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La parodie féministe possède un pouvoir démythifiant indéniable. Pensons à la relecture aussi drôle que féroce que fait Louky Bersianik, dans L’Euguélionne (1976), des discours patriarcaux (biblique, psychanalytique, littéraire…) ou à la désopilante série Great Housewives of Art de Sally Swain (1988) : « Mrs. Manet Entertains in the Garden », par exemple, inverse la logique du Déjeuner sur l’herbe en représentant les femmes vêtues et les hommes nus. Le rire féministe décape, dénaturalise et déstabilise; il rend visibles et, du coup, condamnables, les pratiques et les croyances patriarcales; il invite, explicitement ou implicitement, à l’action.

Produit-on aujourd’hui l’équivalent de ces représentations classiques? Les pratiques parodiques des jeunes femmes d’aujourd’hui sont-elles aussi ouvertement politiques, aussi efficaces? Les visées, les techniques employées ont-elles changé? Le présent article propose un élément de réponse en s’intéressant à Nunuche (Gravel 2010a et 2011) et à Nunuche gurlz (Gravel 2010b), deux « vrai[s] faux » (Galipeau 2010) magazines féminins publiés aux Éditions de la Courte Échelle à partir de mai 2010.

D’entrée de jeu, le titre des deux revues ainsi que leur périodisation fantaisiste (« printemps de l’année prochaine », « automne de cette année »), affichent leurs couleurs parodiques. Et féministes? Faut-il lire le mot Nunuche comme une acceptation (« fofolles et fières de l’être ») ou encore comme une antiphrase critique (« attention, pas si bêtes que ça[1] »)? À reproduire à la lettre les obsessions de la presse féminine traditionnelle, à éviter tout discours de dénonciation explicite, dilue-t-on le message féministe ou le met-on à la portée d’une nouvelle génération qui ne lira jamais L’Euguélionne? Autrement dit, quelles sont les possibilités et les limites de la parodie pour le féminisme?

Après une brève présentation de la revue et le rappel de quelques notions théoriques essentielles, nous procéderons à une démonstration en trois temps. Nous observerons d’abord les moyens rhétoriques grâce auxquels Nunuche et Nunuche gurlz parodient la presse féminine et produisent une ironie et un humour féministes. Nous constaterons que cette parodie n’est pas aussi outrancière qu’elle peut le sembler : entre Nunuche, Nunuche gurlz et les magazines tournés en dérision, les différences sont parfois minimes. Nous proposerons donc ensuite une comparaison entre la « vraie » et la « vraie fausse » presse féminine, examen qui permettra de montrer que la presse féminine traditionnelle est en elle-même si outrancière qu’elle semble déjà être une parodie, mais d’un genre différent. Nous passerons d’une parodie du type classique avec Nunuche ‒ un renvoi critique à des conventions et des productions textuelles ‒ à une autre de nature plutôt sociale, plus proche de la vision de Judith Butler. Selon cette dernière, toute identité de genre, et, partant, l’idée de la féminité traditionnelle, serait une parodie ou une « imitation sans original », c’est-à-dire un renvoi à une « réalité » qui n’existe pas. En effet, tout comme le travesti « fait la femme » de manière outrancière, les revues féminines traditionnelles grossissent volontairement le trait et présentent un féminin caricatural, à la limite du ridicule et donc parodique. Nous affirmerons dès lors que Nunuche et Nunuche gurlz font oeuvre utile en montrant que la presse féminine est en elle-même la parodie sans original d’un féminin préfabriqué. En conclusion, nous nous interrogerons sur le pouvoir et les limites de la parodie féministe telle que la déploient Nunuche et Nunuche gurlz. Productions critiques ou complices? Engagées ou distanciées? Peut-on coller de si près aux magazines traditionnels sans risquer la récupération ou l’insignifiance?

Nunuche, Nunuche gurlz et la presse féminine

La presse féminine essuie les critiques de théoriciennes féministes depuis plusieurs années. Déjà en 1978, Anne-Marie Dardigna montrait que cette presse naturalise la domination masculine comme la subordination féminine, multiplie les stéréotypes et récupère ou neutralise les luttes féministes. Encore aujourd’hui, on dénonce la quête incessante du grand amour, le culte de la minceur et la perpétuation d’oppositions tranchées entre le féminin et le masculin. Certaines analystes se penchent sur l’exhibition et l’érotisation des corps féminins (Giet 2005), alors que d’autres observent les représentations dépassées des relations de couple (Cyr 2005), les images et discours de la presse adolescente (Caron 2004; Lebreton 2009), la prégnance de discours normatifs sans égard à la tranche d’âge visée (Claveau 2010), les discours antiféministes (Mayer et Dupuis-Déri 2010) ou les liens idéologiques entre certains magazines masculins et féminins issus d’un même groupe de presse (Saint-Martin 2011). Peu d’écrits, pourtant, ont été consacrés aux procédés rhétoriques dont ils font usage. Nunuche et Nunuche gurlz méritent donc notre attention en ce qu’ils usent et abusent de ces procédés de façon à la fois critique et hilarante.

En quoi consistent Nunuche et Nunuche gurlz? Nunuche compte deux numéros à son actif : le numéro 1 propose un dossier « Chirurgie esthétique » (figure 1[2]) et le numéro 2, un dossier « Beauté intérieure » (figure 2). Il existe pour l’instant un seul numéro de Nunuche gurlz, avec en couverture « le top mimi Aliocha Schneider » (figure 3). Nunuche dit s’adresser prioritairement aux jeunes femmes de 18 à 25 ans, et son pendant gurlz, aux adolescentes de 12 à 17 ans. Piloté par l’illustratrice Élise Gravel, le projet, s’il n’est pas présenté d’emblée comme féministe[3], s’attache néanmoins à déconstruire, avec humour, les représentations figées de la féminité. Il cherche en effet, comme l’affirme Gravel, à « utiliser les armes de [l’industrie des magazines] pour mieux s’en moquer » (Collard 2010).

Figure 1

N1, première de couverture

N1, première de couverture
Crédit : John Londoño

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Figure 2

N2, première de couverture

N2, première de couverture
Crédit : Élise Gravel

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Figure 3

NG, première de couverture

NG, première de couverture
Crédit : John Londoño

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Ironie, parodie et humour au féminin : quelques enjeux théoriques

Parmi les multiples définitions de l’ironie et de la parodie, nous avons retenu celles de Linda Hutcheon, selon qui l’ironie littéraire est une « stratégie discursive » marquée par la superposition d’un « dit » et d’un « non-dit » (Hutcheon 2001 : 291). Par cet écart, l’ironie impose une évaluation, « presque toujours péjorative » (Hutcheon 1981 : 142), de la part d’une instance énonciative. En tant que trope, elle constitue la stratégie idéale à la construction de la parodie et de la satire, genres littéraires apparentés mais qui visent des cibles différentes : alors que la satire s’attaque à des travers moraux ou sociaux, la parodie s’intéresse strictement aux conventions littéraires (Hutcheon 1981 : 143); grâce à l’ironie, elle enchâsse un texte parodié dans un texte parodiant de façon à marquer entre eux une opposition, une distance critique (Hutcheon 1978 : 477). Hutcheon souligne du reste que satire et parodie peuvent être croisées. Alors qu’une satire parodique vise un objet hors du texte, mais utilise la parodie pour réaliser son but correctif, une parodie satirique cible en premier lieu des textes tout en dénonçant des travers extratextuels (Hutcheon 1981 : 148). À n’en pas douter, Nunuche et Nunuche gurlz constituent une parodie satirique en ce qu’ils imitent les magazines féminins pour critiquer implicitement l’hypersexualisation des jeunes filles, la dépendance à l’égard des hommes et l’obsession de la beauté.

L’ironie traduit ainsi une posture critique, un jugement; arme rhétorique, manifestation détournée d’agressivité, elle permet au « sujet ironisant » féminin d’afficher sa supériorité sur autrui pour revendiquer un pouvoir dont il a été traditionnellement écarté (Joubert 1998 : 17-19). La parodie féministe, elle, tourne en dérision des discours qui dévalorisent le féminin : dans l’écart qu’elle marque entre un texte parodié et un texte parodiant, elle démasque et démythifie. Cependant, la parodie n’échappe pas à certaines limites structurelles : pour être reconnue comme telle, elle doit ressembler à son original, rester en quelque sorte dans son orbite. En intégrant une distance dans la continuité, la parodie est un genre contraint : « In mocking, parody reinforces; it inscribes the mocked conventions onto itself, thereby guaranteeing their continued existence » (Hutcheon 1984 : 15). Sa charge subversive risque à tout moment la dilution, voire la récupération.

Quels sont les liens qu’entretiennent l’ironie et la parodie avec l’humour? Pour Lucie Joubert, la nécessité d’une contestation, et donc d’une cible, distingue l’ironie de l’humour, qui n’a pas nécessairement la même charge agressive (Joubert 1998 : 17). Pourtant, selon Nancy A. Walker, parodie et satire demeurent les genres privilégiés pour exprimer un humour féministe. Humour qui peut être classé selon deux catégories : la première cherchant à rendre compte de la subordination des femmes; la seconde, à souligner l’absurdité des systèmes actuels et à revendiquer de nouvelles façons de conceptualiser le féminin (Walker 1988 : 148). L’ironie, en tant que stratégie rhétorique de la parodie, peut donc, malgré son caractère fondamentalement offensif, produire de l’humour.

Parodie et rhétorique : comment Nunuche et Nunuche gurlz affichent leurs couleurs

Peut-on qualifier de féministes des productions qui enseignent à faire « la moue de truite en 3 étapes faciles » (NG : 20[4]), déclarent sans sourciller qu’une femme sans homme n’est rien (NG : 5) et présentent une chronique consommation intitulée « Si je ne l’ai pas je me tue » (N1 : 16-17)? Autrement dit, comment sait-on que Nunuche est une parodie? Car la parodie, comme l’ironie, existe dans l’oeil de celle ou celui qui la regarde. Lucie Joubert a montré que l’ironie des femmes, si elle ne diffère pas par ses moyens rhétoriques de celle des hommes, possède néanmoins ses traits propres. D’une part, elle vise souvent des cibles extratextuelles spécifiques (les hommes, les attitudes sexistes, le mariage, l’Église). D’autre part, se crée, entre auteure et lectrice, une complicité féministe qui fait qu’un énoncé comme « Les femmes sont inférieures, c’est bien connu » sera correctement décodé comme une antiphrase (dire le contraire de ce que l’on pense) et une critique des préjugés. Les deux éléments s’observent, à n’en pas douter, à la lecture de Nunuche et de Nunuche gurlz.

Frappe, dans un premier temps, l’esthétique de bande dessinée qui domine dans les deux magazines. On reconnaît bien le format de la presse féminine ‒ les articles plus riches en images qu’en contenu, les informations en capsules, les pages chargées et colorées, l’omniprésence des beaux corps et des beaux objets ‒, poussé ici au paroxysme, avec en prime des dessins d’étoiles, de bouches dévorantes, de petits monstres ou de motifs léopard, des blondes façon Barbie reproduites en couleurs vives comme dans une sérigraphie de Warhol, des surlignages et des flèches jaune fluo, etc. Dès le premier regard, Nunuche et Nunuche gurlz étourdissent, exagèrent, abusent et, implicitement, dénoncent la bêtise et la vacuité qu’ils soulignent à gros traits.

Outre des moyens textuels particuliers que nous verrons ensuite, deux techniques traversent l’ensemble du magazine : l’absurdité et l’hyperbole, souvent liées du reste. L’absurdité est partout. En témoignent les non-sens patents ‒ « Il refuse de sortir avec moi parce que j’ai un gros pancréas » (NG : 6) ‒, les titres incongrus ‒ « Je préfère les Smarties bleus », « Exit les oreilles! » (parce qu’elles sont « out » [N1 : couverture]), « Religion : le choix des top-modèles » (N1 : 40-42) ‒ ou encore les entrevues bizarres avec India Desjardins (menée par une autruche [NG : 22-27]), avec « Miss Ordinary » (N2 : 14-15) et avec Aliocha Schneider, entrevue qui se termine sur les mots suivants : « Es-tu pour ou contre l’environnement? Tout à fait. Bye » (NG : 31). L’absurdité est également au rendez-vous quand il s’agit de présenter des excès de langage (« le vampire trop sexy-mignon » [NG : 14]) ou des produits loufoques juste un peu plus étranges que ceux de la « vraie » presse féminine, mais centrés autour des mêmes obsessions : mentionnons un produit anti-âge, « Peaulisse », qui met les rides « en état d’arrestation » (N1 : 3), une crème « Varibuste » qui « augmente ou diminue l’ampleur de votre poitrine, selon ce que vous avez envie de porter » (N1 : 63), un « spray anti-mégabitch » (NG : 1) ou encore du « Talent en boîte », parce que « pratiquer, c’est pour les moches » (NG : 19).

L’absurdité apparaît aussi lorsqu’il s’agit d’organiser un débat en apparence sérieux (« Pour ou contre les nombrils? Nos lectrices s’expriment » [NG : 8-9]), de stimuler la réflexion (« Nunuche a lu » présente une page blanche avec la mention « Nunuche n’a rien lu ce mois-ci » [N1 : 62]) ou de cataloguer des modes (« Le dada du mois : la tache de moutarde » [N1 : 10-11], « Le must de la saison : la choc-chirurgie » [N1 : 26-27], « Les maladies in/out » [N2 : 12]). Tout aussi consternants et divertissants sont les conseils généreusement prodigués. Ainsi, on pourra apprendre comment « élever un enfant médiocre » (N2 : 40-41), faire perdre du poids à son cerveau (N2 : 30) ou « attraper un mec » dans la jungle (NG : 35) :

Revêts ton plus beau bikini de chasse, puis trouve un éléphant quelque part. Creuse un énorme trou devant l’éléphant, puis recouvre le trou à l’aide de feuilles de palmier, genre. Ensuite, coince une de tes jambes sous une patte de l’éléphant et crie à l’aide. Quand le mec approchera pour te secourir, il tombera dans le trou!

L’exagération est aussi au rendez-vous pour railler la double obsession de la mode et du « mec » (« bikini de chasse »), le langage « in » du moment (« genre »), et le mode « conseils » lui-même avec son ton résolument optimiste (le point d’exclamation final est en soi un petit chef-d’oeuvre) et ses solutions toutes faites (trouver un éléphant « quelque part »). En effet, l’hyperbole et l’exagération, qui renforcent souvent le sentiment d’absurdité en grossissant le trait jusqu’au ridicule, fourmillent dans les deux magazines. On les observe dans le texte ‒ par exemple, la victime d’un lifting raté se plaint d’avoir « les deux seins au niveau des joues », ce qui attire les hommes, mais l’empêche de vérifier l’état du vernis sur ses orteils (N1 : 32) ‒, mais aussi dans les images, comme la fausse publicité de « Padaung par Cuckoo Clarcke » (N2 : quatrième de couverture) (figure 4), qui montre une jeune blonde du type Barbie affublée d’un collier fait d’une vingtaine de rangs de perles qui lui donne un cou démesurément long, pareil à celui d’une femme-girafe africaine : on verse ici dans la satire de la mode extrême. La caricature, forme d’exagération souvent véhiculée par des jeux onomastiques plutôt juvéniles ‒ la spécialiste des ruptures amoureuses s’appelle « Bella Ciao » (NG : 44) ‒, s’étend aux célébrités (« Brad Split » [NG : 15]), mais aussi aux couturiers comme « Calvin Klone » (N2 : 4-5) (figure 5), « Mummy Hilfinger (mode postchirurgie plastique) [N2 : 13] » ou « American Sexxuel » (NG : 28-29). Les questionnaires et les conseils basculent eux aussi dans le loufoque : on demande, de but en blanc, « Êtes-vous trop soumise? » ‒ vous l’êtes sans doute si, informée qu’il vous laisse, vous décidez « de vous laisser aussi et de partir avec lui » (N1 : 44) ‒, on propose un régime alimentaire basé sur l’alphabet (tout en précisant qu’il importe de connaître « relativement bien » ses lettres pour pouvoir le suivre sans danger [N1 : 34]), on montre comment « perdre du poids en flirtant » (NG : 47). Ces derniers exemples poussent jusqu’à la caricature deux rubriques privilégiées de la presse féminine et proposent l’image d’une femme à la fois si perdue, si étourdie et si démunie que l’on est forcément dans la satire d’un modèle féminin bien connu.

Figure 4

N2, quatrième de couverture

N2, quatrième de couverture
Crédit : Élise Gravel

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Figure 5

N2, p. 4-5

N2, p. 4-5
Crédit : John Londoño

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L’écart entre l’image et le texte produit aussi des effets comiques et, partant, un commentaire critique, comme lorsqu’une photo de pin-up, cigarette à la main, porte la légende « Fumer pue le pet » (NG : quatrième de couverture), ou que, à côté du titre « Les hommes : comment décoder leur langage non verbal », on présente un chimpanzé en chemise blanche et noeud papillon (N2 : 24-26). Ces écarts s’accompagnent souvent de savoureux jeux sur l’écart entre sens propre et sens figuré, comme pour l’exemple, déjà cité, de la chasseuse de mecs, ou pour telle annonce du parfum « L’essence de la répartie » : « Débouchez le flacon. Ne restez plus jamais bouchée! » (N2 : quatrième de couverture). Enfin, on peut parfois parler, entre image et titre, d’une sorte d’antiphrase ironique : ainsi, la couverture du second numéro de Nunuche propose un gros plan sur des fesses parfaites, accompagné des mots : « Dossier spécial beauté intérieure ». Le grotesque et le vulgaire ne sont jamais loin : on parle d’un suppositoire « qui vous fait péter frais » (N1 : 39), d’une boutique de chirurgie-minute, Shop-Chop, qui ressemble à s’y méprendre à une cabine de toilette publique (N1 : 29), ou encore d’un « programme d’obéissance érectile » accompagné de la photo de la tête d’un berger allemand, la langue pendante, émergeant d’un pantalon masculin (N1 : 37). On se moque avec jubilation de tout ce qui fait l’ordinaire de la presse féminine : invitation à la consommation tous crins, relations avec les hommes et honte du corps naturel.

On le voit à ces quelques exemples ‒ et c’est chaque page qu’il faudrait pouvoir citer ‒, Nunuche et Nunuche gurlz multiplient les astuces rhétoriques pour produire des incongruités qui font rire, mais aussi réfléchir, pour créer une distance critique d’avec la presse féminine traditionnelle et ses effets aliénants. Mais cette presse elle-même, surtout si on la lit à la lumière de Nunuche et de Nunuche gurlz, n’est-elle pas plus grotesque, plus loufoque qu’on le laisse généralement entendre? Malgré son culte de la beauté, son ton un rien compassé, ses quelques idées fixes qu’elle réitère inlassablement comme des vérités absolues, malgré le fait qu’elle se prend visiblement au sérieux, cette presse n’est-elle pas, au fond, drôle à mourir?

Rire franc et rire jaune : Nunuche et la « vraie » presse féminine

Nous l’avons montré plus haut, la parodie est contrainte en ce qu’elle doit, pour être intelligible, ressembler à son original. Il faut donc non seulement voir ce qui distingue Nunuche et Nunuche gurlz de magazines comme Elle Québec, Summum Girl ou Clin d’oeil, mais également réfléchir à ce qui les rapproche. Au-delà d’évidents recoupements dans le choix des thèmes, on peut se demander si le plus grand parallèle entre Nunuche et la presse féminine traditionnelle ne réside pas dans un même traitementexagéré et outrancier des images et des discours. La presse féminine reproduit-elle une féminité visiblement caricaturale que les lectrices, à force de la côtoyer, sont devenues incapables de reconnaître pour absurde? La plus grande force de Nunuche est-elle de révéler, au moyen de sa drôlerie impitoyable, la nature cachée, mais déjà parodique, de ces productions, de rendre visible ce qui passe couramment pour naturel? Les théories butlériennes de la parodie peuvent nous aider à répondre à ces questions.

Rappelons que pour Judith Butler, comme pour beaucoup de théoriciennes féministes, l’identité de genre est une fabrication, une « histoire personnelle/culturelle de significations reçues » (Butler 2005 : 262). Les hommes et les femmes ne sont pas, ils font : ils jouent et rejouent des gestes, des comportements, des attitudes pour se conformer à un modèle de genre imposé dès la naissance. Loin de posséder un « statut ontologique » (Butler 2005 : 259), le genre se crée au moyen d’actions répétées, d’une performance maintes fois réitérée. Faisant appel à la figure du travesti, Butler rejette l’idée selon laquelle il y aurait un féminin et un masculin « origina[ux] ou primaire[s] » (Butler 2005 : 260). Le travesti, en ce qu’il imite avec exagération des comportements typiquement « genrés », révèle le caractère éminemment parodique du genre lui-même. Et puisque la féminité et la masculinité traditionnelles n’existent pas, sinon dans les représentations sociales et culturelles, le travesti met au jour une parodie, certes, mais une parodie sans original : « La parodie du genre révèle que l’identité originale à partir de laquelle le genre se construit est une imitation sans original » (Butler 2005 : 261). La presse féminine parodie alors ce que John Gagnon nomme les « scripts sexuels », c’est-à-dire des scénarios, des « prescriptions d’ordre culturel indiquant aux individus comment ils doivent se comporter » (Gagnon 2008 : 75). Comme le travesti de Butler, elle parodie le féminin ou, mieux, une certaine idée du féminin; elle le met en scène inlassablement pour mieux en vivre.

L’amusant projet éditorial de Nunuche, présenté sur Internet, affiche déjà une affinité avec la presse féminine traditionnelle :

Nunuche, c’est ton guide spirituel mode, ton prof de glam, ta gouroune tendance, ton modèle à suivre si tu veux faire partie du club sélect des belles poupounes. Nunuche, c’est la petite voix à l’intérieur de ta tête qui crie « Achète! Achète! ». Nunuche, tu l’aimes, tu l’admires, tu veux être sa meilleure amie. Nunuche est partout, en chacun de nous. Célébrons Nunuche[5]!

Ajoutées à une féminisation drôle (« gouroune tendance »), les formules « “Achète! Achète!” », « faire partie du club sélect des belles poupounes » et « Nunuche est partout, en chacun de nous », révèlent, exacerbent et ridiculisent l’obligation à la consommation, la quête aliénante de la beauté physique et l’intériorisation des valeurs patriarcales. Lu à la lumière de celui de Nunuche, le projet éditorial du magazine Summum Girl semble posséder un sens caché :

La Summum Girl est une femme indépendante, qui exprime son individualité dans le style de vie qu’elle adopte, mais aussi dans son look […] La Summum Girl n’a pas peur de déranger un peu et de prendre position. Elle s’intéresse à tout, pas seulement au maquillage et aux recettes […] Et si elle doute d’elle-même parfois, elle compte bien tout faire en son pouvoir pour trouver des réponses à ses questions et pour s’accepter telle qu’elle est. Ce qui ne l’empêchera surtout pas de travailler très fort à s’améliorer pour devenir un jour une meilleure version d’elle-même, saine et heureuse […] Girl Power!.

Vézina 2009 : 5

Quand on sait que Summum Girl, à l’instar de plusieurs magazines, encourage non pas l’individualité et la prise de position mais plutôt le conformisme et la dépendance aux hommes, qu’il confine les lectrices dans le paraître, qu’il clame haut et fort une idéologie (« Girl Power! ») contradictoire basée sur l’importance de la séduction[6], il y a lieu de trouver un effet comique à cet extrait, lequel dément la mission réelle du magazine et rend compte de positions éditoriales conflictuelles. Alors que Nunuche dévoile et dénonce, Summum Girl camoufle et renverse ses propres visées, voire frise l’ironie et l’autoparodie tant le trait est grossi (« travailler très fort » pour devenir davantage soi-même). En évoquant une féminité faussement libérée, le projet Summum Girl ridiculise, sans doute involontairement, la « petite voix intérieure », le ton « gouroune tendance » généralement employé par les équipes de rédaction de la presse féminine.

Nunuche prend également un malin plaisir à se moquer de la quête amoureuse qui obsède les magazines féminins, à rire des mille et un « mode[s] d’emploi pour trouver un amoureux » (Vaillancourt et Marsolais 2011) proposés mois après mois. Nunuche gurlz consacre de nombreuses pages à un « guide de la chasse au mec ». Alors que la presse pour hommes fait la promotion de la chasse et du sport extrême comme la manière toute désignée d’imposer sa virilité aventureuse[7], les magazines féminins limitent l’aventure à la seule séduction. Si la fin diffère (les hommes sautent en parachute et veulent conquérir le monde, les femmes sont aguichantes et veulent conquérir l’homme idéal), les moyens, eux, sont placés d’une même façon sous le signe du risque et de l’audace. Dans Nunuche gurlz, l’idée du guide est prise au pied de la lettre et on présente différentes techniques et divers objets (de la ficelle, une pelle, un cadenas à combinaison) nécessaires à la réussite de l’entreprise. Malgré l’exagération, on n’est pas tellement loin, par exemple, d’un dossier d’ElleQuébec dans lequel on offre aux lectrices une « leçon de séduction » (l’italique est de nous) qui consiste, entre autres, à conseiller fortement de porter des sous-vêtements affriolants « pour jouer franc jeu avec [une] proie » (Vaillancourt 2011). La séduction comme processus apparenté à la chasse se présente dans les deux publications comme une recette à suivre à tout prix, quitte à verser dans le ridicule. Ainsi, on lit dans Nunuche gurlz (NG : 35) :

Trouve un pot de confitures dans la cuisine, puis dirige-toi vers la salle de bain. Commence à pleurer et à gémir bruyamment. Quand un mec s’approchera pour voir ce qui se passe, explique-lui que tu n’arrives pas à ouvrir le pot. Adopte ton air le plus démuni jusqu’à ce que le mec entre dans la salle de bain, puis ferme rapidement la porte et enferme-le!

On ne procède pas autrement dans un extrait de Summum Girl d’avril 2011 (Guillemette 2011 : 25) :

Instructions : Mélanger tous les ingrédients dans un shaker et verser dans un verre tulipe. Décorer le verre d’un quartier d’orange et de quelques canneberges […] Lors d’une belle journée ensoleillée, installez-vous confortablement dans votre spa avec le rafraîchissant Bluenat et soyez assurée que le sexy voisin vous suppliera de le partager.

Que la séduction façon Nunuche soit absurde, voilà qui était attendu, mais elle semble tout aussi risible dans l’extrait de Summum Girl : un simple cocktail cache un potentiel de rencontre. Tout comme la lectrice de Nunuche gurlz est invitée à « adopter [son] air le plus démuni » pour chasser un « mec », la lectrice de Summum Girl devient passive dans l’acte de séduire : son cocktail, malgré les efforts de préparation qu’il a commandés, paraît au final bien plus attirant qu’elle. Dans les deux cas, on est en pleine parodie.

Nunuche se moque joyeusement de la beauté physique et de l’apparence. C’est que le corps « est tout ce que nous avons », dit Nunuche (N1 : 26); il est notre « meilleur allié », dit, pour sa part, Clin d’oeil (mars 2011 : première de couverture). Alors que Nunuche s’extasie sur un « sérum hydratant réversif à triple action antirides dermo-poétique au paratylchlorybenzoune de triptoctine et à l’extrait naturel de protéine de tibia de foetus de limace andalouse » (N2 : 55), Elle Québec propose, dans son numéro de mars 2012, la publicité à peine moins amusante (pour qui a le regard aiguisé) d’une « gelée hydratante haute densité concentrée en P. Antartica, un micro-organisme capable de survivre dans les eaux glaciales de l’Antarctique grâce à sa capacité incroyable et reconnue de retenir l’eau ». Ou encore, tandis que Nunuche propose une publicité de talons hauts en « phentex » (N2 : 45), un court article de Summum Girl s’intéresse à des « chaussures loufoques », qui sont en fait des talons hauts en forme de sac d’épicerie ou de pelures de banane (Mademoiselle J 2011 : 14). On jurerait du reste que le modèle phentex et le modèle banane sortent d’une même collection… Dans La relation parodique, Daniel Sangsue affirme que l’humour (dont Summum Girl use ici volontairement) constitue l’un des « embrayeurs » privilégiés de la parodie (Sangsue 2007 : 123). Les chaussures loufoques sont des « signaux » : elles permettent à la lectrice de percevoir, de reconnaître la parodie. Évidemment, il s’agit de parodier non pas un « sous-texte », comme le suggère Sangsue dans son texte, mais plutôt l’idée sociale de féminité qu’imposent les équipes de rédaction de la presse féminine. En jouant dans l’extrême et la caricature, en traitant d’artifices farfelus, l’équipe de Summum Girl donne des indices précis d’un féminin à reproduire, et, partant, révèle ses couleurs parodiques.

Les modèles de Nunuche et de Nunuche gurlz attirent à leur tour l’attention : parodie oblige, elles reproduisent les mêmes poses, affichent les mêmes regards et les mêmes sourires que celles de la presse féminine traditionnelle. La page couverture du premier Nunuche propose par exemple une jeune femme aux épaules dénudées, à l’oeil droit maquillé de manière très prononcée et aux lèvres peintes d’un rouge vif. Une publicité d’une clinique dentaire, parue dans le Clin d’oeil d’avril 2011 et qui promet une apparence « jeune et esthétique », propose une modèle adoptant le même genre de pose, les lèvres et les yeux maquillés de couleurs fluo. La jeune femme ne sourit pourtant pas, ses dents ne sont nullement mises en évidence; l’attention est plutôt dirigée vers ses lèvres orange, ses yeux enduits d’un vert voyant, ses cheveux volumineux, le regard langoureux qu’elle adresse à la caméra. L’ensemble est si appuyé, si exagéré dans l’idée de ce que doit être un visage féminin, que la photo de Nunuche, hormis l’absence de l’oreille droite de la modèle (la première de couverture annonce le dossier chirurgie « Exit les oreilles! »), ne paraît pas plus absurde. D’un côté comme de l’autre, les traits féminins versent dans l’excès : le maquillage, outrancier et concentré dans deux régions précises du visage, la peau parfaite et retouchée, les cheveux gonflés. Du coup, les photos de la presse féminine standard relèvent visiblement, elles aussi, de la caricature.

L’excentrique couverture du Clin d’oeil de juin 2011 porte également à réfléchir. L’afro démesurément gros arboré par la jeune femme représentée, campée en bikini au bord d’une plage, retient l’attention : ses seuls cheveux occupent près d’un tiers de la page. À une telle photo, Nunuchegurlz répond par une publicité hilarante, laquelle fait la promotion d’un produit capillaire (« Spray n’ Touffe », (figure 6) en trois fragrances : buisson, poméranien et sapin (NG : 13). Une modèle en bikini arbore elle aussi un afro exagéré. Les cheveux, s’ils prennent littéralement l’allure d’un buisson orné de fleurs, ont des dimensions inférieures à ceux de la modèle de Clin d’oeil. D’une image à l’autre, tout est semblable : le petit bikini, la peau huilée et le caractère grotesque de la « touffe ». La différence se voit surtout dans le texte (nom farfelu et saveurs ridicules du produit proposé). Et revoilà posée l’ambiguïté de la parodie : certes, une oreille volontairement amputée ou un afro en forme de buisson permettent de marquer une distance d’avec les photos originales, de créer le ridicule et de faire rire. Néanmoins, les images comparées se ressemblent énormément. L’entreprise Nunuche, tout en truquant quelques éléments, doit se conformer à un original lui-même excessif; elle est donc contrainte, elle aussi, à une certaine vacuité clinquante. En même temps, elle révèle à quel point l’original était déjà saugrenu, alors qu’il était donné à la fois pour « normal » et pour admirable, pour hautement séduisant. Autrement dit, la parodie textuelle de Nunuche met en lumière la tendance déjà parodique (au sens butlérien, social) de la presse féminine traditionnelle. On voit là à la fois la force et les limites de la parodie : elle démasque, elle dénonce, mais elle s’éloigne de son original à ses risques et périls.

Figure 6

NG, p. 13

NG, p. 13
Crédit : Élise Gravel

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Dans une entrevue accordée à La Presse, Élise Gravel affirme ceci : « Suffit de pousser un peu la “coche” pour que ça devienne absurde » (St-Jacques 2012). En effet, c’est lorsqu’on la compare à son imitation dans Nunuche que la presse féminine traditionnelle paraît en elle-même déformée. Un peu comme si la presse féminine tendait malgré elleet sans le savoir vers l’exagération, le ridicule et… la parodie. Les corps que l’on y présente paraissent travestis et les motifs, arbitraires et éculés. Alors que Nunuche cherche à faire rire d’un rire franc en jouant dans l’exagération, la presse féminine fait déjà rire jaune en raison de l’extravagance qu’elle impose. Ainsi, l’objet parodié semble lui-même parodique (surtout, précisons-le, lorsqu’on le revoit après avoir fréquenté Nunuche, qui en a montré les ficelles).

Une parodie sans original : qui se moque de quoi, au juste?

Cependant, si le contenu et la facture de Nunuche et de certains magazines traditionnels sont très similaires, comment savons-nous que l’un est une parodie et les autres, non? Et si Summum Girl, pour prendre cet exemple, paraît déjà parodique, quel serait l’original qu’il parodie? La théorie butlérienne, nous l’avons vu, éclaire toute lecture d’une parodie féministe qui porte précisément sur la féminité stéréotypée dans la mesure où elle met l’accent moins sur l’intentionnalité que sur l’exagération et sur le renvoi à un féminin à la fois donné pour évident et culturellement fabriqué. Suivant Butler, on pourrait dire que Nunuche est une parodie qui a un original (les magazines féminins), mais qui est également sans original (puisque le « féminin » n’existe pas vraiment); c’est donc une double parodie en plus de fonctionner au deuxième, voire au troisième degré. Quant aux magazines que Nunuche et Nunuche gurlz parodient, ils sont aussi, à un certain niveau de lecture à tout le moins, des parodies de ce féminin qui n’existe pas, puisqu’ils le reproduisent et le proposent au lectorat inlassablement, dans les moindres détails et sans craindre la répétition, afin de faire croire qu’il existe vraiment (et de vendre, bien sûr, les produits que son maintien exige). Ils constituent des parodies sans original, et en quelque sorte la preuve par l’absurde ‒ à force d’insistance et de redondances ‒ que le féminin sur lequel est basée leur existence même, ainsi que leur pouvoir de séduction[8], n’existe pas. Pour en revenir à l’idée de Lucie Joubert, Nunuche propose un pacte de lecture féministe qui, par ricochet, transforme le regard que nous portons sur la presse féminine « standard ». On pourrait ainsi dire, par boutade, que Summum Girl devrait lire Nunuche pour mieux se comprendre et, peut-être, s’amender. Ou encore admettre que la presse féminine dans son ensemble est… une immense parodie de Nunuche!

Nunuche et Nunuche gurlz, une ironie et un humour féministes novateurs

Dans un premier temps, nous avons montré que Nunuche et Nunuche gurlz parodient les magazines féminins traditionnels et leur obsession pour la beauté, la mode et la « chasse au mec ». Selon cette lecture, ils proposent une parodie féministe d’un original non parodique (la presse féminine). Nous avons ensuite donné un tour d’écrou à cette interprétation en proposant que la presse féminine était elle aussi une parodie en ce qu’elle fonctionne par hyperbole, répétition et imitation loufoque, à la manière du travesti vu par Butler. Son « original » serait, paradoxalement, une idée du féminin qui n’a pas d’existence réelle; elle serait ainsi une parodie (non pas textuelle mais en quelque sorte sociale ou idéologique) qui s’ignore, mais dont l’éclairage fourni par Nunuche et Nunuche gurlz démasque l’existence.

Toutefois, dernier tour d’écrou, c’est précisément la parodie volontaire et totalement assumée de Nunuche et de Nunuche gurlz qui nous a permis de mettre en lumière celle, involontaire ou dissimulée, de l’ensemble de la presse féminine. Autrement dit, une légère exagération supplémentaire ‒ et elle est parfois vraiment très légère, comme nous l’avons vu en comparant les contenus ‒ fait passer la mode de belle à ridicule, le stéréotype d’invisible à évident, la propagande de masquée à voyante. En somme, après avoir lu Nunuche et Nunuche gurlz, on ne peut plus lire de la même façon Elle Québec, Summum Girl ou Clin d’oeil : la parodie féministe a, dans ce cas, changé notre manière de voir le monde.

La faible marge de différence entre la « vraie fausse » presse féminine que représentent Nunuche et Nunuche gurlz et les « vrais » magazines peut être vue comme un signe de complicité : la distance entre eux serait non pas de nature, mais seulement de degré, et lire Nunuche ou Nunuche gurlz équivaudrait à manger des croustilles allégées (light) : se procurer le même plaisir tout en se donnant bonne conscience grâce au deuxième degré qui montre que l’on n’est pas dupe. Pour les féministes qui préconisent la présentation d’un message clair, l’ironie, qui mise sur l’ambiguïté et l’indécidabilité, suscite une certaine méfiance. Elle semble fondée sur la pirouette, voire le refus de s’engager. Dans cette optique, on pourrait dire que Nunuche et Nunuche gurlz prennent des airs féministes et progressistes tout en proposant, par exemple, en page couverture la photo d’une belle femme nue.

Cependant, le fait même que cette parodie, si légère soit-elle, suffit à faire basculer dans le ridicule toute une série de productions montre bien comment la presse féminine est, déjà, grotesque et absurde (alors qu’elles la jugent rétrograde et aliénante, les féministes ne formulent généralement pas ce type de critique, probablement, comme nous l’avons vu, parce qu’elles insistent davantage sur le contenu et les messages que sur les moyens formels). La fonction féministe de Nunuche et de Nunuche gurlz consisterait donc non seulement à rire de la presse féminine mais aussi à mettre en lumière le caractère factice de la féminité patriarcale. Par ailleurs, le traitement léger et les pages colorées peuvent contribuer à rendre le message féministe accessible et attirant pour les jeunes femmes qui en sont à leur premier contact avec le féminisme.

On pourrait également reprocher à la « vraie fausse » presse féminine de critiquer sans innover, de se moquer sans créer, de démolir sans proposer d’avenues nouvelles. Et il est vrai que, si on cherche un contenu nouveau et stimulant, inutile de se tourner vers Nunuche ou Nunuchegurlz. Cela dit, l’ironie ‒ ironiquement ‒, en recyclant le déjà-connu, voire les idées reçues et les clichés parfois indigents de la presse féminine, crée bel et bien du neuf. En rendant risible ce qui devait enchanter, en démontant les rouages des mécanismes de séduction, elle joue un rôle social et politique indispensable. Nunuche et Nunuche gurlz démasquent avec humour, dénoncent par l’absurde, rompent le charme. Rendre visible l’invisible, aiguiser la perspective critique, transformer le regard que les femmes portent sur le monde, n’est-ce pas faire oeuvre féministe utile, si ce n’est exemplaire? Si le ridicule ne tue pas, il affaiblit à coup sûr.