même d’entrer à la maternelle, une petite fille nord-américaine aurait …

Appendices