Comptes rendus

Diane Lamoureux et Francis Dupuis-Déri (dir.), Les antiféminismes. Analyse d’un discours réactionnaire, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2015, 179 p.[Record]

  • Christine Bard

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  • Christine Bard
    Université d’Angers

C’est dans la précieuse collection « Observatoire de l’antiféminisme », née en 2010, que paraît ce nouvel opus sur le sujet, après le Retour sur un attentat antiféministe : École polytechnique de Montréal, 6 décembre 1989 (Blais et autres 2010), la traduction de Right-wing Women (Dworkin 2012) et le collectif sur Le mouvement masculiniste au Québec (Blais et Dupuis-Déri 2008). Les textes sont issus d’un colloque de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) organisé en 2013 par le Groupe interdisciplinaire de recherche sur l’antiféminisme (GIRAF). Ils ont été réunis par Diane Lamoureux et Francis Dupuis-Déri, qui militent de longue date pour que l’antiféminisme devienne un objet de recherche, non seulement parce qu’il compte dans le paysage politique, mais aussi parce qu’une vigilance intellectuelle s’impose : les rhétoriques masculinistes se répandent, en particulier sur Internet, et encouragent des passages à l’acte criminel. Le féminicide de l’École polytechnique le 6 décembre 1989 est gravé dans les mémoires, et ce, d’autant plus que la date est aussi devenue un anniversaire pour les chasseurs de « féminazies » (Blais 2009). C’est à plusieurs voix que l’ouvrage sous la direction de Diane Lamoureux et Francis Dupuis-Déri analyse l’antiféminisme comme « discours réactionnaire » (comme l’indique le sous-titre), qualificatif judicieux dans sa polysémie : réactionnaire au sens de droite religieuse, conservatrice, antichoix, mais aussi réactionnaire parce qu’il s’agit d’une réaction au féminisme, à ses avancées concrètes et à l’inspiration qu’il représente pour comprendre le monde d’aujourd’hui. L’antiféminisme se présente comme une résistance à un féminisme perçu comme tout-puissant, hégémonique, dirigeant les politiques publiques, la machine judiciaire, les médias, l’éducation jusqu’à l’université… Il s’intensifie dans les périodes de creux de la vague, bien qu’il puisse exister en l’absence de féminisme et mener une sorte de guerre préventive; il peut aussi viser des femmes qui ne s’identifient pas comme féministes, telle Louise Michel : Sidonie Verhaeghe, dans ce recueil, étudie le traitement antiféministe que réserve la presse française à la plus célèbre des Communardes. Il existe diverses formes d’antiféminisme, à l’image de la pluralité des féminismes. C’est le féminisme radical, matérialiste, anti-essentialiste qui est le plus ciblé – bien qu’il soit mal connu par ses adversaires. Huit textes sont rassemblés dans l’ouvrage. L’un d’eux, déjà cité, est historique; six sont des études de cas situées dans le contemporain et abordent plusieurs facettes du phénomène, parmi les plus importantes; le dernier texte est davantage personnel et plus littéraire. Julie Abbou, avec les outils de la sémiolinguistique, traite son corpus de textes antiféministes publiés sur le Web comme un discours pamphlétaire. Elle en propose une typologie neuve et stimulante. À partir de sa série d’énoncés ponctués d’injures, elle observe les types de représentation du féminisme (est-il jugé central ou marginal?) et se demande aussi d’où parle le locuteur ou la locutrice : parole périphérique ou centrale? Aux marges, dans une posture antisystème (sensibilité d’extrême droite) ou à partir d’un centre décidant et défendant la norme du « bon père de famille » (droite conservatrice)? Ce mode de lecture peut s’appliquer aux discours les plus anciens. Pour sa part, Jérôme Cotte se saisit du cliché très robuste selon lequel « les féministes n’ont pas d’humour ». Si les humoristes sont de toutes sensibilités et parfois proches des féministes, il n’empêche : leurs propos participent à la disqualification du féminisme, cause souvent ridiculisée et risible. Ce phénomène très ancien perdure dans la société québécoise (et ailleurs) et étaye la théorie d’un féminisme totalitaire cherchant à contrôler, à purifier les comportements, étouffant la liberté même de… rire. Son efficacité est redoutable, insiste l’auteur. Francine Descarries offre à cet ouvrage une synthèse sur l’antiféminisme …

Appendices