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Au tournant du xxie siècle, nous avons assisté au Québec à l’éclosion d’un militantisme inspiré des idées et des pratiques de l’anarchisme qui, dans la décennie qui a suivi, a donné naissance à une multitude de groupes et de réseaux antiautoritaires. Ce phénomène, commun à plusieurs pays du Nord et du Sud mondialisés, provient de soulèvements s’inscrivant contre le développement du capitalisme sous sa forme la plus récente, le néolibéralisme, et portés à la connaissance du public nord-américain lors des manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce à Seattle. Depuis, les groupes et les réseaux antiautoritaires au Québec ont participé à la plupart des manifestations contre la mondialisation, tant locales, régionales et nationales qu’internationales, notamment le Sommet des Amériques à Québec en 2001, la manifestation contre le G8 (tenue à Kananaskis) à Ottawa en 2002, le Sommet du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité à Montebello en 2007, les Jeux olympiques de Vancouver en 2010, le G20 à Toronto la même année et les manifestations contre le Fonds monétaire international à Washington en 2000.

Ces manifestations ont suscité une importante attention, malgré tout mitigée, de la part des médias de masse à l’échelle internationale. Pourtant, les activités auxquelles participent quotidiennement les mêmes groupes et réseaux dans leurs communautés, loin des projecteurs, sont moins bien connues. Qui plus est, le travail des féministes et des (pro)féministes[3] à l’intérieur de ceux-ci obtient encore moins de visibilité, que ce soit au sein des groupes féministes et de la mouvance queer radicale ou des organisations antiracistes et anticolonialistes.

Nancy Whittier (1997 : 762) soutient que les mouvements sociaux peuvent être appréhendés à travers des regroupements sommaires qu’elle nomme « microcohortes » : « Les microcohortes sont des groupes de personnes qui se joignent à un mouvement social à moins d’un an ou deux d’intervalle et qui sont marquées par des expériences transformatrices précises provoquées par des changements d’orientations politiques subtils » (traduction libre). Dans le présent article, nous soutenons qu’il existe actuellement au Québec trois importantes microcohortes de militants et de militantes antiautoritaires engagées dans l’autoorganisation locale et qui se sont radicalisées suivant différents contextes politiques : 1) les féministes radicales; 2) les queersradicals[4], y compris les queers issus des « people of colour collectives »; et 3) les féministes et les (pro)féministes à l’oeuvre au sein des groupes et des réseaux antiracistes et anticolonialistes. Whittier (1997 : 762) soutient également que « bien que les différentes microcohortes […] diffèrent les unes des autres, leurs perspectives se recoupent grâce aux similitudes fondamentales liées à leur allégeance aux mêmes mouvements sociaux » (traduction libre), soit dans le cas actuel par leurs expériences vécues au sein du milieu antiautoritaire. De plus, ces microcohortes ont eu un rôle à jouer dans le développement de l’analyse, de la stratégie et des modes organisationnels adoptés dans une variété d’espaces, soit à la fois à l’intérieur de leurs propres groupes et réseaux au sein du mouvement antiautoritaire, dans les autres espaces organisationnels qui composent le mouvement antiautoritaire et à l’extérieur de ce mouvement antiautoritaire dont nous nous réclamons également.

La démarche méthodologique : recherche-action participative antiautoritaire

Aux fins de notre recherche, nous avons adopté le terme « antiautoritaires » pour désigner les individus ou les groupes d’individus qui refusent toute autorité jugée illégitime, qui emploient des tactiques d’action directe et qui instaurent des formes organisationnelles caractérisées par la spontanéité, l’autonomie, la démocratie directe et la décentralisation du pouvoir (voir notamment Rosanvallon (1976) et Pucciarelli (1999)). Notre emploi de la tournure « illes/nous » dans le présent texte annonce deux prises de position à ce sujet. Le « nous » signifie que les auteures offrent leur contribution en tant que participantes au mouvement antiautoritaire et, au sein même de ce dernier, en tant que membres d’un collectif de recherche féministe – le Collectif de recherche sur l’autonomie collective (CRAC) – qui récolte des informations sur ce mouvement et en fait l’analyse. Quant au pronom « illes », issu d’une combinaison des pronoms « ils » et « elles » reflétant la volonté du CRAC d’avoir recours à un pronom « dégenré » pour désigner les militants et les militantes dont il est question dans cet article, il signifie que nous, en tant qu’auteures, ne sommes pas nécessairement représentatives de chacun des groupes, des collectifs ou des réseaux dont font partie les personnes qui ont participé à notre étude.

Depuis 2005, suivant une démarche méthodologique de recherche-action participative antiautoritaire et préfigurative (Breton et autres 2009; Breton et autres 2011; Sarrasin et autres 2012), le CRAC a interviewé 125 membres de neuf groupes et réseaux, chacune de ces personnes ayant contribué à la production d’une monographie sur ces groupes et réseaux, que ce soit en participant à sa rédaction, à sa vérification, à sa mise en pages ou encore à son lancement. Afin d’examiner des initiatives trop souvent exclues des champs de recherche universitaire sur les mouvements sociaux, nous avons choisi ces groupes et ces réseaux selon les préoccupations et les désirs des membres du CRAC[5].

Notre collectif de recherche s’affiche en effet de manière explicitement antiautoritaire, tendant ainsi vers un modèle de société et de recherche conforme à notre vision d’un avenir anarchiste « utopique ». De plus, étant donné notre perspective féministe, nous avons tenu à prêter attention particulièrement aux dynamiques de pouvoir genrées, racialisées et « hétéronormativisées » au sein du mouvement, notamment en ce qui concerne leur processus de déconstruction et de transformation. Nous avons donc décidé de limiter notre recherche aux militants et aux militantes antiautoritaires s’auto-identifiant et s’organisant en tant que féministes radicales, (pro)féministes, queersradicals, antiracistes ou anticolonialistes : à noter que les personnes ayant participé à notre recherche s’identifient à l’un ou à plusieurs de ces termes. Dans le présent texte, nous emploierons le terme « (pro)féministes » pour faire référence à l’ensemble de ces identités.

Nous avons puisé dans de nombreuses sources de données pour cet article, la principale étant l’ensemble des données issues d’entrevues individuelles et collectives recueillies pour les monographies portant sur les trois microcohortes suivantes :

  1. le réseau des féministes radicales (n = 15) et l’émission de radio féministe Ainsi-Squattent-Elles! (n = 7) enregistrée à Québec;

  2. les groupes de queers radicals Les Panthères roses (n = 6), Qteam (n = 6) et le Ste-Emilie Skillshare (n = 7);

  3. le réseau de féministes et de (pro)féministes engagé dans l’organisation d’activités antiracistes et anticolonialistes (n = 20).

Nous avons aussi eu recours aux données d’entrevue recueillies pour d’autres monographies, y compris celles de membres du collectif écoradical Liberterre, de deux jardins collectifs autogérés et de la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC), car les (pro)féministes prennent part à ces initiatives également.

L’ensemble des données recueillies auprès de chacun de ces groupes et réseaux a ensuite été l’objet d’une analyse transversale et d’une interprétation collective lors de séances de discussion entre les membres du CRAC, de groupes de discussion avec des membres des groupes et des réseaux étudiés, ainsi que d’échanges avec une pluralité de militants et de militantes antiautoritaires. Ces derniers échanges comprennent notamment l’exercice de réflexion réalisé en février 2011 avec 60 militants et militantes antiautoritaires réunis pour une fin de semaine d’ateliers dont l’objectif était de vérifier et d’approfondir les résultats préliminaires de notre analyse transversale (CRAC 2011a, 2011b et 2011c). Le présent article s’inscrit donc dans une démarche de recherche en vue de l’élaboration de savoirs pertinents sur le mouvement antiautoritaire produits par, pour et avec les personnes directement engagées dans celui-ci (voir notamment Breton et autres (2007), Lambert-Pilotte, Drapeau et Kruzynski (2007) ainsi que Kruzynski et Sarrasin (2010).

L’autodétermination et l’autoorganisation préfiguratives

Le mouvement antiautoritaire auquel nous appartenons et dont nous désirons rendre compte est inspiré à plusieurs égards des idées et des pratiques anarchistes. Bien que certains groupes et réseaux au sein de ce mouvement n’hésitent pas à annoncer leur allégeance à l’anarchisme, bon nombre ne l’affirment pas explicitement dans leurs discours publics[6]. Malgré cette résistance à la catégorisation et quoique les sujets de prédilection des divers groupes et réseaux au sein du mouvement antiautoritaire puissent différer – ces derniers allant de l’environnement à la solidarité autochtone, en passant par les enjeux féministes et la brutalité policière, pour n’en mentionner que quelques-uns –, illes épousent/nous épousons un ensemble de valeurs et de pratiques fondées sur une éthique antiautoritaire partagée (CRAC 2011a) et guidées par une boussole éthique anarchiste (Milstein 2010 : 47-50).

De façon générale, le point de départ de la position antiautoritaire est le refus de toute forme de pouvoir illégitime et de toute forme d’oppression et de domination, considérées comme interreliées et se renforçant mutuellement : le capitalisme, l’impérialisme, le colonialisme, le patriarcat, l’hétéronormativité et parfois l’anthropocentrisme et le capacitisme. Bien qu’une majorité de personnes ayant participé à notre recherche aient indiqué qu’illes ne possèdent pas de vision précise du type de société souhaitable en remplacement de la société actuelle, illes croient/nous croyons de manière générale que l’humanité porte un potentiel de développement permettant de combler les besoins de tous les individus qui la composent. Ainsi, l’éthique antiautoritaire mise en pratique par les acteurs et les actrices du mouvement est caractérisée par des valeurs teintant l’analyse, les pratiques et les espoirs de ces individus : la liberté, la solidarité, l’autonomie collective, la justice sociale, le respect, la spontanéité et l’entraide, parmi bien d’autres.

Concrètement, cela veut dire favoriser les formes organisationnelles et les modes d’action conformes à une éthique antiautoritaire fondée sur les principes fondamentaux de l’autodétermination et de l’autoorganisation. Comme la plupart des antiautoritaires défendent l’idée que l’État est une entité autoritaire dont l’objectif est de maintenir et de reproduire des relations de domination, ces personnes cherchent donc à l’abolir. Illes organisent/nous organisons des convergences ou des coalitions ponctuelles qui s’engagent dans des manifestations pour perturber le fonctionnement habituel d’institutions et de normes hégémoniques, ou y participent/participons, que ce soit le capitalisme, l’État, le consumérisme gai, le patriarcat, le racisme, le corps policier, le système d’immigration, la sécurité nationale, les frontières ou les prisons. Il s’agit probablement là du visage le plus connu du mouvement, mais pour la plupart des antiautoritaires, ce n’est là qu’une petite partie de ce qu’illes font/nous faisons. La tactique de confrontation parfois utilisée est accompagnée d’une stratégie d’action à long terme ayant pour objet la construction préfigurative d’un monde meilleur, ici et maintenant.

Quoiqu’il n’existe aucune plateforme politique explicite réunissant l’ensemble des acteurs et des actrices du mouvement ni un seul programme à suivre, la majorité des personnes participant à notre recherche n’envisage pas la révolution comme un processus linéaire se terminant par un grand moment de rupture avec l’ordre actuel. Le changement est plutôt perçu comme résultant d’un processus continu et ouvert (CRAC 2011c) en vue de la création, de l’expansion et de la multiplication de ce que John Holloway (2010 : 21) appelle des « brèches » dans le système de domination : « Une brèche est la création parfaitement ordinaire d’un espace ou d’un moment où nous affirmons une manière différente de faire » (traduction libre) ou de « faire autrement » (Holloway 2010 : 29; traduction libre). Selon Holloway (2010 : 70), ces brèches sont créées chaque fois qu’une personne refuse la logique de l’aliénation et de la stratification en s’engageant à « faire autrement » et en refusant quotidiennement de se soumettre aux impératifs de reproduction du capitalisme.

Cela correspond à la préférence généralisée des antiautoritaires pour ce que Richard Day appelle la « politique de l’agir », à savoir l’idée qu’une personne passe à l’action à partir de ce qui l’interpelle, plutôt que selon une « politique de la demande », cette dernière impliquant le recours à des intermédiaires (les services sociaux, le gouvernement, les autorités, l’industrie de la culture, etc.) afin de satisfaire aux besoins et aux désirs des gens (Day 2005 : 15; traduction libre). Les antiautoritaires soutiennent que c’est par l’entremise des activités quotidiennes des individus qu’advient le véritable changement social, et ce, dans deux circonstances différentes : lorsque les individus ont voix au chapitre quant aux décisions qui touchent leur vie (autodétermination) et lorsqu’illes sont/nous sommes les principaux responsables de la mise en application de ces décisions (autoorganisation). Ainsi, la perspective selon laquelle une meilleure société résulte de gestes accomplis par les gens dans la réalité ici et maintenant, souvent désignée par la notion de « préfiguration », est très répandue dans le mouvement antiautoritaire (voir notamment Gordon (2008) et Milstein (2010)).

Les groupes et les réseaux antiautoritaires ont donc mis au point des formes organisationnelles basées sur ces valeurs et qui permettent d’expérimenter différentes façons de « faire » et d’« être ». Suivant l’idée que les décisions doivent être prises par les personnes directement touchées par une situation, les antiautoritaires forment de petits « groupes d’affinité » (voir, par exemple, Dolgoff 1974) composés de 5 à 20 personnes réunies sur une base affinitaire, que celle-ci soit fondée sur une proximité géographique, sur des liens d’amitié, sur un intérêt politique particulier, sur une affiliation idéologique ou encore sur une ou des identités communes. Les groupes d’affinité ont tendance à s’organiser localement autour d’un enjeu particulier, et les mêmes groupes peuvent aussi former des coalitions afin d’organiser des campagnes d’action ou des convergences à l’occasion de grands rassemblements. Cette structure d’action décentralisée et flexible s’appuie néanmoins sur des pratiques organisationnelles communes : la prise de décision par consensus; le partage des tâches, des compétences et des ressources; l’organisation horizontale sans tête dirigeante; l’entraide affective; l’absence de liste d’abonnement et de cotisations officielles; l’appartenance par l’action; etc. Le tout est facilité par plusieurs mécanismes dont l’objectif est de reconstruire les relations sociales dans un objectif d’égalité, à la fois au sein des groupes d’affinité et au moment de la participation aux campagnes et aux convergences de plus grande envergure.

Les pratiques préfiguratives sont poussées encore plus loin par les antiautoritaires qui font un effort conscient pour créer des initiatives contre-institutionnelles afin de briser la logique des systèmes de domination. Selon cette approche, un plus grand nombre de brèches dans le système capitaliste se traduit par de meilleures chances de transformer le système de l’intérieur (Holloway 2010 : 84). Ces initiatives, que celles-ci prennent la forme de fermes biologiques autogérées, de médias indépendants, de librairies ou de bibliothèques alternatives, d’écoles libres, de garderies, de salles de spectacle, d’espaces plus sécuritaires ou de magasins de vélo, sont des ressources dont le mouvement peut bénéficier et qui forment les assises d’une société antiautoritaire en devenir. Pour plusieurs antiautoritaires qui investissent temps et énergie dans ces utopies à petite échelle, l’espoir du changement social fondamental réside dans la capacité de démontrer, par leurs propres actions, que l’autodétermination et l’autoorganisation sont des objectifs souhaitables mais également réalistes. L’articulation de ces objectifs, au coeur du mouvement antiautoritaire actuel, subit l’influence de plusieurs manières du travail des (pro)féministes qui s’engagent dans divers groupes et réseaux du mouvement antiautoritaire, et ce, depuis les 15 dernières années.

L’analyse des résultats : trois microcohortes (pro)féministes

La microcohorte n° 1 : groupes, espaces, actions et rassemblements de féministes radicales

Au Québec, les féministes radicales privilégient une organisation dans des espaces non mixtes réservés exclusivement aux femmes (Leblanc 2013). De 2000 à 2005, environ, il y a eu une prolifération de collectifs et de groupes d’affinité fondés sur l’allégeance féministe radicale au Québec : Les Sorcières, Némésis, Les Amères Noëlles, les Insoumises, les Amazones, Rebelles sans frontières, Les femmes ont faim, Cyprine, les Féministes radicales de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) (FRUes), les Fallopes, Groupe FEMMES Sororitaires, les Lilithantes, La Riposte et Ainsi Squattent-Elles! (CRAC 2008a). Depuis 2003, ces divers groupes organisent des rassemblements féministes radicaux ponctuels pour créer des espaces de réseautage et d’entraide qui consolident leurs efforts d’organisation. Dans cette perspective, le féminisme radical est définit comme suit :

Le mouvement féministe radical est multiple et prend différentes formes. À la base, les féministes radicales agissent au quotidien pour éliminer toutes les formes du patriarcat et de domination sans se contenter de changements législatifs ou sociaux qui ne remettent pas en question les fondements de l’oppression patriarcale, capitaliste, impérialiste, de toutes formes d’autorité et de hiérarchie. De plus, les féministes radicales mettent de l’avant le droit des femmes de s’organiser sur des bases autonomes et non mixtes.

Rencontres des féministes radicales s. d.

Les féministes radicales forment des blocs ou des contingents « mauves[7] » à l’occasion de manifestations contre les institutions et les dispositifs du capitalisme sous le slogan : « Nous refusons d’être soumises, pendant que les mâles capitalisent! » (Coalition féministe radicale contre le G20 s. d.). Elles organisent des manifestations, des blocages, du théâtre de rue, des occupations et d’autres actions directes contre les diverses représentations du patriarcat. Par exemple, en mars 2000, le collectif Les Sorcières a « décoré » une église catholique en y accrochant des cintres en métal, des tampons, des condoms et des croix ignées afin de « dénoncer l’appropriation du corps des femmes et de leurs fonctions reproductrices par les institutions patriarcales telles que les religions » (Les Sorcières 2003 : 16). Elles sont surtout connues pour leur lutte contre la violence faite aux femmes, pour leurs activités prochoix contre les militants et les militantes provie qui tentent de criminaliser l’avortement et pour leurs interventions contre les groupes masculinistes. Elles organisent des ateliers et publient des textes d’opinion sur ces thématiques et sur divers enjeux liés aux femmes, comme les industries gynécologique et pharmaceutique, le travail du sexe, la division sexuelle du travail et la socialisation des enfants.

La microcohorte n° 2 : groupes et actions de queers radicals

À peu près au même moment où l’on assistait à l’explosion du nombre de groupes féministes radicaux, des queers radicals luttant également contre le patriarcat ont décidé de former leurs propres groupes afin d’augmenter la visibilité des personnes et des enjeux lesbiens, gais, bisexuels et transgenres (LGBT). En entrevue, ces personnes ont affirmé qu’illes voulaient « queeriser » le milieu anticapitaliste et anarchiste, lequel peut avoir tendance à être hétéronormatif, et simultanément radicaliser le mouvement populaire de la « fierté gaie » en y introduisant une analyse du capitalisme, du racisme et du capacitisme. Parmi les premiers de ces groupes d’affinité à émerger au Québec, figurent Les Panthères roses et les Anti-Capitalist Ass Pirates. Dans les deux cas, le regroupement reposait sur des valeurs partagées comprenant une prise de position contre toute forme de catégorisation, notamment les binarités homme/femme et homosexuel/hétérosexuel. Sur son site Web, le collectif Les Panthères roses explique sa compréhension de l’importance de l’intersectionnalité[8] dans le militantisme radical :

Et c’est en remontant aux racines de l’homophobie et de l’hétérosexisme qu’on réalise par ailleurs leur interdépendance avec d’autres problèmes, le sexisme et le racisme par exemple […] Une stratégie radicale contre l’hétérosexisme doit donc viser l’abolition du capitalisme sauvage, du patriarcat et d’autres systèmes d’aliénation pour créer des espaces permettant l’autodétermination, de meilleures relations interculturelles, davantage d’art non commercial et, en bref, la meilleure part de nous-mêmes.

Les Panthères roses s. d.; traduction libre

Les queers radicals organisent des « blocs roses[9] » à l’occasion de nombreuses manifestations anticapitalistes et forment des contingents anticapitalistes lors des principaux événements LGBT comme le défilé de la fierté gaie pendant Divers/Cité à Montréal, ou encore participent au contre-festival Pervers/Cité. En employant des tactiques directes et provocantes, le collectif Les Panthères roses soulève une variété d’enjeux : l’exploitation du capitalisme rose en vomissant sur les marches des boutiques dans le village gai de Montréal, le jour de la Saint-Valentin (opération Pepto-Bismol); l’institution du mariage gai en montant un divorce pendant le premier Salon du mariage gai et lesbien; la violence et la discrimination au sein de la communauté gaie par l’entremise d’une mise à mort symbolique (die-in[10]) dans les rues du village gai pendant la Fierté gaie; et les positions de plus en plus homophobes du gouvernement fédéral en accueillant Stephen Harper dans la Sodomobile, voiture sur laquelle une effigie du premier ministre se faisait sodomiser par une panthère rose en papier mâché (CRAC 2010). Ce collectif met aussi à contribution ses forces créatives en faisant la promotion de ses propres soirées queers radicales et des visionnements de films, lesquels événements créent des « espaces plus sécuritaires » pour les personnes qui ne se sentent pas à l’aise dans les événements et les lieux LGBT conventionnels en raison de l’« homonormativité[11] » de la scène gaie, dominée par les hommes blancs et « cisgenres[12] ».

Au milieu des années 2000, critiques de la prédominance des personnes blanches dans certains groupes féministes et queers radicaux et de celle des hommes blancs hétérosexuels dans certains groupes anarchistes, les personnes queers de couleur (non blanches) ainsi que leurs alliées et alliés ont créé un espace appelé « Ste-Emilie Skillshare », soit un atelier de sérigraphie et d’artisanat autonome à Saint-Henri, à Montréal :

Le Ste-Emilie Skillshare est un groupe d’artistes et de militants, majoritairement des personnes queers et de couleur, engagées dans la promotion de l’expression artistique et de l’autoreprésentation dans nos communautés. Le collectif Skillshare dirige un studio d’art où les personnes peuvent apprendre de nouvelles techniques, partager leurs habiletés et créer de l’art en faisant appel à l’esprit de la révolution et de l’anti-oppression (anti-racisme/sexisme/classisme/homophobie/transphobie/capacitisme/discrimination fondée sur le poids, etc.) Notre espace est ouvert à toutes et à tous. Vive le partage des habiletés!

Ste-Emilie Skillshare s. d.; traduction libre

Un autre groupe, du nom de Qteam, s’est formé à la suite de la disparition des Anti-Capitalist Ass Pirates. Sur son site Web, on peut y lire ceci :

Qteam est un collectif queer radical montréalais voué à l’anti-impérialisme, à l’antiracisme, aux « short shorts », dont l’objectif est de rendre les espaces militants plus queers et les espaces queers plus politiques, de lutter pour la fin des politiques à but unique, d’organiser la tenue de soirées dansantes queers et perverses qui font fureur, de détruire toutes les prisons, d’ouvrir toutes les frontières, de brûler les dollar$ roses et de ne jamais lâcher.

Qteam s. d.; traduction libre

Engagés à mener des luttes sur le terrain[13], ces deux groupes ont développé des analyses et des pratiques antioppression ou intersectionnelles fondées sur la conviction que tous les systèmes d’oppression sont interreliés, ce qui ressort des deux présentations précédentes. Cette perspective contribue à leur participation proactive au sein de groupes luttant contre le racisme, le colonialisme et l’impérialisme, ainsi que leur intérêt envers une grande variété d’enjeux, notamment la brutalité et l’impunité policières, le profilage racial par les corps policiers, la détention et la déportation des personnes immigrantes, l’impérialisme économique et la présence des forces armées canadiennes à l’étranger, l’autodétermination autochtone, la justice pour les personnes migrantes qui travaillent ou ne travaillent pas et les personnes et les familles illégalisées, l’apartheid israélien et les droits palestiniens ainsi que les droits des personnes LGBT incarcérées.

La microcohorte n° 3 : féministes et (pro)féministes dans les groupes antiracistes et anticoloniaux

Certains des groupes queers radicaux les plus récents s’attaquent plus explicitement au racisme et à l’impérialisme (Eslami et Maynard 2013). À partir d’une conception de la mondialisation capitaliste en tant que forme de colonisation, plusieurs (pro)féministes se regroupent dans deux groupes de justice défendant activement les personnes (im)migrantes : No one is illegal Montreal et Solidarité sans frontières. Ces deux groupes organisent des actions directes comme la marche « Un statut pour toutes et tous » de Montréal à Ottawa (2005), soutiennent des initiatives d’éducation populaire, comme la Caravane pour la justice migrante, en distribuant de l’information dans divers quartiers, et participent à des actions directes plus particularisées, y compris l’aménagement de sanctuaires afin d’éviter la déportation de personnes réfugiées. Un autre groupe antiautoritaire et antiraciste appelé Tadamon! cible l’impérialisme canadien à l’étranger, surtout au Liban et en Israël, en organisant des manifestations, du piquetage et des événements artistiques. Un autre groupe, le Réseau de la commission populaire, travaille à contrer le discours raciste entourant la « sécurité nationale » en organisant des « audiences publiques » pour mettre en lumière l’impact de la « guerre contre le terrorisme » sur les populations ciblées et en menant des campagnes de sensibilisation du public sur les droits relatifs à l’État et à ses tentatives de profilage racial. De plus, ce groupe travaille auprès de personnes directement touchées par le Programme de sécurité nationale du Canada pour faire annuler leur certificat de sécurité, les sortir de prison et faire rayer leurs noms des listes d’interdiction de vol. Ces groupes, parmi d’autres, luttent également contre la violence policière et le profilage racial auxquels font face les personnes immigrantes et de couleur en organisant des « surveillances des flics » (cop watches), des campagnes de solidarité avec les personnes ayant perdu des proches aux mains de la police et des événements comme le Forum contre la violence policière et l’impunité (2010).

Les (pro)féministes aujourd’hui

Il n’existe actuellement que quelques groupes organisés à Montréal s’identifiant explicitement comme féministes radicaux, dont le collectif Les Sorcières, formé de longue date. Toutefois, les féministes radicales sont toujours actives au Québec. Elles continuent, et nous continuons, à se rassembler, notamment à l’occasion de l’événement annuel Ya Basta!, d’organiser des contingents féministes pour répondre à l’appel d’autres groupes antiautoritaires organisant des manifestations et de créer des coalitions d’organisation ponctuelles lorsqu’un besoin est mis en évidence. De plus, beaucoup de féministes radicales au Québec sont engagées dans le mouvement RebELLEs, coalition de jeunes féministes (de 14 à 35 ans) en pleine croissance. D’abord mis sur pied par la Fédération des femmes du Québec (FFQ), cette coalition est aujourd’hui plus autonome dans son organisation. Par ailleurs, de nouveaux groupes queers radicaux émergent également, dont PolitiQ, qui se penche sur les enjeux associés aux identités transgenres et sur d’autres préoccupations liées à la santé des personnes transgenres.

En plus des groupes et des réseaux explicitement féministes, queersradicals ou antiracistes et anticolonialistes susmentionnés – nos trois microcohortes –, la majorité des groupes antiautoritaires ont en leur sein des personnes adoptant des perspectives féministes, bien que les enjeux autour desquels ces groupes s’organisent, comme l’environnement, le logement social ou la pauvreté, puissent ne pas être explicitement féministes. Enfin, plusieurs anarchaféministes ou féministes antiautoritaires ne s’engagent pas nécessairement dans des groupes exclusivement réservés aux femmes, ce qui a toujours été le cas au sein du mouvement anarchiste.

La révolution par pollinisation croisée : analyse transversale

Comme nous l’avons vu, les (pro)féministes s’investissent dans des groupes d’affinité basés sur l’identité autour d’enjeux directement liés à leurs réalités, mais ces personnes sont également engagées dans d’autres types de groupes antiautoritaires fondés sur d’autres formes d’affinité. Bien que, en tant qu’individus ou groupe, leurs analyses et leurs pratiques soient influentes à plusieurs niveaux, la nature souple et informelle de leur organisation ne permet pas de situer avec précision leur influence à l’intérieur des frontières d’un groupe ou d’un réseau particulier. Nous précisons d’ailleurs que nous ne suggérons pas que seuls les groupes et les individus (pro)féministes ont une incidence sur le mouvement antiautoritaire. Cela dit, les données émergentes de nos recherches révèlent une pollinisation croisée entre groupes dans le développement de leurs analyses et de leurs actions.

Nous proposons une métaphore pour illustrer cet argument. Imaginons une abeille (pro)féministe récoltant des idées et des pratiques (pollen) dans une variété d’espaces (fleurs). Ensuite, cette abeille transporte ces idées et ces pratiques d’une partie du mouvement antiautoritaire (champ) à une autre, ou même vers un autre mouvement (champ) grâce à ses interactions quotidiennes auprès d’autres individus et de groupes militants, de ses camarades non activistes, de ses proches et des gens de son voisinage. Alors que les abeilles se déplacent d’un secteur ou d’un champ à un autre, elles font la récolte en collant sur leurs pattes arrière un mélange de différents types de pollen et en déposant le pollen récolté plus tôt. Par ce moyen, différentes fleurs (espaces des mouvements) sont pollinisées par une diversité d’idées et de pratiques qui, si les conditions sont propices, favoriseront la reproduction et, éventuellement, la création de plus de pollen. Il s’agit là du processus de pollinisation croisée. Nous aimerions maintenant explorer la manière dont les abeilles (pro)féministes ont contribué à l’approfondissement d’idées et de pratiques antiautoritaires dans divers espaces qui sont toutefois interreliés : à l’intérieur d’illes-mêmes/nous-mêmes et de leurs/nos groupes et espaces d’affinité, au sein du mouvement antiautoritaire dans son ensemble et, enfin, dans le champ plus large des mouvements communautaires et sociaux.

À l’intérieur d’illes-mêmes/nous-mêmes et de leurs/nos groupes d’affinité

Pour bon nombre de (pro)féministes, le processus de pollinisation croisée commence avec illes-mêmes/nous-mêmes et dans leur/notre environnement immédiat, c’est-à-dire avec les personnes avec qui illes partagent/nous partageons des affinités et qui sont régulièrement fréquentées. Un élément de ce type d’organisation de proximité implique l’autodétermination et l’autoorganisation, des processus remplis de périodes d’affairement et de plaisir, entremêlés de périodes de lutte, de difficulté et même de tension. Chez plusieurs personnes qui ont pris part à notre recherche, l’émergence éventuelle de différences à l’intérieur de tout groupe d’êtres humains est reconnue, ce qui veut dire que le potentiel de stratification et de hiérarchisation de ces différences représente un défi persistant. Cette tension s’exprime de deux manières connexes. Premièrement, il faut reconnaître le fait que les gens ont différentes manières de penser, d’être et de faire, et que ces différences peuvent engendrer des malentendus ou des conflits qui doivent être reconnus afin de faciliter l’autodétermination et l’autoorganisation collectives. Deuxièmement, la perspective antioppression soutient que, dans notre société, différentes personnes jouissent de divers niveaux de privilège, ce qui augmente ou diminue leur pouvoir exercé sur les autres. Selon le Nathalie and Tasha’s Fantastical Anti-Oppression Workshop, ce type de pouvoir, le « pouvoir sur », consiste en ceci :

La mobilisation d’un privilège généré par une relation de pouvoir dans l’intention de le maintenir ou dont le résultat perpétue sa distribution générale (l’intention peut être explicite ou non, mais les bonnes intentions ne sont pas pertinentes), doit nous responsabiliser à la reconnaissance de nos propres privilèges afin de nous assurer que nous n’opprimons pas les autres.

s. d.; traduction libre

Le point de départ d’une perspective antioppression est donc la compréhension de notre propre participation aux différents rôles que nous exerçons dans le contexte de nos relations. Ces rôles découlent des privilèges, souvent invisibles, accordés de facto à toute personne appartenant à un groupe dominant en raison d’une caractéristique particulière (son genre, la couleur de sa peau, son âge, son lieu de naissance ou d’habitation, etc.). En reconnaissant ces positions de pouvoir, la perspective antioppression nous permet de reconnaître les privilèges dont nous pouvons bénéficier et la façon dont ceux-ci se renforcent mutuellement (c’est-à-dire la manière dont nos différents rôles s’additionnent et se superposent et, par le fait même, nous confèrent encore plus de pouvoir). Cela implique de reconnaître et de nommer les mécanismes de pouvoir en jeu aux points de jonction entre divers systèmes d’oppression pour mieux les combattre (CRAC 2011b).

Étant donné cette analyse des mécanismes du privilège (et non seulement de l’oppression), nous avons constaté que plusieurs (pro)féministes ont élaboré des critiques de l’idée qu’il est possible ou même désirable de créer des espaces libres de toute structure ou de toute hiérarchie. Ces critiques soulignent, suivant Jo Freeman, qu’un mouvement qui se dit sans structure tombe facilement dans la tyrannie, car des hiérarchies informelles s’y développent et les personnes qui travaillent le plus ou parlent le plus souvent en réunion gagnent fréquemment un certain « pouvoir sur » au sein d’un groupe, même lorsqu’il n’existe aucune direction officielle. Afin de contrer cela, certains groupes et réseaux utilisent régulièrement des mécanismes ou des outils permettant aux individus de réfléchir sur leur position sociale et sur les comportements qui pourraient faciliter ou entraver le développement de relations sociales égalitaires. Parmi ces mécanismes, on trouve notamment :

  1. une activité des lignes de pouvoir où les personnes se déplacent vers l’avant ou l’arrière selon une liste d’axes de pouvoir pour qu’elles puissent constater leur pouvoir et leurs privilèges relativement aux autres;

  2. des ateliers antiracistes pour établir une meilleure compréhension de la suprématie blanche et du privilège blanc;

  3. des ateliers « transgenre 101 » pour approfondir la compréhension des identités et des luttes queers et transgenres;

  4. des ateliers sur le langage de la domination visant le développement d’aptitudes de communication plus respectueuses et inclusives;

  5. des périodes de réflexion au début et à la fin des réunions pour nommer et respecter les états et les processus affectifs des autres;

  6. la désignation d’une personne dont la responsabilité est de reconnaître les tensions et de jouer un rôle de médiation, le cas échéant;

  7. des stratégies de listes de tour de parole pour s’assurer que chaque personne qui veut parler a l’occasion de le faire;

  8. le partage des tâches pour promouvoir le partage des compétences et réduire la spécialisation qui peut mener au « pouvoir sur ».

Bien que ces mécanismes permettent de nommer les comportements à problèmes, ils ne sont néanmoins pas suffisants pour changer ceux-ci. Par exemple, il se peut qu’un groupe constate, par l’entremise de ces mécanismes, qu’une personne exerce beaucoup plus d’influence grâce à sa position de privilège relatif. Il est possible qu’elle ait acquis plus de compétences parce qu’elle effectue beaucoup de tâches, que son emploi à temps partiel bien rémunéré lui permette de s’investir plus que les autres dans la lutte ou qu’elle n’ait pas d’enfants ou d’autres responsabilités exigeantes. En ce qui concerne le privilège et l’oppression, peut-être qu’elle est plus confiante ou qu’elle se sent plus autorisée à parler en vertu de son privilège (blanche ou hétérosexuelle) ou parce qu’elle vient de la classe moyenne et est moins préoccupée par sa survie financière que d’autres membres du groupe, ou encore parce qu’elle a un plus haut niveau de scolarité, qui intimide les autres et qui, par inadvertance, les empêche de la confronter, et ainsi de suite. Pour toutes ces raisons et bien d’autres, comme le fait d’être couramment bilingue ou plurilingue, une personne peut assumer des tâches plus visibles comme parler en public ou publier des textes, animer des réunions ou des ateliers, rédiger les communiqués de presse ou travailler auprès du public. Il s’agit de situations qui ont tendance à s’autoperpétuer, car plus une personne assume des tâches hautement visibles, plus elle gagne en confiance et plus les autres s’attendent qu’elle continue d’exécuter ces tâches. Le privilège relatif, comme nous pouvons le voir, est un problème complexe, récurrent et qui influe sur les dynamiques des groupes antiautoritaires.

Certains groupes se sont attaqués à ce problème en prévoyant des périodes et des espaces pour le partage des compétences ou des connaissances pour que tout le monde puisse pleinement participer à la fois à l’autodétermination et à l’autoorganisation du groupe, ainsi que de sa vie personnelle. Une telle approche est basée sur l’idée qu’il n’est pas nécessaire que les compétences soient transmises par des experts ou des expertes ou encore par l’intermédiaire d’une éducation formelle. Le partage des compétences peut prendre la forme d’un atelier offert au groupe par une personne militante ayant des compétences particulières ou bien d’un partenariat entre une personne plus expérimentée et une autre moins expérimentée pour accomplir une tâche spécifique. Afin de faciliter ce processus, des (pro)féministes de Montréal ont établi des espaces de partage des compétences permanents, dont le Ste-Emilie Skillshare mentionné plus haut, ainsi que des espaces virtuels comme les sites Web Drupal. Les (pro)féministes tirent également parti du travail d’organismes comme QPIRG Concordia et le Centre de lutte contre l’oppression des genres, deux espaces explicitement antioppression offrant l’accès à une variété d’outils et de matériaux d’organisation ainsi qu’au partage des compétences.

À la suite de la mise en évidence des hiérarchies officieuses qui découlent des relations de pouvoir entre les individus, par l’intermédiaire des ateliers antioppression ou des mécanismes employés dans les réunions, les processus tels que le partage des compétences fournissent des occasions de microredistribution du pouvoir. Bien sûr, le partage des compétences n’est qu’un mécanisme parmi d’autres qui permettent de rendre compte des différences de pouvoir fondées sur l’éducation et les niveaux de compétences. Il existe par ailleurs d’autres mécanismes ayant connu divers degrés de succès, l’objectif étant toujours de tendre à développer des relations sociales plus égalitaires au sein des groupes d’affinité, et ce, en temps réel. Cet objectif demeure un défi continuel à relever au sein des groupes, notamment en ce qui concerne les relations de pouvoir fondées sur les marqueurs d’identité tels que l’appartenance ethnique, l’âge, les capacités physiques et mentales ainsi que les classes sociales. Néanmoins, le processus de pollinisation croisée d’idées et de pratiques porté par les (pro)féministes contribue à fournir des outils pour elles-mêmes/nous-mêmes et leurs/nos groupes d’affinité les plus proches afin de faire face à ces dynamiques de pouvoir reproduites entre les individus.

Au sein du milieu antiautoritaire

Expérimenter les relations sociales égalitaires en temps réel s’avère un défi encore plus important au sein du milieu antiautoritaire dans son ensemble, car il existe un grand nombre de fleurs nécessitant la pollinisation croisée d’idées et de pratiques telles que celles dont nous avons discuté plus haut! Les (pro)féministes introduisent souvent ces idées et ces pratiques dans le travail d’organisation en participant à des groupes, à des réseaux, à des activités ou à des convergences qui, quoiqu’ils soient antiautoritaires, ne se penchent pas nécessairement sur ces idées de façon assidue et sont parfois peu réceptifs, voire hostiles à celles-ci. Plus précisément, les (pro)féministes cherchent à apporter une analyse féministe, queer, antiraciste et anticolonialiste au sein du mouvement antiautoritaire en soulignant les intersections du capitalisme, de la classe, de la pauvreté, de l’État et de la mondialisation (ces derniers étant des enjeux sur lesquels plusieurs antiautoritaires travaillent déjà) avec le patriarcat, la race, le sexe, les capacités et les relations de pouvoir basées sur le genre (des enjeux que certaines personnes peuvent considérer comme secondaires par rapport à la lutte contre le capital et l’État).

En ce qui concerne les processus d’organisation, il arrive qu’une personne sensible à la perspective antioppression constate des dynamiques de pouvoir inégalitaires à l’occasion d’une grande réunion et décide de nommer les tensions sous-jacentes à cette situation (par exemple, présenter une critique du langage capacitiste, comme « je me sens paralysée » ou « c’est fou » ou encore nommer la tendance d’une personne hétérosexuelle/blanche/mâle/cisgenre à monopoliser l’espace de discussion). Ces personnes sont souvent celles qui proposent la mise en place de mécanismes pouvant faciliter l’expérience de meilleures relations sociales égalitaires, comme nous l’avons indiqué plus haut. Le risque associé à cette tâche est le suivant : le geste de la personne proposant ces critiques ou ces suggestions – qui, souvent, éprouve déjà de la difficulté à se faire entendre au sein du groupe – peut être perçu comme dérangeant ou encore les préoccupations de celle-ci peuvent ne pas être reconnues par l’ensemble du groupe et notamment par la ou les personnes ayant un certain pouvoir, peu enclines à examiner leur propre position de privilège. Il s’agit là d’un autre défi à relever au sein du mouvement antiautoritaire.

Outre la contestation des dynamiques de pouvoir du milieu antiautoritaire, les (pro)féministes poursuivent une longue tradition – particulièrement forte au Québec – d’organisation féministe et communautaire. Cette tradition comprend l’élaboration d’une pratique fondée sur l’idée que les personnes directement touchées par une situation doivent être en première ligne d’une lutte. À divers degrés, les (pro)féministes portent cette perspective au sein de la nébuleuse antiautoritaire, ainsi que dans les relations entretenues avec d’autres groupes et mouvements.

Après plusieurs tentatives infructueuses de travail collaboratif auprès d’hommes cisgenres (pro)féministes sur des enjeux liés aux corps des femmes, certaines féministes radicales, par exemple, se sont concentrées sur la définition du rôle d’allié ou de sympathisant que peuvent assumer les hommes. Cela dit, ce sont surtout les (pro)féministes s’engageant explicitement à appuyer les personnes en première ligne de luttes contre le racisme, l’impérialisme et le colonialisme, notamment les femmes de couleur, qui ont davantage élaboré et mis en pratique cette notion. En ce sens, être une personne alliée ou sympathisante signifie choisir d’utiliser sa position de pouvoir et de privilège (ou ne pas en abuser) afin d’appuyer les luttes des personnes directement touchées par un problème particulier. Par exemple, sur la base de son analyse du contexte politique actuel et des demandes d’appui reçues à cet effet, Qteam a explicitement choisi d’appuyer les groupes travaillant sur les luttes antiracistes, anticolonialistes et anti-impérialistes. Ce groupe s’est joint au contingent des Queers Against Israeli Apartheid lors du défilé de la Fierté gaie afin d’apporter une voix anti-impérialiste au mouvement LGBT, tout en participant à la semaine contre l’apartheid israélien (Israeli Apartheid Week), dans le but d’ajouter une analyse queer au mouvement anti-apartheid. De même, PolitiQ, dans sa lutte contre l’hétéronormativité et l’homonormativité, offre de l’appui aux personnes transsexuelles et transgenres, tandis que le groupe Les Panthères roses travaille en solidarité avec les travailleuses et les travailleurs du sexe en s’alliant à Stella, groupe de travailleuses et de travailleurs du sexe dont l’objectif est la réduction des risques vécus par ces personnes. Concrètement, cet appui peut prendre la forme d’une participation à diverses tâches d’organisation ou d’un apport en ressources, au lieu de se traduire par des rôles plus visibles et valorisés à l’extérieur, comme celui de porte-parole auprès des médias ou dans les relations externes.

Le rôle d’une personne alliée ou sympathisante implique de sortir de sa zone de confort : il exige qu’une personne prenne le risque de quitter l’espace dans lequel elle vit en conformité avec les privilèges du groupe social auquel elle appartient. Cela signifie aussi de s’organiser en plus grande promiscuité avec les personnes directement touchées en planifiant des réunions au sein de leurs communautés et de leurs quartiers, ainsi que dans des espaces plus accessibles que les salles de classe universitaires ou d’autres lieux auxquels elles sont habituées, que ce soit des sous-sols d’églises ou des salles communautaires. Dans la mesure du possible, l’accessibilité à ces événements doit également être améliorée par d’autres moyens, selon le groupe : par l’adaptation de la nourriture fournie aux traditions de la communauté visée (au lieu d’imposer une nourriture entièrement végétalienne, par exemple); par la traduction, y compris en langue des signes, lorsque cela est nécessaire; par l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite; et par la disponibilité de toilettes non genrées ou « neutres ». Des ressources pouvant faciliter la participation de toutes et de tous, comme les services de garderie gratuits, le transport ou tout autre besoin précisé par le groupe, devraient finalement être offertes.

Les rôles que jouent plusieurs (pro)féministes – que ce soit de surveiller les relations sociales, d’assurer qu’une analyse antiautoritaire va au-delà d’une simple reconnaissance des systèmes d’oppression ou de travailler en tant que personne alliée ou sympathisante – impliquent un certain degré d’inconfort. Parce que toute personne a intériorisé/nous avons intériorisé, dans une certaine mesure, des façons d’être et de faire contraires à l’éthique antiautoritaire, les moments où sont reconnus, critiqués et reconstruits ces comportements peuvent facilement créer beaucoup de tensions. Souvent, les personnes se sentent attaquées ou coupables ou les deux; elles deviennent nerveuses parce qu’elles ne savent pas trop comment changer les choses; elles développent une peur de parler ou de faire des gestes constructifs. Cependant, cette zone d’inconfort est aussi une zone potentielle de transformation. Car c’est dans ces moments que l’apprentissage se produit et que des relations sociales différentes émergent, mûrissent et se diffusent. Ces processus font partie intégrante d’une vision du changement social basée sur les processus révolutionnaires d’autodétermination et d’autoorganisation collectives (CRAC 2011c). Pourtant, au moment de l’émergence publique du mouvement antiautoritaire contemporain au Québec au début des années 2000, les individus avaient une analyse plus limitée des liens entre les dynamiques internes des groupes et enjeux relatifs au pouvoir et aux privilèges. Il n’y a aucun doute que le travail assidu des féministes et des (pro)féministes des microcohortes décrites dans ce texte a permis la transformation de l’éthique antiautoritaire.

Dans le champ des mouvements communautaires et sociaux

Plusieurs abeilles (pro)féministes s’aventurent au-delà des fleurs et des champs dans lesquels elles sont le plus à l’aise pour s’engager officiellement ou officieusement dans d’autres mouvements sociaux et communautaires. Par exemple, des groupes féministes radicaux ont animé des ateliers sur la démocratie directe et l’action directe dans des centres des femmes lors des activités de mobilisation de la Marche mondiale des femmes; des queers radicals collaborent avec Stella, organisme communautaire travaillant sur les enjeux liés au travail du sexe; ou encore des (pro)féministes engagées dans des groupes antiracistes et anticolonialistes, comme Personne n’est illégal, travaillent en étroite collaboration avec le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants sur les enjeux associés à la justice pour les personnes migrantes.

Des périodes de convergence moins officielles sont aussi pratiques courantes. Par exemple, plusieurs (pro)féministes assistent/nous assistons aux lancements de livres, à des spectacles musicaux, des manifestations et d’autres événements organisés par les organismes des mouvements féministe ou LGBT, ayant des amis ou des amies ou bien des camarades qui y participent. De fait, il est intéressant de noter le nombre d’antiautoritaires qui choisissent le travail rémunéré au sein de ces organismes communautaires et sociaux, que ce soit les espaces pour femmes tels que la FFQ ou les centres de femmes, les espaces de sensibilisation aux enjeux de genre et les refuges, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants, À deux mains (groupe offrant de l’éducation sexuelle par les pairs dans les écoles), Projet X (groupe de défense des jeunes queers), les groupes locaux de logement sociaux comme le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) ou les groupes environnementalistes comme le Regroupement québécois des groupes écologistes. Les organismes qui attirent les (pro)féministes sont souvent eux-mêmes situés en marge des mouvements communautaire et sociaux; ils ont tendance à partager avec les antiautoritaires une stratégie d’action du type conflictuel, ce qui peut mener à une posture d’opposition au « pouvoir sur » (contrairement à une posture collaborative) (Hanley, Kruzynski et Shragge 2013). Ces organismes optent aussi pour une forme organisationnelle inspirée de la démocratie directe et ils pratiquent l’éducation politique populaire. De ce fait, ils partagent plus d’affinités avec les idées et les pratiques antiautoritaires.

Dans un autre registre, en prenant position contre tous les systèmes d’exploitation, les (pro)féministes se distancient par ailleurs de certains groupes communautaires financés par l’État, eux-mêmes pris dans la difficile gestion quotidienne des conséquences découlant de ces systèmes auprès des personnes touchées par ceux-ci. À la lecture d’une certaine professionnalisation de ces organismes, voire de leur institutionnalisation, les antiautoritaires perçoivent souvent une perte de radicalisme au sein de ce milieu qui s’apparente alors à leurs yeux aux services sociaux et de santé publique étatiques. La soif qu’éprouvent les (pro)féministes pour l’autodétermination et l’autoorganisation explique alors leur réticence à s’engager dans les fédérations ou les coalitions officielles de mouvements sociaux aux approches centralisées (par le haut) qui demandent parfois de faire partie de l’effectif officiel, concentrent certaines tâches aux mains de la direction ou imposent des frais d’adhésion.

En effet, étant donné que les antiautoritaires ne croient pas que l’émancipation soit possible à l’intérieur d’un système géré par l’État et ses institutions, illes sont/nous sommes critiques des organismes dont les pratiques s’inscrivent dans la perspective de la politique de revendication plutôt que de la politique de l’agir. En général, les (pro)féministes ne revendiquent ni droits ni changements de la part de l’État, comme le font certains mouvements communautaires et sociaux. Selon la plupart des antiautoritaires, ce type de revendication pour des réformes finirait par légitimer l’État en renforçant son pouvoir sans s’attaquer aux causes premières de l’exploitation. Cela dit, plusieurs (pro)féministes travaillent à la mise sur pied de campagnes qui demandent des mesures concrètes pouvant améliorer les conditions de vie à court terme ou assurer la survie des gens ou encore les appuient. Il peut s’agir de campagnes au sein desquelles les organismes des mouvements communautaires et sociaux mentionnés plus haut revendiquent une augmentation du nombre de logements sociaux, la décriminalisation du travail du sexe, un statut pour les personnes réfugiées, des processus de changement de noms plus simples pour les personnes transgenres, la protection de la forêt contre la coupe à blanc, etc. À première vue, cela peut sembler contradictoire avec la politique de l’agir au coeur du militantisme antiautoritaire. Cependant, une analyse plus nuancée permet de constater que ces réformes peuvent engendrer des bénéfices concrets et immédiats dans la vie des personnes touchées par ces enjeux, brisant avec la logique et les intérêts d’individus en position de pouvoir et que, ce faisant, elles s’inscrivent dans une remise en cause des rapports de pouvoir (Kruzynski et Sévigny 2009). Aux yeux des antiautoritaires, ces initiatives sont donc cohérentes avec l’esprit de la politique de l’agir.

En corollaire, la présence officielle et officieuse des (pro)féministes à l’intérieur de ces organismes favorise un rapprochement avec le milieu antiautoritaire. D’une part, le contact quotidien entre organisatrices et organisateurs qui ont souvent beaucoup d’expérience et les personnes menant la lutte sur le terrain aide à ancrer, dans l’histoire du mouvement et dans l’expérience réelle vécue par les gens, une analyse et une pratique antiautoritaires autrement déconnectées de ces réalités. D’autre part, ce contact a aussi ouvert un espace de dialogue sur les formes organisationnelles et les stratégies de conflit antiautoritaires. Cette interaction est notable, en particulier au sein du mouvement féministe au Québec. La FFQ a ainsi appuyé la construction d’un jeune mouvement féministe du nom de RebELLES, tout en respectant son autonomie. Des antiautoritaires (pro)féministes sont engagés dans ce mouvement depuis ses débuts. Aux côtés des membres de la FFQ, illes ont collaboré/nous avons collaboré à l’émergence d’une coalition nationale non hiérarchique de groupes et de réseaux féministes locaux qui ont adopté des positions politiques et des stratégies d’action radicales. D’autre part, des critiques portées par les queersradicals commencent à apparaître dans les débats au sein des mouvements féministes, notamment l’idée selon laquelle les espaces réservés aux femmes cisgenres peuvent générer l’exclusion des personnes transgenres s’identifiant comme femmes, de même que l’idée selon laquelle ces critères d’organisation renforcent la binarité masculin/féminin (Fortier et autres 2009).

Les (pro)féministes antiautoritaires influencent les stratégies et le choix de tactiques des mouvements populaires. Par exemple, les (pro)féministes ont lancé un appel dans le contexte de la Marche mondiale des femmes de 2010 pour réincorporer une dynamique de conflit dans les stratégies d’action, en plaidant pour le recours à des tactiques plus déstabilisantes par rapport aux cibles étatiques, ce que le mouvement a qualifié d’« actions dérangeantes ». Plusieurs groupes et réseaux populaires ont organisé des ateliers de formation en action directe pour leurs membres, animés par des féministes antiautoritaires.

Dans un même ordre d’idées, les mouvements communautaires et sociaux ont plus récemment exprimé leur solidarité avec les groupes et les réseaux antiautoritaires qui choisissent l’utilisation de tactiques conflictuelles à l’occasion de manifestations contre les systèmes de domination. Or, cela n’a pas toujours été le cas. En 2001, après la chute de la clôture séparant les manifestantes et les manifestants des chefs d’État et de gouvernement réunis au Sommet des Amériques à Québec, certaines personnes représentant des organismes populaires (y compris la FFQ) ont dénoncé la destruction de la barrière par le black bloc. Cette dénonciation a contribué à la construction d’une image publique négative et imprécise des anarchistes selon laquelle ils n’étaient que des vandales sans analyse politique cohérente. Dix ans plus tard, suivant l’arrestation de plusieurs centaines de personnes participant à la manifestation contre le G20 à Toronto, certaines organisations, dont la FFQ, des organismes communautaires et des syndicats, se sont jointes aux antiautoritaires pour organiser une conférence de presse et dénoncer unanimement la violence policière. Cette solidarité est le résultat, au moins en partie, d’abeilles (pro)féministes antiautoritaires travaillant assidûment pour effectuer la pollinisation croisée d’une variété de fleurs dans différents champs des mouvements sociaux.

La pertinence pour le féminisme aujourd’hui

Les (pro)féministes ont réalisé une pollinisation croisée de leurs/nos analyses, stratégies et formes organisationnelles à l’intérieur de leurs/nos propres organisations et de leurs/nos groupes d’affinité, au sein du mouvement antiautoritaire plus large et dans les mouvements communautaires et sociaux, y compris les mouvements féministes libéraux et plus radicaux. Qu’il soit intentionnel ou non, ce travail de pollinisation croisée a pris diverses configurations, à la fois officielles et officieuses, lors de discussions et de débats pendant les activités et les réunions, en mettant en évidence les relations sociales qui reproduisent les dynamiques du « pouvoir sur », par la diffusion de matériaux et d’outils d’organisation, l’animation d’ateliers, le partage des compétences et le soutien concret fourni aux personnes luttant sur le terrain. Ce travail a contribué à la diffusion et à l’approfondissement d’une culture organisationnelle qui prend racine dans une éthique antiautoritaire basée sur des stratégies et des principes fondamentaux d’autodétermination et d’autoorganisation collectives.

Plus précisément, par l’entremise de l’autodétermination et de l’autoorganisation, les (pro)féministes aident à transformer les valeurs que sont la liberté, la solidarité, l’autonomie collective, la justice sociale, le respect, la spontanéité et l’entraide en pratiques dans divers champs (organismes, mouvements, etc.), ce qui contribue au processus préfiguratif au coeur du travail d’organisation anarchiste ou antiautoritaire contemporain. L’objectif de ce processus est de créer des espaces propices à la pratique de l’autodétermination et de l’autoorganisation – des espaces d’action, de rencontre, de conflit, d’apprentissage, de politisation, de déconstruction et de reconstruction des relations sociales. Ces processus ont accompli une pollinisation croisée avec d’autres organismes liés aux mouvements féministes, communautaires et sociaux. Nous notons un intérêt grandissant pour les idées et les pratiques antiautoritaires et une ouverture aux antiautoritaires des microcohortes (pro)féministes dans les débats sur les analyses et stratégies d’action à adopter. Il s’agit là de rapprochements importants entre divers milieux militants et d’étapes constitutives d’une trajectoire menant vers une plus grande autodétermination et une autoorganisation collectives dans l’ensemble de la société. Le travail actif sur le terrain des trois microcohortes présentées plus haut contribue ainsi à la diffusion de l’éthique antiautoritaire en permettant à un nombre toujours plus grand de personnes d’être exposées à ces idées et d’en faire l’expérimentation dans des pratiques concrètes.