« Mon corps m’appartient » était l’une des affirmations politiques mises en avant durant les années 70 qui ralliait les diverses tendances du mouvement de libération des femmes. Elle connotait le droit à la sûreté, contenu dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que l’on n’appelait pas encore les « droits de la personne ». Elle s’est notamment incarnée dans « Un enfant, si je veux, quand je veux », qui, alors, signifiait avant tout « Pas d’enfant, si je ne veux pas, quand je ne veux pas » et qui a été consacré par la reconnaissance du droit à la contraception et à la liberté de l’avortement. Elle ridiculisait l’idée du « devoir conjugal » et imposait celle que le viol est un crime contre les femmes. Elle a aussi donné l’élan au premier mouvement des prostituées. Qu’est devenu ce corps-là dans les débats qui ont opposé « essentialistes » et « matérialistes »? Par la suite formalisés autour de « sexe » et de « genre »? L’objet de ce livre n’est pas de répondre directement à cette question. Il fournit plutôt des éléments précieux pour revenir sur la « question de la matérialité du corps » quand le recours au terme « genre » tend à imposer que « rien n’est naturel » et que « tout est construit » (p. 10). Il parvient à le faire sans céder à l’essentialisme – si souvent mentionné lorsqu’il s’agit désormais de penser le corps. Issu d’une journée d’étude – « Entre sexe et genre, où est le corps? » – organisée par le Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (CEDREF) de l’Université Paris 7-Denis Diderot, qui prolongeait le séminaire interdisciplinaire « Genre et science » qui s’y était tenu de 2000 à 2003, cet ouvrage regroupe sept textes rédigés par des philosophes et des scientifiques. Dans son article « Les corps des pratiques : politiques féministes et (re)construction de ‘la nature’ », Maria Puig de la Bellacasa aborde la question « Où est le corps? » dans les études féministes des sciences. Les ayant exposées, ce qui fournit un tableau utile aux non-spécialistes, elle opte elle-même pour la dimension spéculative du contructivisme féministe (p. 28) : Cynthia Kraus, dans son article « ‘Avarice épistémique’ et économie de la connaissance : le pas rien du constructionnisme social », s’attache à traiter « des pratiques d’élaboration de la connaissance du constructionnisme social en posant la question suivante : qu’advient-il de la ligne qui sépare ce qui est là – ce qui est réel, quelque chose – de ce qui ne l’est pas – ce qui n’est pas réel, qui n’est rien – dans nos efforts pour contester le traçage de frontières » (p. 40). Considérant la connaissance comme une forme d’économie politique et utilisant les diverses métaphores y afférentes, Cynthia Kraus propose un texte hermétique où je me suis un peu perdue dans son social en boucle. Je relirai une autre fois son article. En partant du « cas » d’une hermaphrodite, Beatriz Preciado, dans son article « Biopolitique du genre », propose de nombreuses remarques particulièrement stimulantes qui pourraient être reprises et approfondies par quiconque s’intéresse à ces questions. En vrac : « Loin d’être une création de l’agenda féministe des années 1960, la catégorie du genre appartient au discours médical de la fin des années 40 » (p. 66); le terme gender a été inventé par John Money, chargé de la section pédopsychiatrique de l’hôpital John Hopkins de New York : « À la rigidité du sexe dans le discours médical …
Hélène Rouch, Elsa Dorlin et Dominique Fougeyrollas-Schwebel (dir.) Le corps, entre sexe et genre. Paris, L’Harmattan, Collection « Bibliothèque du féminisme », 2005, 170 p.[Record]
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Marie-Blanche Tahon
Université d’Ottawa