Comptes rendus

François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau, Du balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité, Paris, Raisons d’agir, 2011, 128 p.[Record]

  • Catherine Charron

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  • Catherine Charron
    Université Laval

Xavier-François Devetter et Sandrine Rousseau proposent un essai fort stimulant et socialement engagé, sur un thème à la fois banal et fascinant : le ménage. Après avoir signé plusieurs articles scientifiques et contribué à divers ouvrages sur les « services à domicile », les deux économistes de l’Université de Lille ont vraisemblablement voulu prolonger leur propos dans une forme plus libre. Très critiques à l’égard du discours ambiant sur ce « gisement d’emplois », ils entreprennent une véritable « économie politique » du ménage dans cet opuscule de 128 pages. Au carrefour des rapports de genre, de classe et de race, les emplois domestiques se logent au coeur des inégalités sociales et les exacerbent, ce dont Devetter et Rousseau font la démonstration tout au long des six chapitres du livre. Le problème du (non-) partage des tâches domestiques au sein des couples constitue le point de départ de leur exposé : une question qui ne semble plus très en vogue chez les universitaires, après avoir mobilisé les chercheuses féministes au cours des années 70 et 80. Et pourtant, s’il est un terrain où l’égalité des femmes a peu progressé durant les dernières décennies, c’est bien celui du partage des tâches. La norme du partage inégal, bien qu’elle suscite des frustrations chez les femmes, est peu contestée et se voit renforcée par l’embauche d’une « employée de maison ». Si « le fait d’avoir une femme de ménage » permet d’éviter la confrontation au sein des couples aisés, cela permet aussi et surtout aux hommes de « ne plus rien faire du tout » (p. 25-26). Aujourd’hui comme hier, l’entretien du domicile demeure une affaire « de femmes », qui se règle « entre femmes ». Après avoir brossé un tableau sommaire de l’évolution du secteur de l’emploi domestique au XXe siècle dans le premier chapitre, Devetter et Rousseau se concentrent dans le deuxième chapitre sur la description et l’analyse détaillée des politiques en matière de « services à la personne » mises en avant en France pendant les dernières décennies. Considéré comme un « gisement d’emplois », le secteur domestique a été ciblé par les gouvernements qui ont investi des sommes colossales pour stimuler la demande et structurer l’offre. Ces dispositifs ont convergé dans un plan de développement (le plan Borloo) qui, à partir de 2005, en a coordonné l’ensemble. D’un côté, les mesures devaient permettre de démocratiser l’accès à l’aide à domicile, pour les personnes fragilisées ou âgées, et de faciliter l’embauche d’une employée pour les ménages actifs. Comme le montrent bien Devetter et Rousseau, une part disproportionnée des milliards d’euros investis (principalement en exonération fiscale de toutes sortes) a profité aux populations les plus aisées. D’un autre côté, la structuration du secteur, dont l’un des objectifs importants était de combattre le travail au noir, a donné naissance à de nombreux intermédiaires sans pour autant mener à une véritable professionnalisation des travailleuses. Une fois passée au crible de l’analyse économique rigoureuse, l’image véhiculée par les discours publics vantant la réussite du plan au regard de la création d’emplois paraissent bien loin de la réalité : en 2007, le coût brut réel de chacun de ces emplois a dépassé 50 000 euros par année (p. 52). De quoi s’indigner lorsqu’on considère les conditions de travail et de salaire de la main-d’oeuvre domestique. C’est d’ailleurs une discussion autour de la qualité des emplois familiaux que Devetter et Rousseau nous proposent au troisième chapitre. La critique qu’ils formulent à cet égard est aussi sévère que celle qui concerne les prétendus succès du modèle de développement des services de proximité. Ils rappellent …