Comptes rendus

Louise Toupin, Le salaire au travail ménager : chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977), Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2014, 451 p.[Record]

  • Catherine Charron

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  • Catherine Charron
    Université Laval

Cet ouvrage de Louise Toupin offre un véritable retour dans le temps, vers ce qui a été un épisode presque oublié de la première phase du renouveau féministe des années 70 : le mouvement pour un salaire au travail ménager. Dans une chronique, qui s’apparente presque par moments à une autopsie, l’auteure expose avec précision et de façon fort éclairante le contexte d’émergence, les bases théoriques et les principaux jalons historiques de cette lutte politique radicale. Résultat d’un travail colossal, entamé durant les années 90 comme projet postdoctoral, et poursuivi de façon intermittente durant une quinzaine d’années, ce livre est présenté par l’auteure comme un « rendez-vous avec [sa] propre histoire intellectuelle et militante » (p. 27). Témoin et actrice de cette époque foisonnante qui a vu l’émergence de cette perspective politique, Toupin offre une plongée en profondeur dans cette histoire. On le sait, cette revendication est loin d’avoir fait l’unanimité à l’époque dans les rangs féministes – ni chez les militantes ni chez les théoriciennes. Elle a été rejetée par « l’ensemble du mouvement des femmes en Occident » (p. 16), par les courants radical et réformiste du féminisme. Les raisons de ce rejet sont expédiées rapidement dans un petit encadré dans l’introduction (p. 16-17), ce qui surprend au vu du travail d’exégète auquel l’auteure se livre avec les textes fondateurs du mouvement. Évidemment, sa priorité était de réhabiliter cette perspective trop souvent caricaturée, et elle le fait de façon magistrale. C’est donc un travail extrêmement fouillé, rigoureux, qui présente le grand mérite de sortir de l’oubli cet important jalon de l’histoire du féminisme. Le mouvement pour un salaire au travail ménager, qui a connu son apogée pendant la période 1972-1977, a laissé de nombreuses archives soigneusement examinées par Toupin, qui se réfère aussi abondamment aux écrits théoriques et aux propos recueillis lors d’entretiens avec des leaders du mouvement comme Sylvia Federici et Mariarosa Dalla Costa. Nous ne pouvons que nous réjouir de cet appel à raviver notre mémoire féministe, non seulement pour rendre hommage à quelques figures marquantes, mais surtout pour raviver nos luttes contemporaines en les rattachant à cette longue histoire de la révolte des femmes contre leur oppression. « Travail ménager » : déjà la formulation apparaît vieillotte, à l’heure où l’on parle plutôt de partage (privé) des tâches ou de conciliation travail-famille. Lointaine est l’époque où le travail ménager gratuit était au centre d’un projet féministe radical contre l’exploitation. Dans les deux premiers chapitres, Toupin explique bien le contexte politique et théorique qui a donné naissance à la revendication pour un salaire au travail ménager au début des années 70. Contrairement aux féministes matérialistes comme Christine Delphy, qui considèrent que le travail ménager gratuit bénéficie avant tout à la classe des hommes, dans un « mode de production domestique » théoriquement distinct du mode de production capitaliste, les militantes et les théoriciennes de cette mouvance en font un maillon de la chaîne d’exploitation capitaliste. Pour elles, qui sont issues des groupes marxistes (les féministes italiennes du mouvement se réclamaient de la tendance opéraïste), le travail ménager constitue la « face cachée de la société salariale », l’« autre usine », le rouage invisible du système capitaliste, qui permet la reproduction gratuite de la force de travail au profit du capital et de la classe patronale. Pour Mariarosa Dalla Costa, Selma James et Silvia Federici, revendiquer un salaire pour ce travail invisible, c’était précisément jeter du sable dans l’engrenage de l’accumulation capitaliste, exiger un salaire pour mieux subvertir le système. Cette logique politique de subversion était au coeur de la perspective des théoriciennes du mouvement – …

Appendices