Comptes rendus

Janine Ricouart et Roseanna Dufault (dir.) Visions poétiques de Marie-Claire Blais. Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2008, 323 p.[Record]

  • Chantal Théry

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  • Chantal Théry
    Université Laval

Cet ouvrage collectif est le second essai (après celui de Mary Jean Green en 1995) entièrement consacré à l’oeuvre de Marie-Claire Blais. Dans la préface, qui est la postface de la traduction anglaise de l’ouvrage Une saison dans la vie d’Emmanuel, Nicole Brossard souligne les aspects fructueux des relectures plurielles d’une oeuvre à travers les décennies. Le célèbre roman de Marie-Claire Blais (Prix Médicis, 1966), sorti du contexte sociopolitique et religieux québécois des années 60, acquiert une dimension plus ample et plus humaniste et laisse apparaître, derrière l’ironie caustique, beaucoup d’humour. Brossard y repère déjà « le jeu de voix intérieures […] qui se transformera en un éblouissant courant de conscience » (p. 10). Pour Blais, comme pour son personnage Jean-Le-Maigre, « [l’]écriture est en soi un manifeste » : elle transgresse l’ordre moral; mais c’est sa dimension poétique qui donne « la clarté nécessaire pour faire face à la noirceur impénétrable de la souffrance et de la violence » (p. 12). Dans son entretien avec Janine Ricouart, « Poète et politique », Marie-Claire Blais évoque en effet la résilience de Jean-Le-Maigre grâce à sa passion pour l’écriture et son amour de la poésie; la « sensibilité capable de tout absorber » des écrivains – « ce qui n’est pas sans douleur » (p. 31) – et le courage de travailler l’insupportable en le coulant dans une écriture poétique et esthétique. Marie-Claire Blais exprime sa gratitude à l’égard des grands écrivains et écrivaines qui nous influencent et nous inspirent (tels Woolf, Proust ou Camus) : « ils sont toujours avec nous », mais aussi à l’égard des ancêtres, des familles. Toute une énergie semble filtrer à travers les temps, les êtres, les oeuvres et les milieux. Blais insiste dans cet entretien : sur son souci constant de coller à la réalité de son temps, à l’actualité, aux préoccupations contemporaines; son refus des étiquettes (par exemple « auteure lesbienne »); son plaisir de travailler en équipe avec les scénaristes qui adaptent l’une ou l’autre de ses oeuvres pour la scène ou l’écran; son sens de la justice (à l’instar de Renata et de Mélanie dans ses derniers romans); son espoir dans « un monde où malgré tout l’on devient plus humain, où les lois défendent peu à peu les plus fragiles et ceux qui vivent à l’écart d’une société trop solidifiée sur des principes injustes » (p. 32); et enfin, sur sa foi (fervente mais profane) en l’écriture/la lecture, pour que cesse l’indifférence à la douleur d’autrui, pour « faire naître quelque sentiment généreux et courageux envers l’humanité » (p. 34). Quatorze articles constituent le coeur de cet ouvrage collectif. Les trois premiers sont consacrés à l’ouvrage Une saison dans la vie d’Emmanuel. Dans son article intitulé « Vision blaisienne de l’enfance : le salut par l’écriture », S. Pascale Vergereau-Dewey analyse avec force et brio cette « récupération parodique du roman de la terre », cette « caricature féroce de la survivance » (p. 37) et des institutions, qui mêle allégrement poésie et naturalisme, enchevêtre et subvertit les genres littéraires. Ce roman indique aussi comment sortir d’une glaciale et noire « saison en enfer ». Sa « posture existentialiste », sa profonde réflexion sur les valeurs et sa « foi dans le pouvoir du langage à changer la vie » (p. 43) se clôt par un « appel d’âme », un « dégel des coeurs », un relais passé au petit Emmanuel (p. 50). Kirsty Bell, dans ses « Portraits d’Héloïse dans l’édition illustrée d’Une saison dans la vie d’Emmanuel » par l’artiste Mary Meigs, décrypte avec sagacité …