Comptes rendus

Isabelle Boisclair, Lucie Joubert et Lori Saint-Martin, Mines de rien. Chroniques insolentes, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2015, 156 p.[Record]

  • Camille Simard

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  • Camille Simard
    Université du Québec à Montréal

C’est un soupir de soulagement qu’inspire la lecture de l’ouvrage Mines de rien. Chroniques insolentes. Lancé en mars 2015 aux éditions du remue-ménage, il vient combler une place peu explorée dans le paysage féministe québécois, soit celle de la mise en scène concrète et quotidienne du sexisme ordinaire. Ici, on voit grand : il n’est pas question de s’en tenir au portrait exhaustif d’une problématique spécifique, mais plutôt d’explorer le vaste univers qu’implique être une femme dans le Québec actuel. Ainsi, ceux et celles qui clament la fin des inégalités de genre n’ont plus qu’à se taire : la tangibilité des doubles standards entre dans l’ordre de l’irréfutable. Bien qu’elles aient été efficaces, les luttes des dernières décennies sont loin d’avoir offert une panacée en matière d’équité, et ce sont des stéréotypes de genre qu’il nous semble le plus difficile de nous débarrasser. Si nous pensions ne pas détenir les mots pour décrire la subtilité des microagressions qui affligent les femmes dans la vie de tous les jours, Isabelle Boisclair, Lucie Joubert et Lori Saint-Martin nous démentent : le verbe est à notre portée, il suffit d’avoir le cran de le manier. Les auteures prennent à tour de rôle la plume dans les 36 courtes chroniques qui forment l’ouvrage. Celles-ci se lisent d’un seul souffle ou de manière fragmentée. À l’image d’un outil de référence, il est possible d’ouvrir le livre à n’importe quel endroit et de se trouver en terrain connu. La familiarité, voire l’évidence, des situations décrites est justement recherchée pour faire apparaître la subtilité de leur caractère sexiste. Faisant preuve d’une réelle générosité, le trio offre en rafale témoignages, réflexions, constats, souhaits et cris du coeur. On y traite, entre autres, de propagande antiféministe, de désir féminin, de corporalité, de représentations médiatiques et de culture du viol. Le subjectif, incarné par l’emploi récurrent de la première personne du singulier, est loin d’être isolé : il se fait plutôt allié du collectif. Autrement dit, il est manifeste que le « je » appelle le « nous » dans la volonté assumée des auteures de faire jaillir la solidarité féministe. Pourrait-il être question de confession féministe littéraire? Sans doute. En se questionnant sur le silence qui suit trop souvent les dérapages sexistes, Saint-Martin écrit (p. 138) : Lucides, les trois penseuses semblent pleinement conscientes de l’ampleur du travail à réaliser pour déconstruire les clichés de genre. Saint-Martin évoque « une démarche énergivore, ingrate et toujours à recommencer » (p. 49). Elles nous font part, par bribes, de leur idée d’un projet de société antisexiste. Par exemple, Boisclair propose de lire davantage de livres écrits par des femmes et de voir plus de spectacles et d’expositions créés par elles (p. 64). En ce qui a trait à la liberté de penser en dehors des lieux communs dits pour hommes et pour femmes, Saint-Martin aspire à « défaire l’opposition entre “ féminin ” et “ masculin ”, entre les traits de caractère, les goûts et les comportements considérés comme propres à un sexe ou à l’autre, pour que tous soient plus libres » (p. 89). Joubert, de son côté, souhaite initier les jeunes femmes à un féminisme « à la fois combatif et heureux » (p. 146). De manière générale, il faut admettre que les trois auteures s’étonnent de la passivité ambiante à l’égard du sexisme au quotidien; « et surtout, pas de révolte » (p. 23). N’est-ce pas justement le résultat d’un apprentissage prétendument féminin? Comme outil pour rendre compte des absurdités découlant des clichés de genre, elles se servent régulièrement du « flip », procédé hautement accessible qui …

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