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À 20 ans, lorsque j’entrais dans une librairie, mon premier regard se posait invariablement sur le catalogue « Que sais-je? » attaché à une corde près du rayon des exemplaires. Cette collection me fascinait. Je me suis d’ailleurs procuré autant de titres que mes finances d’étudiante me le permettaient. Il m’arrive encore d’en acheter à l’occasion et je les ajoute aux anciens que j’ai gardés jalousement tout au long de ma vie professionnelle. Récemment j’ai constaté que l’engouement pour cette collection créée en 1941 était partagé par la jeunesse étudiante contemporaine. Plusieurs titres sont toujours appréhendés comme des outils de travail pour les étudiants et les étudiantes et des clés de savoirs pour le public en général.Cette collection internationale a jusqu’à maintenant diffusé en 43 langues plus de 160 millions d’exemplaires[1]. En moins de 130 pages, des spécialistes proposent des études accessibles qui constituent une synthèse, une introduction ou une analyse de leur discipline.

Le titre de Martine Gross ne fait pas exception à la règle. Ingénieure de recherche en sciences sociales au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), mère lesbienne et membre active de l’Association des parents gais et lesbiens de France qu’elle a dirigée de 1999 à 2003, cette auteure a effectué de très nombreuses recherches sur les familles homoparentales et a publié un grand nombre d’articles et plusieurs ouvrages sur le sujet. Elle est reconnue et invitée tant en Europe qu’en Amérique pour son expertise sur la situation de l’homoparentalité en France.

En parcourant ce livre, je n’ai pas retrouvé mon enthousiasme de jeunesse pour les titres que je lisais à l’époque, par exemple, ceux de Jean Brun sur la philosophie[2] ou plus tard d’autres titres ayant des liens avec mes études en droit[3], ce qui s’explique facilement par le fait que je travaille moi-même sur le sujet de l’homoparentalité depuis plus de dix ans. Cependant, j’ai éprouvé autant de plaisir à le lire que j’en ai eu à lire celui d’Andrée Michel sur le féminisme[4] ou de Daniel Borrillo sur l’homophobie[5].

D’entrée de jeu, je souligne que, au moment de la première édition de cet ouvrage en 2003, le Québec avait déjà, l’année précédente[6], répondu oui à la question que pose ici l’auteure : « Les homosexuels peuvent-ils fonder une famille? » En France, cette question soulève encore les passions, même en 2007 au moment de la parution de la troisième édition de l’ouvrage de Martine Gross. Certaines personnes vont même jusqu’à affirmer, comme on le rapporte en quatrième de couverture, que la reconnaissance de parents de même sexe pourrait nuire aux enfants, ébranler les fondements de la société et perturber l’ordre social.

C’est à ces préjugés que l’auteure s’attaque. Dans le premier chapitre, elle présente quelques repères sur les familles homoparentales, tant en France qu’aux États-Unis. Il faut bien admettre que même si le droit français ne reconnaît pas officiellement l’homoparentalité, elle existe bel et bien dans le quotidien des familles françaises et d’ailleurs. Dans le deuxième chapitre, Martine Gross situe l’homoparentalité dans le droit français et dans sa jurisprudence. Elle relate également quelques causes de la Cour européenne liées au droit français, ainsi que des données de droit comparé concernant l’adoption par des couples de même sexe, l’exercice de l’autorité parentale, les droits du conjoint ou de la conjointe du parent biologique, et l’accès aux diverses techniques de procréation assistée. Au troisième chapitre, l’auteure décrit comment l’homoparentalité se vit en France à travers les difficultés auxquelles font face quotidiennement les familles homoparentales. Le quatrième chapitre constitue une recension des recherches effectuées et publiées depuis une trentaine d’années sur le développement des enfants élevés dans un contexte homoparental un peu partout en Occident. Alors qu’en France aucune recherche n’avait été effectuée avant 2000, certaines ont été lancées depuis ce temps par des sociologues, des ethnologues et un pédopsychiatre, entre autres, et confirment les conclusions des travaux déjà effectuées dans d’autres pays, à savoir que les comportements des enfants élevés au sein d’une famille homoparentale ne varient pas fondamentalement de ceux qui ont grandi dans un contexte hétérosexuel biparental ou hétérosexuel monoparental. Dans le même chapitre, l’auteure relate les points de vue d’experts et d’expertes, principalement des psychanalystes, qui dénoncent l’homoparentalité et n’accordent aucun crédit aux diverses études menées dans le monde occidental, notamment par Caroline Éliacheff[7], Jean-Pierre Winter[8], Tony Anatrella[9] et Pierre Legendre[10]. Heureusement que quelques autres psychanalystes, curieusement presque toutes des femmes, critiquent ces discours normatifs[11]. Enfin, l’auteure consacre le cinquième et dernier chapitre à la description des diverses revendications des parents et futurs parents gais et lesbiens. Elle démontre ainsi comment ces demandes de réforme s’insèrent dans une redéfinition globale du droit de la famille au sein du Code civil français.

En conclusion, Martine Gross met résolument en doute les trois principaux arguments de ceux et celles qui critiquent et dénigrent l’homoparentalité, soit l’intérêt de l’enfant, l’ordre social et l’universalisme de la République. Au terme de cette lecture, je peux affirmer, sans risque de tromper qui que ce soit, que l’auteure a très bien rempli le mandat que la maison d’édition lui avait confié. Son essai sur l’homoparentalité présenté dans le numéro 3675 s’inscrit parfaitement dans la ligne éditoriale de la collection « Que sais-je? » qui se veut une encyclopédie construite par des spécialistes pour le grand public.