Comptes rendus

Marc Bergère et Luc Capdevila (dir.) Genre et événement. Du masculin et du féminin en histoire des crises et des conflits. Collection « Histoire », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 168 p.[Record]

  • Ollivier Hubert

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  • Ollivier Hubert
    Université de Montréal
    et Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)

Cet ouvrage collectif, publié par l’excellente collection « Histoire » des Presses universitaires de Rennes, est le produit de deux années de réflexions organisées par le groupe de travail en histoire du genre du Centre de recherches historiques sur les sociétés et cultures de l'ouest européen (CRHISCO) – Université de Rennes II. L’ensemble se présente comme une succession d’études de cas, éparpillées dans l’histoire et l’espace depuis l’Antiquité grecque jusqu’aux années 1970, de la Bretagne au Paraguay en passant par l’Afrique de la décolonisation. Cette dispersion objective est canalisée par le double cadre conceptuel du genre et de l’évènement, des « rôles sociaux de sexe » et du « fait inédit », « non répétable » (p. 14). Les résultats de cette juxtaposition originale sont vivifiants dans la mesure où il ne s’agit nullement d’un retour à une histoire évènementielle, mais plutôt d’une histoire sociale et culturelle pratiquée à partir des sources que la rupture a générées. Pierre Brulé, après un parcours très stimulant à travers les catégories anciennes du féminin et du masculin (qui rappelle le machisme fondamental de cette culture dont l’Occident se pense l’héritier), débouche sur cette révélation (pour les personnes non initiées), appuyée par l’iconographie : la Grèce antique non seulement enfermait ses femmes, mais elle les voilait. L’auteur ne manque pas de faire quelques rapprochements avec la question actuelle et propose un parallèle avec le « monde arabo musulman d’aujourd'hui » (p. 28), ce qui est suggérer une orientalisation de la Grèce, et donc de l’Occident. Cependant, Brulé ne va pas tout à fait jusque-là, car il y aurait, selon lui, « des civilisations du couvert » et « des civilisations du découvert » (p. 33). De son côté, Christophe Badel offre une étude classique en histoire des femmes : celle qui consiste à évaluer leur rôle dans « l’histoire » prise dans son acception évènementielle. Ont-elles participé aux émeutes frumentaires à Rome à la fin de la République et au début de l’Empire? Sans surprise, les sources sont muettes à leur sujet. L’auteur passe donc aux suppositions, mais la problématique du genre est ici bien lointaine. Yann Lagadec, pour sa part, se livre au même exercice, mais en un tout autre contexte : il s’agit cette fois d’agitations bretonnes, paysannes et antilibérales, à la fin du XVIIIe siècle. Là, la microhistoire est possible et conduit à la complexité : les archives judiciaires offrent autre chose à interpréter qu’un métarécit. À côté des facteurs socioéconomiques et culturels connus – activisme initial des femmes, car il est question de pain, puis rôle prépondérant de la violence masculine –, apparaissent des irrégularités qui stimulent l’interrogation : l’émeute permet de faire émerger, par exemple, la figure d’une leader féminine au statut sexuel ambigu. Sophie Cassagnes-Brouquet, qui met en évidence dans les narrations des massacres parisiens de 1418 le tabou du « ventre de la femme enceinte », circonscrit bien un des défis méthodologiques du projet : l’évènement se donne comme une construction discursive, plus ou moins dense, plus ou moins mystérieuse, plus ou moins sédimentée. Tandis que longtemps la discipline historique a été l’instrument privilégié d’une simple transmission de ces traditions inventées, avant de tourner le dos à l’esprit de chronique avec l’école structuraliste, l’histoire culturelle impose un retour critique à l’évènement comme un site privilégié de production du sens. Dans une perspective d’histoire du genre, l’évènement n’est pas tant ce qui, dans la fulgurance, transformerait les rapports sociaux de sexe, mais plutôt l’un des récits par lesquels ceux-ci sont fixés. Tous les auteurs et auteures sont donc aux prises avec l’ordre du discours, bien que certaines …

Appendices