Comptes rendus

Thérèse St-Gelais (dir.), Loin des yeux près du corps. Entre théorie et création, Montréal, Galerie de l’UQAM/ Les éditions du remue-ménage, 2012, 182 p.[Record]

  • Julie Bruneau

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  • Julie Bruneau
    Université du Québec à Montréal

Thérèse St-Gelais, qui enseigne l’histoire de l’art et les études féministes à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), réunit dans cette publication deux événements qu’elle a coordonnés et qui sont à la jonction de ses préoccupations : avec l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), en 2010, le colloque « Femmes : théories et création » et à la Galerie de l’UQAM pendant l’hiver 2012, l’exposition Loin des yeux près du corps. Cet ouvrage intellectuel métisse tant les disciplines que les pratiques. Nous le voyons comme un espace de rencontres et de transmission de savoir-faire. Ici, les auteures et les artistes – toutes des femmes – se réunissent afin de mettre en commun leurs réflexions sur les changements qu’opère, dans le milieu de l’art, l’engagement féministe. Quelles sont donc les innovations? Et les écueils? Ce qui nous a semblé le plus rassembleur sont les théories contemporaines sur le genre : c’est en effet à partir de ces postulats que les auteures tentent d’articuler la relation entre théorie et création, posture épistémologique en arts que nous avons rarement croisée dans la littérature scientifique francophone. Ainsi, nous avons déterminé que l’axe théorique qui traverse ce livre s’inscrit dans les études sur le genre qui, comme l’exprime Isabelle Boisclair, sont « des notions fondamentales au coeur de la pensée féministe d’aujourd’hui » (p. 127). Plus précisément, nous croyons que les auteures adoptent pour la plupart une posture féministe postmoderne, qui propose des configurations franchement innovatrices entre théorie et création en mettant l’accent sur la notion d’identité. Comme nous le soulignerons, ces articulations permettent de « créer des nouvelles formes de pouvoir/savoir, se manifestant, entre autres, par […] [l’]écriture » (p. 64). Pour comprendre ce rapprochement entre genre et identité, nous nous baserons d’abord sur le texte de Boisclair, qui expose les concepts clés de la théorie queer, que nous préciserons grâce à Baril (2007). Ainsi, Judith Butler, théoricienne à l’origine de ce courant de pensée, s’inspire des thèses foucaldiennes et deleuzienne. Elle défend que les Savoirs, développés par les institutions, détiennent des Pouvoirs, qui sont politiques, puisqu’ils agissent par le discours comme les dispositifs de contrôle de la pensée dominante (p. 125). Elle s’attaquera précisément à l’hétérosexisme, qui réaffirme constamment par le langage la différenciation des genres (id.) (Baril : 69). Butler remet en question les Vérités de la connaissance (scientifiques et sociologiques) sur le genre et voit ces énoncés comme des actions permettant de classer et de marginaliser les individus, et ce, insidieusement, jusqu’à influencer leurs propres perceptions (p. 124). De la même façon, l’invocation du principe de l’objectivité devient une stratégie de légitimation des dispositifs du savoir/pouvoir (id.). C’est en croisant les théories postmodernes sur l’identité que Butler affirmera que le genre n’est pas une donnée fixe et immuable qui détermine en amont l’individu, puisqu’il est constamment re-situé dans le contexte et les codes culturels. Genre et sexe se conceptualisent non plus comme des catégories socialement construites et imposées – par exemple, la femme –, mais ce sont désormais des ensembles de critères normatifs qui en créent les modèles – le féminin (Baril 2007 : 64). Le pouvoir passe alors entre les mains du sujet, qui a la capacité d’agir, de se conformer ou d’en refuser les critères. De la même façon, l’expérience et le vécu individuel deviennent des savoirs qui invalident les prétentions universelles des métarécits historiques où, comme le présente Anne-Marie St-Jean Aubre, « l’identité n’aurait de réalité pour le sujet qu’à travers sa mise en forme par le langage » (p. 75). St-Jean Aubre tente de circonscrire le processus identitaire du féminin, …

Appendices