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Dans cet ouvrage, Mercader examine certains problèmes issus de la rencontre entre la psychologie et le féminisme. Toutefois, comme elle le précise, ce texte est peut-être et surtout une exploration des difficultés liées aux instances lorsque « la psychologie prend appui sur la métapsychologie psychanalytique » (p. 10). Dans l’introduction, Mercader explique comment celles et ceux qui font de la psychologie sociale doivent intégrer le « postulat que tout phénomène humain est déterminé de l’extérieur par les conditions sociales et de l’intérieur par les mouvements inconscients » (p. 11). Elle procède ensuite à l’application de ce postulat à la « disjonction » entre sexe et genre et à certains aspects de la « relation amoureuse hétérosexuelle ». Dans le contexte de la discussion du premier exemple, elle examine la transsexualité, et ce, à travers la théorie de John Money, l’hypothèse de la différence entre genres en tant que construction sociale et la théorie fondée sur la diversité sexuelle (queer) pour procéder, par la suite, à l’examen de ce phénomène d’une perspective psychanalytique. Dans le contexte du second exemple sur les relations amoureuses (?) hétérosexuelles, elle examine comment les cas d’abus sont qualifiés de comportements sordides ou de drames passionnels et sordides par la presse, par les recherches anglo-saxonnes, par la jurisprudence et, de façon générale, par la psychologie… française. L’introduction est une des parties les plus intéressantes du livre, car elle démontre bien comment les psychologues féministes françaises traitent, de façon presque constante, l’influence importante qu’a toujours la psychanalyse dans les explications de diverses problématiques sociales. De plus, l’auteure circonscrit bien son sujet et tente d’examiner de façon claire la relation entre le sexe, le genre et la psychologie. L’introduction se termine par un paragraphe qui résume les trois parties du livre. La première explore des recherches sur l’influence du genre et de la domination masculine sur les cognitions dans les contextes individuels (Hurtig) et de groupe (Morin). La deuxième examine de façon critique certains aspects de la psychanalyse, version freudienne (Houel) et version Lacaniste (Pons). Enfin, la troisième partie est une présentation de la contribution de la psychanalyse « à la pensée de la différence sexuée et des rapports entre hommes et femmes » (p. 32).

Pour les lectrices et les lecteurs nord-américains, la première partie revêt un intérêt particulier en raison de la recension des études en matière de psychologie sociale portant sur le genre, études souvent absentes de leur littérature. À cet égard, le chapitre d’Hurtig, bien structuré, est très pertinent; elle y aborde différents résultats de recherches, explique certaines de ses propres études ainsi que les designs utilisés qui sont peu connus dans le contexte nord-américain. Hurtig présente nombre de constats qu’elle illustre par des exemples de recherches démontrant la base sur laquelle elle s’appuie pour justifier ses réflexions. Toujours dans cette partie, Morin, à son tour, commente des études moins connues en Amérique du Nord. Elle traite de la question du lien entre le sexe (elle aurait pu aussi employer le terme « genre ») et le pouvoir dans les contextes de groupes et des questions liées à l’appartenance et à l’exclusion du groupe, par exemple celle de l’identité. Cette partie est particulièrement bien réussie.

La deuxième partie illustre à quel point les féministes psychologues françaises intègrent la pensée psychanalytique à leurs réflexions. Pour ceux et celles qui ne sont pas familiarisés avec la culture française, cette constatation peut surprendre. Au Québec, l’influence de la pensée psychanalytique en psychologie est aussi très présente : toutefois, l’influence du mouvement cognitif-behavioral et du féminisme américain s’est intégrée de façon beaucoup plus importante dans la pensée psychologique et dans la conscience collective. Au Canada français (en dehors du Québec), l’influence de la pensée psychanalytique est encore moins présente. Quoiqu’elles soient différentes dans leurs approches respectives, Houel et Pons démontrent, dans cette partie, une pensée tant critique qu’engagée. L’aspect historique du chapitre de Houel et son interprétation de la relation entre Sigmund Freud, père, et Anna Freud, fille, est fort intéressant; il surprend et divertit à la fois. Partant des textes de Freud et de Lacan, Pons examine certaines bribes théoriques qu’elle considère comme importantes pour comprendre leur cadre de référence au sujet des femmes. Ce chapitre est un bel exemple de l’habileté de Pons à analyser la façon dont Freud et surtout Lacan traitent la jouissance ou l’absence de jouissance des femmes. Cette deuxième partie constitue le trait d’union à la troisième et dernière partie du livre.

Dans la troisième partie, on souscrit à la pensé psychanalytique pour examiner, expliquer et comprendre la question du genre, de l’inconscient et de la relation entre hommes et femmes. Cette partie surprend par sa critique envers le féminisme, surtout dans sa version américaine (Duroux), et par son adhésion à peu près complète à la pensée psychanalytique. Foyentin et Duroux sont les deux auteures figurant dans cette partie. La première explique comment la dimension individuelle de la psychanalyse passe presque à coté de la dimension sociale des relations entre les sexes, et ce, en raison du mode de pratique de l’analyse et de son accent mis sur l’inconscient. Elle discute du concept de la sexualité vue par Freud comme dénaturée et perverse, du genre et de ses formulations lacaniennes, pour aborder brièvement le sujet de l’orientation sexuelle, du transsexuel masculin, etc. Foyentin termine son propos par une discussion où perce une certaine nostalgie de l’encadrement que le système patriarcal offrait aux relations hommes-femmes (p. 109) dans le contexte du capitalisme. Duroux, pour sa part, adopte une position très critique envers le « féminisme contemporain » (p. 114) et la psychologie sociale (p. 124) et elle s’en prend à quelques reprises à J. Butler et à d’autres auteures américaines. Elle souligne que le recours au vocabulaire américain, telle l’utilisation des catégories « sexe » et « genre », influence, en l’appauvrissant, la réflexion française. À la page 120, elle suggère que « [l]es féministes sont une minorité : bourgeoises, intellectuelles, dépravées, hystériques ou encore comme on disait aux temps héroïques « mal baisées » ». Des questions se posent : Duroux parle-t-elle de façon ironique ou doit-on la prendre au mot? Je laisse cette décision à d’autres lecteurs et lectrices. À tout le moins, je rappelle à ceux et celles qui ne sont pas des adeptes de la pensée psychanalytique qu’ils peuvent toujours s’abstenir de lire cette dernière partie.

Pour un public nord-américain, la lecture de cet ouvrage permet sans contredit de constater à quel point l’influence de la psychanalyse est encore présente en Europe chez les féministes en général et les féministes psychologues en particulier. On peut toutefois se demander quelle réception le public français lui réservera.