Comptes rendus

Mélissa Blais, Francis Dupuis-Déri, Lyne Kurtzman et Dominique Payette (dir.), Retour sur un attentat antiféministe. École polytechnique 6 décembre 1989. Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2010, 173 p.[Record]

  • Hélène Charron

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  • Hélène Charron
    Université Laval

Cet ouvrage collectif rassemble quelques-unes des communications présentées au colloque La tuerie de l’École polytechnique 20 ans plus tard : les violences masculines contre les femmes et les féministes tenu à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) du 4 au 6 décembre 2009. Organisé par l’Institut de recherches d’études féministes et les services aux collectivités de l’UQAM, ce colloque a rassemblé environ 400 personnes des milieux universitaire, militant, associatif, gouvernemental et artistique. Il s’inscrivait en outre dans la campagne Se souvenir pour agir, la plus importante commémoration du massacre de l’École polytechnique lors duquel quatorze jeunes étudiantes en génie ont été abattues par un terroriste antiféministe qui a séparé les garçons des filles avant d’ouvrir le feu sur ces dernières. Voilà d’ailleurs une des principales thèses défendues par plusieurs textes de cet ouvrage : cet événement constituerait un attentat terroriste antiféministe plutôt qu’un acte de violence envers les femmes comme les autres. Avec raison, les directrices de l’ouvrage souligne que le sens accordé à « l’attentat du 6 décembre 1989 est un véritable objet de lutte politique depuis 20 ans » (p. 12). Après les thèses de la folie individuelle et le déni du caractère antiféministe de l’acte – pourtant revendiqué comme tel par son auteur – qui ont proliféré au cours des jours, des mois et des premières années suivant la tragédie, la mobilisation du mouvement féministe a permis que s’impose peu à peu la définition de cette commémoration comme une journée de sensibilisation à propos des violences faites aux femmes et que soit reconnu par les médias de masse le caractère misogyne – à défaut d’antiféministe – de cette tuerie. Dès le départ, les féministes ne s’entendent pas sur l’interprétation à donner à l’événement : est-ce un acte qui se situe dans le continuum de toutes les violences faites aux femmes ou un événement singulier – certes antiféministe et politique – mais ayant peu en commun avec les autres formes de violences misogynes? Les féministes radicales ont majoritairement défendu, depuis 1989, la première hypothèse. Aujourd’hui, la thèse de l’attentat terroriste antiféministe – si elle met en évidence les cibles avouées du tueur – peut nous ramener très près de la position féministe plus timorée trouvant dangereux, pour la légitimité du mouvement féministe lui-même, de faire un lien entre le tueur et les autres hommes violents. Or, si nous refusons la psychologisation du cas, et l’émotivité générée par l’affirmation que les hommes violents sont tous des meurtriers potentiels, et que nous l’abordons dans une perspective sociologique, il apparaît que les normes de genre et les régulations institutionnelles qui expliquent les deux phénomènes sont très proches les unes des autres. Bien que l’auteur des meurtres du 6 décembre 1989 ait signifié son intention d’abattre des féministes, il ne s’en est finalement pas pris à des militantes, mais plutôt à des jeunes femmes qui ne se définissaient pas comme féministes tout en étudiant dans un domaine traditionnellement occupé par les hommes. S’il s’agissait d’un attentat terroriste, il visait ainsi à la fois les féministes et l’ensemble des femmes qui ne se soumettaient pas à la vision de l’ordre social inégalitaire et hiérarchisé privilégié par le meurtrier. Yannick Dulong et Richard Poulin font d’ailleurs le lien entre les meurtres de masse, les structures sociales inégalitaires et la contestation de celles-ci : « Par l’intimidation, le harcèlement et la peur, la violence masculine fait partie des mécanismes de soumission des femmes » (p. 99). Ce qui est heuristique dans cette idée d’attentat terroriste antiféministe est l’élément de propagande et de peur généré par le terrorisme, au-delà de la violence physique exercée, et …

Appendices