Comptes rendus

Nicole-Claude Mathieu, L’anatomie politique 2. Usage, déréliction et résilience des femmes, Paris, La Dispute, coll. « Le Genre du monde », 2014, 386 p.[Record]

  • Huguette Dagenais

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  • Huguette Dagenais
    Université Laval

Nicole-Claude Mathieu avait réuni dans cet ouvrage, paru peu de temps après sa mort, dix-neuf textes, accompagnés d’une bibliographie de plus de 450 références, qu’elle avait publiés de 1982 à 2010 dans des livres et des périodiques destinés à divers publics. Il s’agit de textes moins connus en général et plus variés de forme et de contenu que ceux qui sont regroupés dans L’anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe (1991) et qui sont depuis longtemps des classiques en matière d’épistémologie féministe. Quelques-uns seulement, et pas le plus ancien, ont été « légèrement modifiés » ou « remaniés » aux fins du présent ouvrage, indice que Mathieu jugeait l’ensemble toujours pertinent aujourd’hui. Tous denses et souvent traversés d’un humour mordant, ces dix-neuf textes qui correspondent à autant de chapitres sont regroupés dans cinq parties. Comme il est impossible d’en rendre compte adéquatement en quelques pages seulement, je me pencherai sur les chapitres qui, de mon point de vue, illustrent le mieux l’originalité, l’audace et l’actualité des analyses de Mathieu. L’ouvrage s’ouvre sur « Ma vie », texte écrit à la troisième personne où Mathieu évoque en quelques paragraphes ses origines familiales et son enfance puis résume l’imbrication de son travail scientifique et de son engagement féministe (p. 8) : « L’ethnologie est sa discipline d’élection, dit-elle, car seule apte à révéler la diversité mais aussi l’unité (et la perversité) de l’esprit humain, et son terrain de recherche l’observation hallucinée de l’amplitude de l’oppression des femmes. » Vient ensuite comme « Prologue » l’allocution qu’elle a prononcée, le 15 juin 1996, durant la cérémonie au cours de laquelle le recteur de l’Université Laval lui a décerné un doctorat honoris causa en sciences sociales. Avec la précision et l’économie de mots qui la caractérisent, Mathieu saisit l’occasion d’expliquer à l’auditoire, dans des termes simples, les rapports de classe entre les sexes ainsi que le féminisme matérialiste, « car le sexisme n’est pas qu’une question de “ mentalités ” ou d’idéologie. Il est fondé sur une exploitation concrète, matérielle […] de l’esprit et des activités des femmes. » Elle souligne aussi la résistance des femmes « au-delà des frontières nationales et des différences culturelles » (p. 10-11). Un court texte de Danièle Kergoat, directrice de la collection « Le Genre du monde », lu aux obsèques de Mathieu, conclut le livre. J’en suggère toutefois la lecture également en introduction, car il présente brièvement Mathieu et son apport scientifique, tout en soulignant la portée politique de son « système de pensée » qui, on le verra maintenant, « offre des outils pour se positionner dans les débats majeurs » (p. 353) qui traversent nos sociétés. Intitulée « Entrées de dictionnaires, pour gens pressés », la première partie est composée de quatre courts chapitres portant respectivement sur les thèmes suivants : « Différenciation des sexes » (chapitre i), « Sexe et genre » (chapitre ii), « Études féministes et anthropologie » (chapitre iii) ainsi que « Corps féminin et masculin » (chapitre iv). Contrairement au titre dont Mathieu a ironiquement coiffé cette section, ils ne peuvent ni ne devraient, selon moi, être lus à toute vitesse ou évités puisqu’ils constituent une solide introduction conceptuelle et épistémologique aux quinze chapitres suivants tout en étant très utiles en études féministes. Mathieu ne les a pas placés là par hasard. Dans la deuxième partie, ayant pour titre « Lectures critiques sur la domination masculine… au masculin », Mathieu s’attaque à des positions de Pierre Bourdieu, de Simone de Beauvoir et de Claude Lévi-Strauss. Dès sa publication en 1998, La domination masculine a fait l’objet …

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