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Les organisations syndicales françaises sont aujourd’hui aux prises avec de fortes exigences, voire de fortes pressions sociales et politiques, en faveur d’une évolution de la place des femmes au sein de leurs structures. Portées par les mouvements féministes depuis le début des années 90, les revendications de parité et de représentation proportionnelle ont d’abord partiellement débouché dans la sphère politique avec l’adoption de la Loi sur la parité des listes électorales, le 6 juin 2000. Si elles se révèlent beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre dans les sphères de la représentation sociale, ces notions y progressent également. Ainsi, la Loi sur l’Égalité professionnelle du 9 mai 2001 pose le principe d’une représentation proportionnelle pour l’institution prud’homale, même si elle n’est qu’incitative sur ce point[1]. Elle instaure, également, une obligation de négocier sur l’égalité professionnelle tous les trois ans concernant les branches et tous les ans à l’échelle des entreprises.

Enfin, très récemment, la Loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes comportait un certain nombre d’articles sur la parité au sein des instances de représentation du personnel et notamment des comités d’entreprises (titre III, art. 21-26). Pour le moment, ces articles ont été déclarés non conformes à la Constitution et rejetés par le Conseil constitutionnel[2], qui désapprouvait le principe de discrimination positive ainsi introduit. La question de mesures législatives pour encourager la féminisation des instances de représentation du personnel reste, toutefois, à l’ordre du jour.

Cette actualité législative repose de manière sans doute plus pressante le problème – déjà ancien – de la féminisation des organisations syndicales. En France, les femmes ont été fort longtemps écartées des organisations syndicales par leurs collègues masculins, puis elles y sont restées très minoritaires pendant presque tout le XXe siècle, alors même qu’elles ont toujours constitué une part non négligeable de la population active (Zylberberg-Hocquard 1978; Trat 2002). À partir de la fin des années 60, leur entrée plus massive sur le marché du travail[3], associée à la montée des luttes féministes, a contribué à faire évoluer cette situation. Cependant, aujourd’hui encore, la plupart des spécialistes s’accordent pour constater la faible place occupée par les femmes au sein des organisations syndicales françaises[4].

Les raisons invoquées semblent indiquer que la situation a peu évolué depuis les années 70. En effet, dans un article publié en 1974, Madeleine Guilbert relevait alors trois principaux obstacles à la syndicalisation et au militantisme des femmes. Le premier, historique, tenait à l’illégitimité dont est fondamentalement frappé le travail féminin. Cette auteure montrait comment les femmes, main-d’oeuvre particulièrement vulnérable et flexible, avaient d’emblée été utilisées par les employeurs dans des stratégies d’abaissement du coût du travail et mises en concurrence avec leurs collègues masculins. Largement dominantes en France, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les thèses proudhoniennes leur déniaient de fait toute crédibilité au sein du mouvement ouvrier et s’opposaient même purement et simplement à leur présence sur le marché du travail. Si ces thèses ont été, par la suite, largement mises en question, il n’en demeure pas moins que les femmes restent utilisées comme une main-d’oeuvre flexible, toujours mobilisée dans des stratégies d’abaissement du coût du travail.

Le deuxième obstacle mentionné par l’auteure tenait à la très forte inégalité dont étaient victimes les femmes s’agissant de la prise en charge des tâches domestiques. Cette inégalité perdure aujourd’hui, même si c’est dans une moindre mesure.

Enfin, le troisième obstacle mis en évidence par Madeleine Guilbert renvoyait à la position que les femmes occupaient sur le marché du travail, alors qu’elles étaient fréquemment cantonnées dans des emplois faiblement qualifiés. Aujourd’hui, ces dernières sont plus souvent au chômage que leurs collègues masculins, occupent aussi plus souvent des emplois précaires et travaillent plus fréquemment dans de petites entreprises : autant de positions qui rendent particulièrement difficile leur syndicalisation (Silvera 2003b).

Des causes similaires continueraient donc à produire sensiblement des effets identiques, alors même que les confédérations ont mis en place avec beaucoup de volontarisme un certain nombre de mesures en vue d’obtenir une meilleure participation des femmes au sein de leurs structures. Ainsi, en complément de quotas instaurés en 1982 pour les instances confédérales et du principe de la double candidature pour le bureau national, la Confédération française et démocratique du travail (CFDT) a mis en place une série de mesures : nomination d’une déléguée au droit des femmes, permanente à temps plein; formation d’un réseau « mixité »; création de la Commission confédérale des femmes; et allocation d’aides financières pour inciter les femmes à prendre des responsabilités. De son côté, la Confédération générale du travail (CGT) a décidé, lors de son congrès de janvier 1999, d’instaurer une quasi-parité dans ses instances confédérales et a mis en place un réseau « femmes-mixité ». Pour sa part, Force-Ouvrière (FO) a créé, en 1996, une commission Égalité. Solidaires, Unitaires et Démocratiques (SUD), enfin, a inscrit le principe des quotas pour les instances fédérales dès le début dans sa plate-forme d’orientation, a institué une commission nationale précisément dédiée aux femmes et a nommé une permanente nationale (Trat 2002 : 164).

De telles mesures n’auraient donc qu’un faible impact sur la féminisation des structures syndicales? Soulever cette question incite à rassembler et à remettre en question, en les confrontant, les données diffusées à ce jour pour tenter de dresser un panorama de la situation le plus exhaustif possible. C’est ce que nous nous proposons de faire dans la première partie de notre article. Chemin faisant, nous pourrons constater que, si la présence des femmes est conséquente, elle n’est absolument pas uniforme. Elle varie même considérablement d’un type de responsabilité à l’autre, et cela, de manière différente pour chaque organisation.

Il apparaît dès lors que si les organisations syndicales parviennent à se féminiser, elles ne deviennent pas pour autant des lieux totalement mixtes. Ce constat appelle une analyse plus approfondie des dynamiques de féminisation des organisations. Comment s’opèrent-elles? À quelles réalités, mais aussi à quelles stratégies renvoient-elles? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre dans la seconde partie de notre article, à partir de données que nous avons pu produire au cours de différentes enquêtes, menées principalement dans les secteurs de la métallurgie, des banques, de l’hôtellerie-restauration et du commerce.

Nous montrerons notamment que cette absence de mixité est principalement liée à deux phénomènes concomitants : le premier renvoie à la place que les femmes occupent sur le marché du travail, tandis que le second tient à l’ambiguïté des stratégies syndicales qui tendent souvent à reléguer les femmes au statut d’objet de la lutte pour l’« égalité », plutôt que de leur permettre de se construire comme actrices de cette lutte.

La place des femmes dans les organisations syndicales : état des lieux

La part prise effectivement par les femmes dans l’action syndicale reste, aujourd’hui encore, difficile à évaluer tant cette dernière est complexe et tant les données et les travaux sont rares sur la question.

Penchons-nous sur la complexité, tout d’abord. Il faut, en effet, avoir conscience que l’action syndicale s’organise principalement autour de trois types d’institutions : les structures internes des organisations (appareils syndicaux); les instances légales de représentation des effectifs salariés; et les institutions paritaires. Chacun de ces niveaux d’action est lié aux deux autres et possède simultanément une relative autonomie. Les réseaux d’influence et de pouvoir y sont difficiles à établir et, surtout, peuvent varier d’une organisation à une autre. Évaluer de manière juste la place des femmes dans l’action syndicale se révèle dès lors relativement délicat, ainsi qu’en témoigne le tableau 1.

Tableau 1

Les différentes sphères de l’action syndicale

Appareils syndicaux

Instances légales de représentation des effectifs salariés

Institutions paritaires

- Confédérations

 

- Fédérations

 

- Unions régionales interprofessionnelles et de branche

- Unions départementales interprofessionnelles et de branche

- Unions locales

- Syndicats d’entreprise ou de branche

Chacun de ces niveaux d’organisation comprend :

- Des instances délibératives (congrès, comités ou conseils nationaux, etc.)

- Des instances exécutives

- Des groupes de travail

Dans l’entreprise :

- Délégués et déléguées du personnel

- Comités d’entreprise

- Délégués et déléguées syndicaux

- Représentants aux Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)

- Comités de groupe

- Comités d’entreprise européens

 

À l’extérieur :

- Juges prud’homaux

- Conseils économiques et sociaux (européen, nationaux et régionaux)

- Commission nationale de la négociation collective

- Institutions nationales, régionales et départementales de gestion de l’emploi

- Caisses nationales, régionales et départementales de sécurité sociale

- Institutions nationales, régionales et départementales liées à la gestion de la formation professionnelle

- Institutions nationales, régionales et départementales liées à la gestion du logement social

- Comités départementaux et régionaux de développement de l’emploi et de la formation

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Voyons ensuite la rareté des travaux. Sur ce point, notre constat rejoint celui de Josette Trat lorsqu’elle note ceci (2002 : 18) : « La plupart des chercheur-e-s qui étudient les mouvements sociaux (sous hégémonie masculine en particulier) escamotent purement et simplement la dimension des rapports sociaux de sexe dans leurs analyses. » Présentant une bibliographie historique des travaux qui prennent en considération cette dimension, elle ne parvient tout au plus qu’à recenser une demi-douzaine de références d’ouvrages précisément consacrés au syndicalisme. Elle relève en outre que, au moment où elle a commencé sa recherche sur la place des femmes dans le mouvement syndical, il n’existait pas d’études systématiques et comparatives sur la participation des femmes au mouvement syndical des années 90 (2002 : 157).

Cinq sources documentaires et statistiques sont, de fait, accessibles sur le sujet. La première est le rapport rédigé par Michèle Cotta (2000), dans le contexte de l’avis que cette dernière a rendu au Conseil économique et social sur les femmes dans les lieux de décision. Les données qu’elle a publiées à cette occasion ont été partiellement remises à jour par les travaux de Rachel Silvera dans le programme européen « Gender, Mainstreaming and Unions ». Ce programme, qui s’intéressait aux défis de l’approche intégrée de l’égalité (mainstreaming) dans les organisations syndicales européennes, a fourni, en outre, une série de rapports sur la place des femmes dans les fédérations syndicales de la métallurgie, du commerce et de la fonction publique (Silvera 2002, 2003a et 2003b).

Par ailleurs, deux champs importants de la représentation sociale ont donné lieu à des travaux d’investigation approfondie. Il s’agit tout d’abord des comités d’entreprise, pour lesquels la Direction de l’animation de la recherche et des études statistiques (DARES) et l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) ont produit des analyses sous l’angle du genre, à partir d’une enquête plus générale qui concernait les personnes élues et leurs moyens d’action. Les conseils prud’homaux, quant à eux, ont été étudiés par l’IRES à la demande du Service du droit des femmes. Les résultats ont été publiés en 2002, dans un rapport de recherche. (Dufour et Hege : 2004).

Enfin, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) publie chaque année, dans le contexte de son enquête permanente sur les conditions de vie des ménages, une statistique relative au nombre de personnes membres d’un groupement syndical ou professionnel et à leur degré d’engagement dans ces organisations. Ces données ne permettent toutefois pas de dissocier l’appartenance à des organisations syndicales des effectifs salariés de celle à des organisations professionnelles patronales.

Confrontées entre elles, l’ensemble de ces données offre un panorama partiel certes, mais tout à fait révélateur.

L’adhésion et l’appartenance syndicale

Le taux de syndicalisation, tout d’abord, nous est donné approximativement par l’enquête de l’INSEE. Cette dernière montre que les femmes se syndiquent un peu moins que les hommes, puisqu’en 2003 7,5 % des femmes contre 9 % des hommes sont membres d’un syndicat ou d’une organisation professionnelle d’employeurs (Amossé 2004)[5]. Nous pouvons toutefois regretter l’imprécision de cet agrégat, les comportements en matière d’adhésion étant vraisemblablement différents chez le personnel et chez les employeurs.

Les données sur la place des femmes dans les organisations syndicales réunies par Michèle Cotta et complétées par Rachel Silvera, quant à elles, peuvent souffrir d’inexactitudes plus ou moins importantes, puisqu’elles ont été produites par les confédérations elles-mêmes, dans des conditions qui ne sont pas toujours connues[6]. Toutefois, elles permettent de se faire une idée de la part que peuvent représenter les femmes au sein de l’effectif des cinq grandes confédérations représentatives françaises (voir le tableau 2).

Tableau 2

La part des femmes dans quelques instances syndicales

Part des femmes

CGT

CFDT

CGT‑FO

CFTC

CFE‑CGC

Part des femmes syndiquées

28,0

44,2

45,0

40,0

18,5

Part des femmes déléguées au congrès

29,0

37,0

45,0

31,0

8,7

Part des femmes aux comités (ou conseils nationaux (ou confédéraux)

25,0

28,3

8,8

31,0

17,5

Part des femmes dans les comités exécutifs (ou bureaux) confédéraux

50,0

26,5

12,0

13,6

30,0

Part des femmes des bureaux (ou comités de direction, commission exécutive) confédéraux

50,0

30,0

23,0

12,5

11,1

Part des femmes secrétaires générales de fédérations

19,0

11,8

7,4

10,0

14,8

Part des femmes secrétaires générales d’unions départementales

8,3

8,5

7,6

nd

nd

Source : Cotta (2000). Les données ont été complétées et actualisées par Rachel Silvera (2006).

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Ainsi que nous pouvons l’observer, les femmes sont encore loin de représenter la moitié des effectifs syndiqués. En outre, le taux de féminisation de chacune des confédérations varie considérablement en fonction de ses traditions d’implantation. Très ouvrière depuis l’origine, la première des confédérations françaises, créée en 1895, la CGT, a toujours éprouvé des difficultés à féminiser ses effectifs. Ses plus gros bastions se trouvent aujourd’hui dans les secteurs de l’énergie, dans la fonction publique d’État et territoriale ainsi que dans la métallurgie. Son taux de féminisation (28 %) reste faible au regard de celui de ses consoeurs.

Il en va tout à fait différemment pour sa « petite soeur ennemie », la CGT-FO, issue de la scission intervenue en 1947. Ayant notamment entraîné avec elle, à cette époque, la Fédération des employés, la CGT-FO est actuellement implantée de manière privilégiée dans le secteur de la santé et des organismes sociaux, dans la fonction publique d’État et territoriale de même que dans le commerce et les services. Cette base de recrutement lui garantit un taux de féminisation proche de celui de la population active (45 %).

Pour sa part, la CFTC, à l’origine d’une autre branche du syndicalisme français, s’est constituée en 1919 sur la base d’un syndicalisme d’employés et d’employées. Sa « déconfessionnalisation » a débouché, en 1964, sur la création de la CFDT, mais n’a pas totalement modifié cette donne. Si la première, très affaiblie, est aujourd’hui plutôt implantée dans le commerce et les services, dans l’enseignement privé ainsi que dans le secteur de la santé et des organismes sociaux, avec un taux de féminisation de 40 %, la seconde, devenue une confédération de premier plan, est surtout présente dans le secteur de la santé et des organismes sociaux, dans la fonction publique d’État et territoriale de même que dans la métallurgie. Son taux de féminisation, en progression, atteint 44,2 %.

Pour ce qui est de la CGC, enfin, on connaît la faible féminisation des catégories du personnel d’encadrement et des ingénieurs et ingénieures, qui fournissent la base de son recrutement. En outre, la CGC est surtout présente dans les secteurs de la métallurgie, des commerces et des services, et à égalité dans le secteur financier et la chimie. Il est dès lors peu étonnant que son taux de féminisation, 18,5 %, soit le plus faible de tous.

Les responsabilités syndicales

Le second enseignement majeur des données réunies par Michèle Cotta et complétées par Rachel Silvera est que la participation des femmes aux instances de vie et de décision syndicale et aux différents niveaux de responsabilités n’est pas directement proportionnelle à leur présence dans chacune des confédérations. Elle est bien souvent inférieure. De ce point de vue, la situation ne semble pas fondamentalement différente de ce qu’elle pouvait être durant les années 70, par exemple[7].

C’est notamment le cas en ce qui concerne les congrès. Bien que l’on observe une nette amélioration de la participation des femmes à ces événements majeurs, au fil des années, ces dernières n’en restent pas moins sous-représentées à la CGC (8,7 %) et, dans une moindre mesure, à la CFTC (31 %) et à la CFDT (37 %).

Les instances délibérantes intermédiaires (comités ou conseils nationaux ou confédéraux), qui correspondent à un premier niveau de responsabilités nationales et qui comptent en général de 150 à 250 membres, laissent également peu de place aux femmes. La représentation de ces dernières y est de l’ordre du quart des membres. C’est cette fois à la CGT-FO que la distorsion entre taux de féminisation des effectifs et taux de présence dans l’instance (8,8 %) est la plus forte. Elle est également significative à la CFDT et à la CFTC.

La situation est relativement différente dans les instances exécutives confédérales, composées d’un nombre restreint de personnes élues et où certaines confédérations se livrent à des politiques volontaristes de mixité. C’est notamment le cas de la CGT qui a obtenu la parité parfaite de ses instances : 25 femmes sur les 50 membres de la commission exécutive confédérale. Cela semble également être partiellement le cas à la CGC, avec 4 femmes sur 11 membres qui sont délégués nationaux – mais aucune femme dans le trio restreint de la direction confédérale. La CFDT, la CGT-FO et la CFTC, à l’inverse, enregistrent une très forte sous-représentation des femmes, au regard de leur taux de féminisation. À la CFDT, elles ne sont que 13 sur les 36 membres du bureau confédéral et 3 sur les 10 membres de la commission exécutive. Chez la CGT-FO, les femmes ne sont que 3 sur les 13 membres du bureau confédéral. A la CFTC, enfin, les femmes ne sont que 2 sur les 15 membres du bureau confédéral[8].

Ces données quantitatives n’éclairent toutefois qu’une infime partie de la réalité. Elles ne nous permettent que très partiellement, en effet, de circonscrire la part réelle que prennent les femmes dans le fonctionnement des organisations. Pour cela, une approche plus qualitative serait nécessaire, en vue notamment d’appréhender les mécanismes de pouvoir et de déterminer les postes de responsabilités stratégiques et les circuits officieux de prise de décision.

Les données sont tout aussi partielles concernant les fédérations et les unions départementales. Elles indiquent cependant une très grande faiblesse de la présence des femmes aux postes de secrétaires généraux. Ainsi, la CFTC et la CGT-FO comptent seulement 2 secrétaires générales de fédération, respectivement sur 20 et sur 21 secrétaires généraux; la CGT en a 3 sur 31; la CGC en totalise 4 sur 27; et la CFDT, 5 sur 21 (Cotta 2000 : 126).

Les femmes sont également tout à fait sous-représentées dans les structures locales. Les unions régionales ou comités régionaux sont au nombre de 21 à 26 selon les confédérations. Toutefois, au moment où Michèle Cotta rédigeait son rapport, la CGT ne comptait que trois secrétaires générales d’unions régionales; la CFDT, la CFTC et la CGC n’en avaient que deux. Les secrétaires générales d’unions départementales étaient tout aussi rares, hormis à la CFTC qui en dénombrait une vingtaine (sur un peu moins d’une centaine de départements).

Ce panorama mériterait d’être largement complété, sur le plan tant quantitatif – nous ne savons rien, par exemple, des unions locales ni des syndicats de base – que qualitatif. Quelle latitude ont effectivement les femmes lorsqu’elles accèdent aux responsabilités? Sont-elles cantonnées dans des registres d’action spécifique ou bien sont-elles, au contraire, mobilisées dans tous les registres de l’action? Autant de questions qui restent pour le moment en suspens.

Les mandats de représentation et les mandats syndicaux

L’analyse de la répartition sexuée des mandats de représentation offre une autre perspective sur l’intégration des femmes dans le mouvement syndical. Les données sont ici encore très incomplètes et fort partielles. Par ailleurs, elles sont relativement biaisées dans la mesure où certaines de ces instances peuvent comporter des membres élus non syndiqués, que les recensements statistiques ne distinguent pas systématiquement. C’est notamment le cas pour les déléguées et les délégués du personnel et les comités d’entreprise[9], qui comportent environ 50 % de personnes élues non syndiquées. Enfin, il est à noter que l’électorat, et donc le champ de recrutement de ces diverses instances, est variable et ainsi plus ou moins féminisé. Par exemple, l’instance des déléguées et des délégués du personnel ne concerne que les entreprises de plus de 10 personnes salariées, tandis que celles des déléguées et des délégués syndicaux et des comités d’entreprise ne concernent que les entreprises qui emploient plus de 50 personnes.

Concernant les déléguées et les délégués du personnel, tout d’abord, une légère progression de la part des femmes a été enregistrée par la DARES à partir du milieu des années 80. Celle-ci atteignait 26 % en 1985, 27 % en 1988 et 28 % en 1994. Il semblerait qu’elle reste stable depuis. Les déléguées syndicales sont proportionnellement moins nombreuses, avec une part de 21 % seulement.

Les informations deviennent plus précises concernant les élues et les élus ainsi que les secrétaires des comités d’entreprise. L’électorat de cette instance comprend 2 millions de femmes, soit 31 % de l’ensemble. Cependant, le tableau 3 montre que les femmes sont pratiquement toujours minoritaires au sein des comités d’entreprise, sauf dans le secteur de l’Éducation, de la santé et de l’action sociale dont elles constituent les trois quarts des effectifs salariés. Au final, elles sont sous-représentées dans tous les secteurs d’activité, leur part dans l’instance étant toujours inférieure à leur part dans les effectifs salariés. Les écarts les plus importants sont observés dans les activités tertiaires, qui emploient pourtant le plus de femmes.

Tableau 3

Représentantes et représentants du personnel élus au comité d’entreprise selon le secteur d’activité

Secteur d’activité

Personnes

Inscrites

(N)

Personnes

Elues

(N)

Salariées

 

(%)

Élues

 

(%)

Construction

178 098

5 710

8,4

8,0

Industrie automobile

161 887

1 616

16,2

15,7

Industrie des biens d’équipement

362 444

7 232

20,7

16,6

Transports

324 301

6 645

20,7

18,9

Industrie énergétique

55 417

715

21,5

16,2

Industrie des biens intermédiaires

715 732

17 177

25,8

21,4

Industrie agricole et alimentaire

223 719

5 529

35,5

30,0

Services aux entreprises

642 354

11 650

41,4

34,8

Services aux particuliers

102 322

2 081

45,6

37,1

Commerce

635 705

15 817

47,0

40,8

Industrie des biens de consommation

283 054

6 607

49,6

40,1

Activités immobilières

38 302

1 042

50,9

43,9

Activités financières

294 955

4 133

53,3

41,3

Éducation, santé et action sociale

376 636

10 290

72,9

63,0

Source : INSEE (2004).

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De manière étonnante, la tendance semble s’inverser s’agissant de l’accès au poste de secrétaires de comités d’entreprise, si l’on en croit les résultats publiés par l’IRES et la DARES en 2001. La part des femmes secrétaires de comités d’entreprise atteint 40 %, soit un niveau supérieur à leur présence dans l’électorat (31 %) et, également, légèrement supérieur à la proportion des établissements à majorité féminine (38 %).

Toutefois, cette relative sur-représentation des femmes s’organise d’une manière bien particulière. Premier effet, elles sont plus souvent secrétaires dans des unités de taille restreinte : leur part est de 43 % dans les unités de moins de 100 personnes salariées et de 20 % seulement dans les unités de plus de 1 000. Ensuite, les femmes sont plus facilement élues sur des listes non syndiquées que sur des listes syndiquées. Ainsi, leur part est de 50 % quand elles sont élues sur des listes non syndiquées et de 29 % quand elles le sont sur des listes syndiquées. Ici, deux effets interviennent. Le premier est la taille de l’entreprise : la probabilité que le ou la secrétaire se voit élire sur une liste syndicale s’accroît avec la taille de cette dernière. Au final, les deux tiers des hommes syndiqués occupent les deux tiers des postes de secrétaires dans les établissements de 500 à 1000 personnes salariées et les trois quarts dans les unités qui dépassent le nombre de 1 000. Le second effet est celui de l’ancienneté de l’institution : les comités les plus récents, créés pendant la période 1970-1985, où les secrétaires non syndiqués sont en légère majorité (53 %), s’avèrent plus ouverts au secrétariat féminin : 45 % des mandats y reviennent aux femmes.

Est-ce à dire que le mouvement syndical exercerait en son sein une discrimination particulièrement féroce? Ici la réponse est très nuancée (Hege, Dufour et Nunes : 2001) :

L’opposition syndiqué/non syndiqué ne renvoie pas qu’au statut individuel des secrétaires. Elle sous-entend que le CE dans son ensemble s’inscrit dans un maillage représentatif plus ou moins dense au sein et à l’extérieur de l’établissement. Entouré par d’autres instances ou isolé le comité n’a pas la même signification […] Les comités sans étiquette, plus récents et occupés par des élus plus jeunes, tendent davantage à centrer leur action sur les activités sociales et culturelles. Les femmes sont sur-représentées dans ces comités dont le statut au sein de l’établissement n’est souvent pas très assuré. Dans les comités syndiqués, le secrétariat peut être un poste stratégique, éventuellement cumulé avec celui de délégué syndical.

Pour notre part, nous retiendrons également cette analyse qui incite à délimiter les sphères de pouvoir réelles et à s’intéresser à la dynamique propre des rapports sociaux de sexe[10].

Une autre source d’information peut contribuer à éclairer la place des femmes dans les instances syndicales locales. Il s’agit de l’enquête réalisée par Christian Dufour et Adelheid Hege (2004) sur la place des femmes dans les conseils de prud’hommes, à la demande du Service du droit des femmes. Cette institution paritaire élue est organisée de manière territoriale et a pour objet de traiter en première instance les litiges survenus entre les effectifs salariés et leurs employeurs. Elle est organisée en cinq sections : industrie, commerce, activités diverses, encadrement et agriculture. En 2002, les femmes représentaient 44 % des personnes inscrites et se trouvaient principalement concentrées dans les sections du commerce et des activités diverses (73 % des électrices).

Les résultats de la recherche mettent en évidence une nette amélioration de la représentation féminine dans cette institution. La part des femmes parmi les personnes élues passe en effet de 22 à 29 % en moyenne nationale, pendant la période 1998-2002. La féminisation reste cependant hétérogène suivant les sections, ainsi que le montre le tableau 4.

Tableau 4

Part des femmes dans les conseils de prud’hommes, par section, en 1997 et en 2002

Conseil de prud’hommes

1997

(%)

2002

(%)

Industrie

13,0

18,3

Commerce

20,4

25,9

Activités diverses

29,7

33,8

Encadrement

13,7

20,4

Agriculture

17,1

23,7

Total des sièges

18,5

24,3

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Dufour et Hege montrent également que les femmes ont toujours proportionnellement moins de chances que les hommes d’être nommées comme candidates et surtout d’être placées en position d’éligibilité sur les listes de candidatures par les organisations syndicales.

Ainsi, dans le collège des effectifs salariés, les femmes ne représentent que 35 % des candidatures. Les candidates sont majoritaires dans la section des activités diverses (58 %) et minoritaires dans les quatre autres sections, y compris celle du commerce où elles constituent pourtant 50 % de l’électorat. Dans toutes les sections, l’écart entre leur part parmi l’électorat et parmi les candidatures est globalement de 20 %. Toutes les organisations syndicales présentent une proportion très similaire de candidates aux élections : le taux de féminisation des candidatures se situe dans une fourchette qui varie de – 2 à + 2 points par rapport à la moyenne de 35 %. Aucune ne semble avoir de stratégie unifiée au niveau national. Ainsi, pour chacune, les taux de féminisation des candidatures varient sensiblement d’un conseil et d’un département à l’autre.

Les perspectives d’élection des candidates, quant à elles, sont moindres que celles des candidats, et cela se vérifie dans toutes les sections. La part des femmes parmi les personnes élues est inférieure de 17 % à leur part parmi les candidatures, alors que la représentation des hommes dans le premier cas est supérieure de 9 % à leur poids parmi les aspirants au mandat prud’homal. Enfin, 12,7 candidatures sont nécessaires à l’élection d’une candidate contre 9,6 pour un candidat.

Cette différence est particulièrement sensible dans les sections où les femmes constituent la majorité de l’électorat, comme le commerce et les activités diverses. Ce sont, en effet, les sections qui offrent le plus petit nombre de sièges par rapport à la population inscrite. Ainsi, la section des activités diverses dispose en 2002 de 20 % des sièges de juges prud’hommes (pour 29 % du collège des effectifs salariés et 37 % du collège des employeurs). À l’inverse, les sections de l’encadrement et de l’agriculture comptent proportionnellement plus de sièges que de personnes inscrites : l’encadrement bénéficie ainsi en 2002 de 20 % des sièges pour 12 % de personnes inscrites salariés et 14 % de personnes inscrites du côté patronal.

Dufour et Hege observent, enfin, que la probabilité d’être élues est plus forte pour les candidates des grandes organisations comme la CGT ou la CFDT que pour les candidates des petites organisations. Cette situation pourrait être liée au fait que d’éventuels arbitrages en faveur de têtes de listes masculines sont moins pénalisants pour les femmes dans les organisations majoritaires, qui peuvent escompter d’autres sièges après la tête de liste, qu’ils ne le sont dans les organisations minoritaires qui doivent parfois se contenter d’un seul siège.

Finalement, l’ensemble de ces données dans les différentes institutions de représentation du personnel semblent indiquer que les femmes ont davantage de chances d’être présentées comme candidates et élues dans les petites et moyennes entreprises (PME) ou dans les grandes organisations, c’est-à-dire dans des situations où les positions de pouvoir qu’elles sont susceptibles d’occuper sont minorées d’une manière ou d’une autre.

Par ailleurs, ces résultats indiquent que les femmes ont toutes les chances d’être relativement marginalisées dans la plupart des directions syndicales locales. Les mandats de représentation sont, en effet, souvent confiés à des membres des directions syndicales ou tout au moins à des militantes et à des militants considérés comme actifs.

La présence dans les institutions paritaires

Un dernier champ d’activité syndicale concerne les institutions paritaires. Les informations que nous possédons ici proviennent principalement du rapport que Michèle Cotta (2000) a présenté devant le Conseil économique et social et touchent deux institutions (ou ensemble d’institutions) : les conseils économiques et sociaux ainsi que la Commission nationale de la négociation collective.

Qu’ils soient européens, nationaux ou régionaux, les conseils économiques et sociaux se veulent représentatifs de la société civile. Toutefois, force est de constater que la délégation française au Comité économique et social européen ne comporte aucune femme. Le Conseil économique et social français ne comporte, lui, que 44 femmes sur 231 membres (soit 19 %). Les délégations syndicales participent plus ou moins fortement à cette faible et très lente féminisation (voir le tableau 5).

Tableau 5

Évolution du nombre de femmes et de leur part dans les délégations syndicales au cours des quatre dernières mandatures

Syndicats

1984-1989

1989-1994

1994-1999

1999-2004

 

(N)

(%)

(N)

(%)

(N)

(%)

(N)

(%)

CFDT

6/17

35,3

5/17

29,4

5/17

29,4

7/17

41,2

CFE-CGC

0/7

0,0

1/7

14,3

0/7

14,3

0/7

0,0

CFTC

1/6

16,7

1/6

16,7

0/6

0,0

1/6

16,7

CGT

4/17

23,5

4/17

23,5

4/17

23,5

4/17

23,5

CGT-FO

1/17

5,9

1/17

5,9

1/17

5,9

3/17

17,6

Total

23/230

10,0

26/231

11,3

28/231

12,0

44/231

19,0

-> See the list of tables

Quant aux conseils économiques et sociaux régionaux, la part des femmes y est encore beaucoup plus faible, puisqu’elle atteint 9,8 % avec 195 femmes membres sur 1 998 conseillers et conseillères. Au sein de ces conseils, le groupe des « syndicats de salariés » est à peine plus féminisé avec 70 femmes sur 679 membres (10,3 %).

Les femmes semblent accéder davantage à la Commission nationale de la négociation collective. Ainsi, le taux de féminisation oscille autour de 20 à 25 % pour la CFE-CGC, la CFDT et la CFDT; il est égal ou supérieur à 50 % pour la CGT-FO et la CGT (66 %).

L’ensemble de ces données appelle une observation : si les femmes sont sous-représentées dans la quasi-totalité des instances, elles ne le sont pas de façon uniforme. Leur présence varie nettement selon les instances, mais aussi selon les confédérations qui ne semblent pas toutes s’acheminer vers une féminisation des mêmes instances. Comment interpréter ces différences? Sur ce point, la confrontation des données se révèle d’un faible secours. Seule une démarche qualitative s’intéressant de près aux parcours des militants et des militantes de même aux différents processus de désignation de chaque personne aux postes de responsabilités, aux mandats de représentation et sur les listes électorales pourrait apporter quelque éclairage. Or, très peu d’enquêtes de la sorte existent actuellement et, lorsque c’est le cas, elles ne privilégient pas une analyse axée selon le genre.

Des observations menées de manière dispersée tendraient toutefois à montrer que, lorsqu’elles accèdent à des responsabilités, les femmes sont souvent cantonnées dans certains types de tâches, renvoyant à leur « identité féminine ». Nos propres recherches corroborent ces observations. Nous pourrions dès lors émettre l’hypothèse d’une relative absence de mixité au sein des organisations syndicales, dans le sens où celles-ci se féminiseraient sans pour autant que les femmes puissent accéder aux postes et aux niveaux de responsabilités les plus stratégiques. D’emblée, les données statistiques concernant les femmes secrétaires de comités d’entreprise abondent en ce sens. C’est donc cette hypothèse que nous allons tenter d’examiner maintenant, à partir de la première mise en ordre des observations que nous avons pu réaliser au cours de nos enquêtes.

Vers une féminisation sans réelle mixité?

La plupart des recherches que nous avons conduites depuis une dizaine d’années ont porté sur l’action syndicale, appréhendée dans sa double dimension : individuelle (l’engagement et la prise de responsabilité) et collective (les stratégies et les pratiques effectivement mises en oeuvre). Nous avons donc eu l’occasion, à plusieurs reprises, de travailler sur des parcours concernant l’adhésion à un syndicat et le militantisme au sein de celui-ci. Bien que le genre n’ait pas été alors une variable centrale de nos investigations, un certain nombre d’éléments de la réalité des rapports sociaux de sexe se sont imposés à l’observation. Ils concernaient les processus d’engagement et de prise de responsabilité au sein de différentes organisations syndicales. Plus récemment, nous nous sommes engagée dans une recherche portant sur la participation des femmes à la négociation collective[11]. L’enquête de terrain, qui ne fait que débuter, confirme pour le moment les observations menées.

Deux faits ressortent, à l’heure actuelle, de manière récurrente. Le premier renvoie aux difficultés matérielles qu’une majorité de femmes éprouvent au moment de s’engager dans des organisations syndicales au regard des situations professionnelles et familiales dans lesquelles elles sont placées. Le second renvoie à la reproduction de mécanismes de domination qui tendent à placer les femmes dans des situations de subordination ou à les tenir écartées des postes de pouvoir les plus stratégiques. Ces réalités s’observent notamment au travers des parcours militants, depuis le moment de l’adhésion jusqu’à celui de la prise de responsabilité.

Des dynamiques d’adhésion qui placent souvent les femmes dans les « sous-sphères » du mouvement syndical?

Dans l’ensemble, les parcours qui mènent à l’adhésion syndicale, tels qu’ils sont exposés et explicités par les personnes qui font partie d’un syndicat et par celles qui y militent elles-mêmes apparaissent relativement similaires entre hommes et femmes (Contrepois 2003). Malgré tout, l’utilisation de catégories d’analyse élaborées par Dominique Labbé (1997) pour classer les réponses obtenues de part et d’autre nous a conduite à mettre en évidence une différence significative entre les deux sexes.

Dominique Labbé distingue ainsi les adhésions « introdéterminées » (motivées par des positions éthiques, idéologiques, etc), les adhésions « extrodéterminées » (motivées par la pression du groupe) et les adhésions « utilitaristes » (motivées par un « besoin individuel » de défendre ses intérêts). Ces trois types de motivation sont généralement présents ensemble, et il est malaisé de distinguer, pour chaque personne, celui qui prédomine.

Il ressort toutefois de nos travaux que les femmes ont proportionnellement davantage tendance que les hommes à se trouver du côté des adhésions dites « utilitaristes ». Cette observation mérite une explication. En effet, la notion d’« utilitarisme » fortement connotée, ne rend pas bien compte de la réalité des démarches qu’elle est censée décrire. Ainsi, le recours à un syndicat en cas de problème individuel est loin d’être systématique. Dans des univers où le rapport hiérarchique peut être vécu comme une relation individuelle, le fait de s’adresser à un syndicat, pour mettre en question le bien-fondé d’une décision ou d’une attitude émanant justement de la hiérarchie ou de la direction de l’entreprise, procède tout autant d’une recherche de protection que d’une remise en question de la légitimité des décisions de l’employeur et d’une inscription dans un collectif.

Pour les effectifs salariés placés dans des contextes particulièrement défavorables à la syndicalisation (PME, services administratifs de grandes entreprises, etc.) cette remise en question n’intervient la plupart du temps qu’en cas de problème grave et elle est alors centrale dans la démarche de syndicalisation de la personne intéressée. C’est le cas pour une partie des personnes syndiquées que nous avons pu rencontrer. Parmi celles-ci, les femmes étaient relativement plus nombreuses que les hommes, ce qui est compréhensible au regard des situations d’emploi qui sont les leurs. L’extrait de cet entretien mené avec trois salariées d’un établissement d’une enseigne de grande distribution à rabais est particulièrement éclairant à cet égard. Après le rachat de l’entreprise, ces trois employées ont connu une très forte dégradation de leurs conditions de travail et de leur statut. Cependant, c’est seulement à partir du moment où la direction de l’entreprise a décidé de les muter loin de leur domicile, ce qui modifiait ainsi substantiellement leur contrat de travail, qu’elles ont décidé d’avoir recours à un syndicat (Contrepois, 2003 : 63-64) :

N : Nous sommes venues pour les mutations. Avant de venir à l’Union locale, nous avions essayé de joindre le syndicat qui existe chez ED. Le délégué est à Paris. Mais il ne s’est jamais déplacé. Il est du côté du patron. On s’est donc renseigné. On est allées à Evry. Là-bas, on nous a dit de venir ici [à l’union locale de Corbeil-Essonnes]. Et ici, on nous a fait comprendre que, si on voulait être défendues, il valait mieux être syndiquées.

Ah bon?

Oui. C’est normal, dans un sens. S’ils nous défendent, il faut aussi que ça leur apporte quelque chose.

Et avant de faire cette démarche, vous connaissiez les syndicats?

N : Oui. Mon mari est syndiqué, mon fils aussi. Ils sont tous les deux à la CGT.

V : Oui, je connaissais la CGT. Je m’étais toujours dit que si j’adhérais à un syndicat, ce serait celui-ci.

Vous n’étiez pas syndiquée chez Monoprix?

V : Chez Monoprix, on n’a jamais eu de problèmes. On avait un patron en or. Et de toutes façons, il n’y avait pas de syndicat.

N : Par contre, à ED, il y avait un syndicat.

V : Oui. On lui avait demandé de venir et il n’est jamais venu.

Le cas de ces trois femmes met bien en évidence, en ce qui concerne les effectifs salariés travaillant dans des « déserts syndicaux », le caractère déterminant d’un événement portant fondamentalement atteinte à leurs intérêts. C’est parce que ces personnes n’ont plus rien à perdre qu’elles vont décider de s’adresser à un représentant syndical ou à une représentante syndicale, c’est-à-dire de s’engager dans une démarche particulièrement longue, coûteuse et incertaine dans ces univers marqués par la carence des structures de représentation de base et par la fragilité des réseaux de solidarité.

Notons qu’en l’occurrence cette démarche s’est effectuée collectivement, ce qui souligne simultanément la difficulté qu’elle comporte et la dimension collective des problèmes que les intéressées espéraient régler.

Lorsque leur arrivée a lieu dans de telles conditions, ces nouveaux adhérents et adhérentes sont davantage perçus comme des individus à défendre que comme des militantes et des militants potentiels. Ils ne sont donc pas systématiquement invités aux réunions syndicales, et cela, d’autant moins qu’ils ne peuvent que très rarement être rattachés à des structures de base. Par exemple, nos trois employées de commerce ont été comptabilisées parmi les « adhérents divers » de l’Union locale qui les a accueillies, en l’absence d’un syndicat local du commerce ou d’un syndicat d’entreprise au sein de leur établissement.

Si les salariées ne se trouvent pas toutes dans une telle situation, elles se révèlent malgré tout beaucoup plus nombreuses que les hommes à l’être, puisqu’elles sont concentrées dans une trentaine de professions relevant principalement du secteur tertiaire (éducation, santé et services sociaux, etc.) et qu’elles travaillent plus fréquemment dans de petits établissements.

Toutefois, là n’est pas le seul obstacle à l’accession des salariées à des responsabilités, lorsqu’elles parviennent à se syndiquer.

L’univers des responsabilités : entre féminisation volontariste et disqualification

Nos travaux montrent que les prises de responsabilités sont aujourd’hui, pour toute personne qui milite, beaucoup plus rapides que par les périodes passées, d’une part, et un peu moins strictement dépendantes des phénomènes de cooptation, d’autre part. Cela est notamment dû à la multiplication des instances de représentation salariale, que ce soit dans les entreprises ou en dehors de celles-ci. La multiplication des sièges à pourvoir dans un contexte d’affaiblissement général du syndicalisme ouvre, en effet, des perspectives pour un recrutement large et diversifié. Cela est d’autant plus vrai pour les organisations majoritaires, qui doivent pourvoir d’autant plus de sièges. Il existe donc objectivement des possibilités plus larges d’accession à des responsabilités pour les femmes. De plus, certaines organisations se sont engagées dans des démarches volontaristes, voire très volontaristes de féminisation d’instances ou de postes de responsabilités. À cet égard, le témoignage du secrétaire du comité d’entreprise européen d’une grande entreprise du secteur de l’énergie (membre de la CGT) est tout à fait significatif  (entretien du 23/02/2006) :

Comment les représentants au comité d’entreprise européen ont-ils été choisis?

Nous devions présenter dix-huit candidats au total (neuf titulaires et neuf suppléants). Nous avons écrit à tous nos syndicats d’établissement afin qu’ils nous envoient des propositions de candidature. Deux populations étaient particulièrement ciblées : les jeunes et les femmes.

Notre délégation au CEE ne comportait qu’une seule femme, au cours du premier mandat. Pour ce second mandat, elle en comporte sept ou huit. Nous avons vraiment entrepris une démarche volontariste sur cette question-là. Toutes les candidatures ont été examinées par la fédération. […]

Justement, votre stratégie en la matière a-t-elle été liée à une orientation fédérale ou confédérale ou…?

Elle correspond aux termes de l’accord que nous avons signé. Ce dernier comporte une disposition spécifique : la composition sociologique du comité d’entreprise européen doit refléter celle du Groupe.

Dont l’effectif est très féminin?

Non, pas vraiment. Les femmes représentent environ 50 % de l’effectif de l’Entreprise en France. Il s’agit d’un détail très technique.

Il me semblait bien.

Mais notre volonté était là. Actuellement la part des femmes parmi les représentants du personnel doit être de 30 %. Nous souhaitons, pour ce qui concerne notre fédération, nous acheminer vers une parité accrue. C’est pourquoi nous avons adopté cette démarche volontariste. Nous avons cherché des femmes partout, dans tous nos syndicats! [Rires]

Malgré tout, les femmes n’accèdent pas aussi facilement que les hommes à tous les types de responsabilités, ni surtout aux niveaux de responsabilités les plus élevés. En l’occurrence, par exemple, le comité d’entreprise européen reste dirigé par deux hommes, le secrétaire et le secrétaire adjoint, tous deux omniprésents. Par ailleurs la féminisation de cette instance, commencée sur le mode volontariste, ne s’est pas nécessairement accompagnée de la féminisation des autres instances de représentation du personnel du Groupe, ni des directions syndicales.

Plus généralement, Thomas Amossé et Christophe Lemoigne (2004 : 2) constataient de manière significative, alors qu’ils dressaient un bilan de la féminisation des comités d’entreprises, que « dans les instances représentatives du personnel, la présence des femmes est d’autant plus faible quand les responsabilités politiques sont importantes ».

Nous pouvons compléter ce constat en soulignant que toutes les organisations n’attribuent pas le même caractère stratégique aux mêmes instances ni aux mêmes niveaux de responsabilités. Dès lors, chaque confédération et, à l’intérieur, chaque fédération, union territoriale ou syndicat organise de manière relativement différenciée la féminisation de ses structures.

Une logique commune peut, toutefois, être mise en évidence. Son premier trait caractéristique est que les femmes tendent à occuper des postes de responsabilité ou des mandats réputés correspondre davantage à leur « nature féminine ». Dépassant la dénomination des postes ou des mandats en question, leur orientation fondamentalement sociale est mise en avant par les intéressées elles-mêmes, par opposition à des mandats ou à des responsabilités orientés vers les questions de stratégie économique et financière. À ce propos, il est particulièrement intéressant d’observer la façon dont les intéressées revendiquent ce type de responsabilités où elles se sentent pleinement légitimes, quand elles s’estiment dans le même temps incompétentes pour assumer tout autre type de tâche plus « technique » ou « politique » (Contrepois 2003 : 91-92). Une sorte de division sexuelle du travail serait donc en train de s’instaurer au sein des organisations syndicales, à la faveur de la féminisation de ces dernières.

Le second trait caractéristique est que les femmes qui accèdent à des postes de responsabilités ou à des mandats stratégiques, dans le sens où ils englobent plusieurs des dimensions essentielles de l’action syndicale (secrétaire de fédération, secrétaire de comité d’entreprise, etc.) sont souvent étroitement encadrées, voire chaperonnées, par des collègues masculins, généralement beaucoup plus expérimentés qu’elles. Elles se trouvent alors isolées, pratiquement instrumentalisées. Une militante, rencontrée dans une entreprise aéronautique, résume bien la situation : « les hommes aiment bien avoir l’emprise, garder la maîtrise des décisions. Ça, du boulot, ils vont t’en confier à faire. Mais quant à te laisser décider… »

Le fait est que, dans la même entreprise aéronautique, nous avons été amenée à observer comment une autre militante, beaucoup plus jeune, élue secrétaire générale du syndicat des cadres de la CGT, l’Union générale des ingénieurs, des cadres et des techniciens (UGICT), avait été entourée par ses collègues masculins. S’étant vu attribuer un mandat de déléguée syndicale afin de bénéficier d’un certain nombre d’heures de délégation et d’assumer ainsi plus facilement sa fonction de secrétaire générale, cette dernière ne participait jamais à une négociation, contrairement à ses prédécesseurs, laissant la place aux militants (que des hommes) plus chevronnés. De manière plus générale, elle n’assumait aucun mandat considéré comme stratégique par son équipe syndicale, ne siégeant ni au comité d’entreprise ni au conseil d’administration. Enfin, elle avait décidé elle-même de travailler de manière très collégiale, en laissant une place importante aux autres membres – tous masculins et expérimentés – de la direction du syndicat. Ces faits nous sont apparus particulièrement significatif, un jour où l’un des militants de son syndicat s’est introduit dans le cours de notre entretien, en n’hésitant pas à l’interrompre de manière irrespectueuse pour rectifier ses propos à notre intention. Au-delà du contenu de la rectification, cette incursion avait clairement pour objet de souligner l’inexpérience, voire l’illégitimité, de notre interlocutrice qui, dans l’esprit de la plupart de ses collègues, ne devait son statut qu’à la volonté politique d’un certain nombre de dirigeants de promouvoir de jeunes femmes à la direction du syndicat.

Ce cas montre à quel point la distance restant à parcourir entre un processus de féminisation et une mixité pleinement assumée demeure importante.

Conclusion

La féminisation des organisations syndicales est incontestablement en cours, en dépit des obstacles que les femmes continuent de rencontrer dans leur démarche d’engagement. Parmi ces derniers, la place qu’elles occupent sur le marché du travail joue un rôle particulièrement important, dans la mesure où elle détermine en grande partie la place qu’elles vont effectivement être en mesure d’occuper au sein des organisations syndicales.

C’est l’une des raisons pour lesquelles ce processus de féminisation ne débouche pas pour le moment sur une réelle mixité. Les femmes restent absentes de nombreux pans du mouvement syndical. En outre, une division sexuelle du travail semble être en train de continuer à s’installer entre, d’une part, des militantes prenant plutôt en charge les aspects sociaux de l’activité syndicale et, d’autre part, leurs homologues masculins qui tendent à concentrer leur énergie sur des aspects plus politiques et stratégiques. Si quelques « figures » sont autorisées à faire exception dans ce paysage, les marges de manoeuvre qui leur sont laissées sont souvent faibles.

Enfin, la question de la place des femmes dans le mouvement syndical a la particularité de renvoyer à un cercle vicieux particulièrement difficile à briser. Pour une large part, les femmes éprouvent des difficultés à prendre leur place dans les organisations syndicales du fait même de leur situation d’emploi et des mécanismes de la représentation sociale. Or, tant qu’elles ne parviendront pas à représenter elles-mêmes leurs intérêts, elles ont toutes les chances de rester dans des positions d’emploi dominées.