Présentation

Actualité de l’intersectionnalité dans la recherche féministe au Québec et dans la francophonie canadienne[Record]

  • Dominique Bourque and
  • Chantal Maillé

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L’influence historique, au Québec et au Canada, des cultures autochtones (Sioui 1999; Saul 2008) sur les cultures colonisatrices européennes a créé un espace favorable à la multiplicité des points de vue. Si l’on admet que la coexistence interactive d’une diversité de perspectives sur le monde encourage la liberté de penser de chaque personne et tempère les effets de mode, c’est là un héritage inestimable dont on n’a pas saisi à ce jour toute la valeur et la portée, encore moins les conséquences qu’il y aurait à le perdre. Notre choix d’intituler le présent numéro, « Intersectionnalités », au pluriel s’inscrit dans une démarche d’attention à la variété des appréhensions actuelles du terme « intersectionnalité » dans l’espace francophone, variété dont témoignent les textes qui le constituent. En se référant à cette notion comme à un savoir situé, à une approche méthodologique, à une forme d’organisation, à une pratique militante ou à un outil analytique, leurs auteures et auteurs illustrent, en outre, la souplesse polysémique associée à l’usage du terme dans les études contemporaines à l’échelle de la planète. Comme dans ces études, leur traitement de l’intersectionnalité n’est ni unanime ni limité à un champ disciplinaire. Si certaines personnes l’adoptent dans leurs écrits pour son attention accordée à l’ensemble des oppressions identitaires et à leur imbrication, d’autres relèvent son silence sur les mécanismes matériels de « différenciation » des groupes sociaux ou font la démonstration de son incapacité à les circonscrire. Un tel spectre d’utilisations du concept a de quoi surprendre si l’on considère qu’il y a peu, rares étaient les recherches féministes francophones au Québec qui non seulement le plaçaient au coeur de leurs analyses, mais y faisaient référence. Or si l’on en juge notamment par la publication du dossier « Intersectionnalités : regards théoriques et usages en recherche et intervention féministes », paru sous la direction d’Elizabeth Harper et Lyne Kurtzman dans la revue Nouvelles Pratiques sociales en 2014, et de l’étude L’intersectionnalité en débat : pour un renouvellement des pratiques féministes au Québec, publiée en 2015 par Geneviève Pagé et Rosa Pires, en partenariat avec la Fédération des femmes du Québec, ainsi que par le présent dossier de la revue Recherches féministes, un vent d’« intersectionnalisation » souffle sur les études féministes québécoises à l’heure actuelle. Dans ce contexte, en résonnance avec celui qui règne dans la francophonie féministe, l’analyse de l’imbrication des oppressions est souvent perçue comme récente, alors que les oeuvres majeures des féministes noires l’ayant élaborée paraissent depuis 35 ans. Dans Women, Race and Class, publié en 1981, Angela Davis montre bien que le racisme et le classisme sévissaient au sein du mouvement des femmes américain depuis le xixe siècle, ainsi que l’importance de luttes solidaires. Elle le fait : « [en explorant] les liens idéologiques qui existent, entre le pouvoir esclavagiste, le système des classes et la suprématie masculine, et [en posant] la nécessité d’articuler les trois niveaux de contradiction de race, de classe et de sexe, dans les luttes de libération aujourd’hui » (Davis 1983 : quatrième de couverture). Comment alors comprendre la perception de l’intersectionnalité comme un nouveau concept? Serait-ce une conséquence du statut dominant, voire hégémonique, des analyses prenant appui sur le seul genre, et même sur sa seule face idéelle, dans nombre de recherches et de textes féministes publiés en français de nos jours? Force est de constater que cette approche centrée sur le genre est notablement plus médiatisée que les autres et que sa critique occupe une place très ténue dans plusieurs ouvrages de féministes pourtant clairement engagées dans la réflexion théorique. Or si chaque …

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