Comptes rendus

Naïma Hamrouni et Chantal Maillé (dir.), Le sujet du féminisme est-il blanc? Femmes racisées et recherche féministe, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2015, 278 p.[Record]

  • Agnès Berthelot-Raffard

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  • Agnès Berthelot-Raffard
    Université d’Ottawa

S’inscrivant dans une critique du féminisme québécois, l’ouvrage collectif Le sujet du féminisme est-il blanc? Femmes racisées et recherche féministe (2015) remet en question l’occultation des préoccupations des femmes issues des minorités culturelles et religieuses dans les lieux de pouvoir et de mobilisations sociales féministes. Codirigé par Naïma Hamrouni et Chantal Maillé, cet ouvrage est composé d’une série d’articles où l’on se questionne sur les implications de la posture actuelle de ce mouvement féministe très singulier en Amérique du Nord, car il est fortement lié aux revendications pour l’indépendance du Québec. Dans le texte introductif, les deux codirectrices replacent cette occultation dans l’actualité politique québécoise. Leurs intentions procèdent d’un double mouvement. Le premier démontre la façon dont l’exclusion des femmes dites « racisées » défie les prétentions du féminisme à réaliser l’inclusion de toutes les femmes. Le second signale les effets de la prétendue univocité du féminisme tel qu’il est vécu et promulgué par certains des débats qui l’animent. À cet égard, plutôt que de revenir sur la frontière entre la théorie féministe et sa praxis militante, l’ouvrage amène un tout autre angle de vue. En effet, son grand mérite est d’interpeller les lectrices et les lecteurs sur la manière dont les modalités propres à la production universitaire féministe biaisent l’analyse sur les effets du croisement de la « race » et du genre. Le fil rouge de l’ouvrage ‒ qui fait suite à un colloque dont la principale table ronde est retranscrite en annexe ‒ est l’impensé de l’intersectionnalité dans ce qu’il révèle et reconduit en termes d’« injustices épistémiques » (Fricker 2007) au sein de la recherche universitaire menée sur ‒ ou par ‒ les femmes racisées. Dès lors, comment conduire en toute objectivité des enquêtes sur ces femmes dites « à la marge »? Avec quelle démarche méthodologique peut-on les remettre « au centre » des préoccupations de la recherche? Comment mieux intégrer la diversité dans un milieu universitaire où la norme reste encore la « blanchité »? Si ces questions sont abordées depuis longtemps par les théoriciennes du Black Feminism, en particulier par Patricia Hill Collins (2016), elles ne sont guère traduites dans la pratique, notamment dans les milieux universitaires féministes francophones. De ce fait, bien que la plupart des textes aient pour ancrage le Québec, ce contexte de locution ne borne pas la réflexion. En effet, d’autres espaces féministes de la francophonie sont eux aussi visés par les analyses de l’ouvrage, tout en étant traversés par l’accusation d’un grand manque d’approfondissement critique à propos des biais produits par la « blanchité » qui y règne en maîtresse des lieux. Au coeur des préoccupations soulignées dans cet ouvrage se trouvent l’occultation des effets de la construction sociale de la « race » et une omniprésente analyse des racines de cette invisibilisation. Sur ce point, l’ouvrage fait écho aux préoccupations sociales sur le racisme et l’inclusion des minorités qui font les manchettes au Québec. Précédant la demande des citoyennes et citoyens québécois racisés d’une commission sur le racisme systémique en 2016, il met au jour les résistances liées à ces débats, notamment ceux de certains groupes féministes trop souvent accusés d’être désolidarisés des préoccupations de leurs consoeurs racisées, voire de participer à la promotion d’une fabrique de la « race » en jetant l’opprobre sur les femmes autochtones, en mettant en doute l’émancipation des musulmanes ou des femmes identifiées comme telles ou encore en niant l’apport des féministes haïtiennes à la construction du Québec. Une des explications vient du fait que la lutte féministe n’est guère désincarnée des revendications liées à la réalisation du nationalisme québécois, …

Appendices