Comptes rendus

Clara Paradis, Souvenirs de ma dernière année au Pensionnat St-Roch Québec 1894-1895. Journal personnel d’étudiante tenu dans un pensionnat de jeunes filles de la basse-ville de Québec à la fin du XIXe siècle. Québec, texte présenté, annoté et édité par Gilles Pageau, 2008, 372 p.[Record]

  • Micheline Dumont

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  • Micheline Dumont
    Université de Sherbrooke

Les journaux intimes tenus par des femmes au XIXe siècle sont rarissimes : on comprend la fascination de Gilles Pageau quand il a découvert, dans les archives familiales, le journal rédigé par sa grand-mère paternelle en 1894. La publication qu’il en a tirée se révèle un modèle d’édition savante, un document rempli d’informations fascinantes et un coup d’oeil privilégié sur une époque disparue. Le fait que ce « journal intime » a été rédigé dans une maison d’éducation du XIXe siècle au Québec ajoute à son intérêt, car de nombreuses couventines du XXe siècle se rappellent que les religieuses tenaient en suspicion le fait d’écrire son journal. Celles qui le faisaient se trouvaient une « bonne cachette » pour le dissimuler. En 1894, Clara Paradis, fille de cultivateur, fréquente le pensionnat Saint-Roch à Québec. Vraisemblablement à l’instigation d’une de ses institutrices, elle commence la rédaction d’un journal quotidien qui témoignera de sa dernière année au pensionnat. Quelques-unes de ses compagnes effectuent la même démarche. Car, ce n’est pas un journal clandestin. Les pages sont soigneusement calligraphiées (la couventine a sans doute rédigé un brouillon), illustrées de dessins, de poèmes, de partitions musicales, d’enluminures. À la fin de l’année scolaire, elle raconte même les démarches qu’elle entreprend, avec ses compagnes, pour donner à ce manuscrit une reliure de luxe en cuir, négociée chez un artisan du quartier. Bref, on est devant un document mis en scène de manière presque solennelle, dans une entreprise à la fois mémorielle et spirituelle. Car, si ce journal raconte la vie quotidienne, il est axé avant tout sur les « événements » spirituels : étapes de l’année liturgique, retraites, exercices spirituels, lectures pieuses, etc. Clara s’adresse parfois à son journal comme à son « petit ami » : elle lui fait de timides confidences, lui parle à mots couverts de ses difficultés, de ses projets d’avenir. Ce faisant, elle nous fait pénétrer de plain-pied dans un pensionnat du XIXe siècle et nous permet de découvrir le règlement, l’atmosphère, les études, les promenades, les loisirs. Son univers intérieur est étroit, contrôlé. Cette jeune femme a complètement intériorisé les prescriptions qui dirigent le destin des femmes. Gille Pageau a accompli un travail d’édition remarquable. D’abord, il propose une introduction de 25 pages qui fournit l’information indispensable à la compréhension de ce document. Par cette entrée en matière, il situe adroitement son travail dans le contexte des meilleurs études sur le journal personnel tout comme les renseignements essentiels sur le pensionnat fréquenté, le programme d’études, la congrégation religieuse, le climat de culture religieuse intense qui caractérise cette époque de l’histoire québécoise. Ces données sont d’ailleurs accompagnées de documents d’époque qui sont reproduits dans dix appendices à la fin du volume. L’éditeur nous fait cette confidence : ayant éduqué ses propres enfants « loin du crucifix et du confessionnal, sous prétexte d’une laïcité à priori de bon aloi », il s’est trouvé à les priver de « certaines informations essentielles leur permettant de définir leur identité en toute connaissance de cause » (p. 7). C’est un peu pour compenser cette lacune qu’il a tenu à faire connaître ce document aux membres de sa famille. Le journal lui-même représente un document de 161 pages. Gilles Pageau a inséré, dans les 235 notes qui parsèment le texte du journal de sa grand-mère, les explications essentielles pour décoder les événements liturgiques, religieux et culturels qui scandent la vie de la couventine. Ces notes éclairantes et de longueur variée constituent une véritable initiation à la vie quotidienne intensément religieuse qui caractérisait la vie dans un pensionnat durant plus d’un siècle. …