Comptes rendus

Rebecca Rodgers Les bourgeoises au pensionnat. L’éducation féminine au XIXe siècle. Collection « Histoire », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, 390 p.[Record]

  • Christine Piette

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  • Christine Piette
    Université Laval

Cet ouvrage, préfacé par Michelle Perrot, est une très bonne traduction d’un ouvrage d’abord paru aux États-Unis en 2005 sous un titre plus précis et plus conforme à son contenu, soit From the Salon to the Schoolroom : Educating Bourgeois Girls in Nineteenth-century France. Il a pour objectif de comprendre comment l’éducation a contribué à la formation de l’identité féminine chez les jeunes bourgeoises françaises au XIXe siècle. Selon Rebecca Rodgers, cette identité a été beaucoup trop schématiquement résumée à la maternité et à la vie domestique. L’auteure s’insurge donc contre cette vision réductrice qui « fait l’impasse sur la possibilité de mener une vie différente et d’exercer une autorité sociale et culturelle hors de la famille qu’offrent aux femmes l’enseignement et la vie religieuse » (p. 24); qui « masque la complexité croissante des classes moyennes résultant des changements économiques et urbains » (p. 24) et qui « n’offre pas même l’ombre d’une réponse à la question de savoir comment est apparue en France cette idée du lien de la femme avec la vie familiale » (p. 24). Le livre tente donc de combler ces vides en expliquant pourquoi l’idéologie domestique a pu triompher au sein de la bourgeoisie et en soulignant comment l’éducation a contribué à ce triomphe « tout en en sapant l’assise » (p. 24). Rodgers n’est pas la première à aborder le sujet de l’éducation des filles en France au XIXe siècle. Elle reconnaît ce qu’elle doit, en particulier, à l’historienne pionnière en la matière qu’a été Françoise Mayeur et précise en quoi, trois décennies plus tard, sa propre étude cherche à élargir le questionnement et les perspectives chronologiques et géographiques. L’ouvrage poursuit ainsi un programme ambitieux qui, à plusieurs égards, conteste les idées reçues. Il remet d’abord en cause l’interprétation qui a prévalu depuis la Troisième République à savoir que l’enseignement secondaire des filles commence, pour ainsi dire, avec les lycées et les collèges des années 1880. De nombreux établissements religieux, mais encore plus d’écoles laïques existaient depuis le début du siècle et surtout à partir des années 1830. Même si un certain nombre d’élèves, surtout celles qui venaient des milieux bourgeois les plus élevés, s’intéressaient surtout aux arts d’agrément (musique, danse et peinture), l’enseignement que l’on y prodiguait était loin de s’y limiter. L’ouvrage conteste aussi le fait que les femmes bourgeoises aient été confinées à l’espace privé. Même si la professionnalisation des femmes suit un cheminement difficile, Rodgers présente des milliers de femmes pédagogues qui agissent dans la sphère publique : elles écrivent sur l’enseignement à donner aux filles, réclament des écoles secondaires et des écoles normales et travaillent comme enseignantes ou comme directrices d’établissement. Rodgers évoque ainsi des facettes multiples de la vie quotidienne française qui empêchent de réduire la réalité à une image unique. L’étude nuance également la vision traditionnelle qui veut que les pensionnats n’aient été que des instruments de « soumission et de dressage » (p. 12). Elle démontre bien qu’ils ont aussi été « producteurs de savoirs, de désirs et de rêves », comme le souligne Perrot dans la préface (p. 12). L’auteure ne cache pas les problèmes liés à l’enseignement donné aux filles; elle prend néanmoins le contrepoids des idées reçues qui avancent qu’il n’a eu qu’un rôle négatif et explique avec beaucoup de nuances comment il a aussi contribué à l’émancipation des femmes. Son étude « démontre que l’enseignement est un des moyens importants permettant aux femmes de la bourgeoisie non seulement de s’adapter à l’apparition de la société urbaine contemporaine mais aussi d’influer sur elle » (p. 25). L’ouvrage de Rodgers …