Comptes rendus

Colette Parent, Chris Bruckert, Patrice Corriveau, Maria Nengeh Mensah et Louise Toupin, Mais oui c’est un travail. Penser le travail du sexe au-delà de la victimisation. Québec, Presses de l’Université du Québec, 2010, 142 p.[Record]

  • Chantal Maillé

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  • Chantal Maillé
    Université Concordia

La question du travail du sexe divise plus que jamais la communauté féministe. D’un côté, les abolitionnistes mettent l’accent sur le caractère victimisant de la « prostitution » et sur ses nouvelles manifestations, comme la traite des femmes, et demandent l’abolition de cette activité. De l’autre côté, les protravail du sexe revendiquent la reconnaissance de cette activité comme travail. Pour éviter que la voix des travailleuses du sexe et la défense de leurs droits et intérêts ne soient encore occultées des débats à venir, les auteures et l’auteur de cet ouvrage ont senti l’urgence de rassembler des analyses faisant contrepoids au discours abolitionniste. Dans Mais oui c’est un travail. Penser le travail du sexe au-delà de la victimisation, ces personnes se donnent le mandat de bien camper la position implicite du titre de l’ouvrage, soit une approche du travail du sexe qui le voit comme un travail légitime. Les cinq chapitres abordent les fondements du débat actuel concernant la « prostitution » comme travail, les différentes réponses des régimes juridiques, la variété des pratiques et des expertises mises en oeuvre par les femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe, l’action collective et les regroupements qui luttent pour une reconnaissance du travail du sexe ainsi que l’analyse critique des discours sur le trafic et la traite des femmes. Bien qu’il s’agisse d’un ouvrage écrit par des universitaires, on y trouve une excellente revue des écrits qui présentent les points de vue des travailleuses du sexe. L’ouvrage vient combler une lacune dans le paysage québécois et soumet à l’attention du lectorat les études importantes de même que celles qui ont des lacunes méthodologiques trop sérieuses pour que l’on en retienne les conclusions. Dans le premier chapitre, Colette Parent et Chris Bruckert présentent le débat actuel sur le travail du sexe. Après avoir brièvement introduit l’héritage sur lequel s’appuie le débat, elles résument les idées principales des deux positions dominantes en les soumettant à l’épreuve des recherches empiriques et à la voix des travailleuses du sexe. Nombre d’abolitionnistes s’appuient fortement sur des statistiques pour valider leurs arguments, mais sans en faire toutefois un usage critique pourtant essentiel à toute démarche scientifique (p. 14). Les auteures constatent que les abolitionnistes ont peu recours à la parole des travailleuses du sexe pour comprendre le phénomène. Parent et Bruckert appréhendent le travail du sexe comme une forme de travail, ce qui, constatent-elles, ouvre des voies de recherche en faisant ressortir la complexité des enjeux et en mettant les voix des travailleuses du sexe au centre de l’analyse (p. 24). Dans le deuxième chapitre, Patrice Corriveau présente les différents modèles juridiques de contrôle de la prostitution et leurs limites. Préconisant la décriminalisation du travail du sexe, Corriveau décortique les arguments avancés par ceux et celles qui souhaitent une approche répressive, laquelle se réalise en grande partie aux dépens de la santé et des droits des travailleuses du sexe. C’est parce que le législateur canadien rend de facto illégale la pratique du travail du sexe qu’il nuit à la sécurité et à la santé des travailleuses du sexe, les obligeant à s’isoler toujours davantage pour ne pas être importunées par les forces de l’ordre (p. 33). Les trois comités gouvernementaux canadiens qui se sont penchés sur les lois encadrant la prostitution au Canada, soit le comité Fraser en 1985, le groupe de travail fédéral-provincial-territorial en 1998 et le sous-comité de la Chambre des communes en 2006, ont tous souligné l’inadéquation du cadre juridique canadien. Pour Corriveau, des consensus existent déjà, soit la nécessité de mieux protéger les travailleuses du sexe, l’échec des lois en vigueur pour contrer …