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« On ne se dégage pas aisément d’une socialisation qui vous fait être ce que vous êtes. »

Kaufmann (2004 : 268).

Le monde des nouveaux clowns se légitime par la présence de personnalités exemplaires à forte réputation, comme c’est le cas des clowns Grock, Rhum ou, plus récemment, Buffo. De la même manière, la création de lieux dédiés est motivée par un représentant reconnu qui fait figure d’autorité comme Jacques Lecoq, Gilles Defacque ou Franck Dinet. Les grands clowns marquent en effet, et ce, de multiples manières, l’histoire du monde des clowns. Pourtant, à l’instar de la comparaison des reconnaissances officielles des hommes et des femmes dans les grands courants artistiques, le monde clownesque témoigne d’une nette différenciation sociale entre les sexes. L’absence de femmes au sein de l’histoire officielle est due en partie à la difficulté de retracer leur parcours, parfois même de les identifier tant elles ont été évincées ou tout simplement masquées par une présence masculine conjointe.

Historiquement, l’accès des femmes à la création artistique a été limité. En effet, à part quelques exceptions, ce n’est qu’à partir du XVIe siècle en Occident que les femmes, filles d’artistes ou dans le besoin financier, embrassent une carrière artistique. La plupart du temps, elles sont reléguées à une pratique artistique amateur peu reconnue. Au milieu du XIXe siècle en France, alors qu’un tiers des artistes était des femmes, aucune n’a accédé à l’école des Beaux-Arts et seulement 7 % ont travaillé sur commandes officielles (Bougueret 2012 : 13). Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les femmes apparaissent dans le paysage artistique officiel et commencent à être reconnues pour leurs productions artistiques. Au cours des années 1970, un tournant idéologique est effectué par rapport à l’identité féminine, grâce à la remise en cause non seulement des données sociales mais aussi de la conception de l’artiste. En effet, les modalités d’accès au talent sont remises en question par la démocratisation culturelle qui a lieu lors de Mai 68. Désormais, chaque personne peut, théoriquement, avoir accès à une carrière artistique ou à la culture et donc opérer des choix de vie selon ses goûts.

À l’instar de la figure clownesque, beaucoup de stéréotypes continuent d’être véhiculés et maintenus dans les représentations sociales relativement aux hommes et aux femmes. Ainsi, « peu à peu s’est élevé un échafaudage de conventions qui sont surtout des conventions d’hommes » (Dupreel 1928 : 248). La prise de conscience de la domination masculine a été traduite par l’apparition de la notion de genre, présentée par la sociologue britannique Ann Oakley, dans son ouvrage Sex, Gender and Society (1972). Elle émet l’hypothèse que la féminité et la masculinité peuvent être des données socialement élaborées, reproduites et transmises par l’intégration des valeurs et des habitudes inhérentes au processus de socialisation. Dès lors, le genre est considéré comme le « sexe social ». En ce sens, « la soi-disant “identité féminineˮ n’est en fait pour l’essentiel qu’un rôle social » (Kaufmann 2004 : 107).

Les stéréotypes amènent à considérer spontanément la figure clownesque comme étant celle d’un homme. Cependant, cette prévalence n’est pas uniquement due aux stéréotypes des hommes et des femmes mais aussi à ceux des femmes et des clowns, qui sont en opposition. La difficulté à se figurer une femme en clown tient à ce que cela ne paraît pas « naturel ». Or, considérer une donnée sociale comme un fait naturel est la preuve de son inscription profonde dans les consciences collectives et les habitus. La présence féminine dans le monde des clowns met en perspective un triple processus de légitimation : pour les femmes, pour les clowns et pour les femmes qui font de l’art clownesque. Il s’agit de soulever les enjeux, de repérer le positionnement artistique et créateur du travail des clowns en relation avec l’identité « genrée » et sexuelle. Cet état des lieux, mené par des observations participantes et par des entretiens avec 17 clowns, dont 9 femmes, est le résultat du travail de recherche doctoral intitulé Les « nouveaux » clowns : approche sociologique de l’identité, de la profession et de l’art du clown aujourd’hui. L’étude, alors comparative et croisée des entretiens et des observations de terrain, relève d’une sociologie interprétative.

Les difficultés d’intégration en tant que clowns, vécues par les femmes dans le monde du cirque, ont laissé des marques sur les pratiques et sur certaines conceptions actuelles.

Les stéréotypes de la femme sont conditionnés par l’usage du rire et donc, par extension, de l’humour. S’il lui a été interdit de rire, la pratique de l’humour ou pire, l’usage du comique par le ridicule, a été longtemps inenvisageable.

Une comparaison des stéréotypes respectifs de la femme et de la figure clownesque permet de comprendre ce qui les rend contradictoires au point de faire paraître incongrue la pratique clownesque féminine. Il s’agit aujourd’hui, pour celles qui pratiquent l’art du clown, grâce au renouvellement en cours de leur image respective, de trouver des formes d’existence et de création novatrices.

La clown au cirque : un passé lourd de sens

« La trapéziste n’est pas rare; l’écuyère de panneau l’est de plus en plus; la clownesse a toujours fait exception. »

Tristan (2002 : 438).

Depuis la création du cirque, à travers des personnalités issues de célèbres solos, duos et trios, tels que les Fratellini, Foottit et Chocolat ou Grock, la figure clownesque a toujours été représentée par des hommes. Pourtant, à l’instar de nombreuses artistes, la clown, bien que peu de noms célèbres n’en fassent état, a existé. Certaines, dont il faut souligner l’existence, ont même connu un certain succès.

Les femmes artistes ont été, durant leur parcours, réduites à des pratiques à titre d’amatrices et leur reconnaissance a souvent fait défaut. Concernant la femme au cirque, elle est aussi reléguée, dès ses débuts, à des rôles précis et limités tels que celui de l’écuyère danseuse. Elle incarnait alors l’aristocratie et le prestige rattachés à l’art cavalier. Personnification de la beauté mais aussi de la maîtrise de l’animal, sa capacité à dominer les corps était à même de susciter l’admiration des hommes les plus distingués. Ainsi le souligne Roland Auguet : « Le cirque eut donc le mérite de réinventer le spectacle du corps, et cela réserva naturellement à la femme un rôle de premier plan dans ses spectacles » (Auguet 1974 : 25). La présence de l’écuyère correspond à l’engouement pour l’exotisme propre à cette époque mais aussi à l’image de la femme artiste se caractérisant par la grâce.

Lorsque les femmes se trouvaient habitées du désir de devenir clown, il leur fallait avoir recours à des stratagèmes. Elles pouvaient, par exemple, incarner le personnage du « clown blanc » qui, à l’époque, était désigné par le terme « clown ». En effet, alors que le langage a généralisé le mot « clown » pour l’assortir à la figure de l’« auguste », il était, aux débuts du cirque, réservé au clown blanc. Ce rôle leur permettait de garder une image très soignée tout en représentant la raison et la sagesse de l’esprit et du corps, en contrepied de l’auguste intégralement décousu et à la marge. Lulu Crastor en a été la représentante en Angleterre : Lonny Olchansky, en Allemagne; et Miss Loulou, en France. La beauté et la vertu du clown blanc, représentées à la fois à travers un majestueux costume blanc orné de paillettes et son rôle moralisateur et bienséant, correspondaient aux qualités socialement considérées comme féminines. Dans le duo de clowns traditionnel constitué du clown blanc et de l’auguste, l’un représente l’autorité et les règles sociales, et l’autre, le désordre qui s’y instaure par sa personnalité maladroite. Si l’auguste est l’objet des attentions ainsi que, par inversion artistique des valeurs, de l’appréciation générale, le clown blanc n’est que son faire-valoir et représente, de manière implicite, son cadre de jeu. D’ailleurs, si les solos de clown font par définition abstraction du clown blanc, laissant le rôle du cadre social au public, l’auguste, à savoir le perturbateur, est indispensable. Selon les stéréotypes évoqués, les femmes, au sein d’un tel duo, correspondent plus aisément au rôle de faire-valoir et ne sauraient être porteuses de l’attention dédiée à l’auguste. Rémy Tristan le résume de la manière suivante : « Car, si l’on admire les femmes-clowns qui sont toute de grâce et de légèreté, les spectateurs ignorent les femmes-augustes qui, plus rares encore, n’ont pour s’imposer, dans le rôle du pitre, rien de ce qui fait le charme de la clownesse » (Tristan 2002 : 443).

Par ailleurs et pour toutes ces raisons, pendant des années, l’intégration des femmes dans le monde de l’art a été facilitée par la présence d’un vecteur masculin. La plupart des femmes artistes de renom ont découvert et pratiqué leur art dans le contexte d’un accompagnement familial masculin, qu’il s’agisse de leur père ou de leur mari. Les exceptions de réussite d’artistes féminines concernent bien souvent des filles d’artistes ou des femmes qui ont entretenu des relations avec un artiste connu ou en avaient gagné l’admiration. La nécessité, en tant qu’artiste, de remplacer des collègues a amené quelques femmes à jouer l’auguste de manière plus officielle. C’est ainsi que Mme de Cairoli est devenue, auprès de son mari, « comédienne » (Tristan 2002 : 280). L’emploi du terme « comédienne » à la place de « clown » confirme que cette situation paraissait dégradante pour une femme. Il est dit de Mlle Flora Fernando, qu’elle « accepta de devenir clownesse » (Tristan 2002 : 344). Rien ne laisse supposer un réel engouement de leur part, la majorité des femmes se défendant de voir cette position comme une vocation, et donnant plutôt l’impression d’y être contrainte. Bien que cette situation ait souvent été identique pour les hommes, aucune femme n’a eu de véritable renommée ni même une pratique régulière et assumée. Cette donnée révèle, d’une part, que des éléments sociaux et culturels ont empêché de la considérer sérieusement dans un tel rôle et, d’autre part, que les femmes se préservaient des critiques que cela pouvait susciter. Une auteure engage à la fin des années 90 une rétrospective tout à fait éclairante à ce sujet (Cosnier-Hélard 1999 : 68) :

C’est en 1928, qu’est mentionnée celle qui est sans doute la première femme clown, Yvette Damoiseau-Spiessert, qui apparaît dans le trio Léonard au cirque Pinder, et dont on nous dit : « Son grimage outrancier, ses grosses lunettes, sa défroque d’Auguste la camouflait si bien que le fait demeura à peu près inconnu du public ». Retenons le mot « camoufler », comme s’il avait été indispensable de taire qu’une femme avait revêtu cette défroque grotesque, comme s’il importait surtout qu’elle se fit oublier. On précise aussi qu’elle était fille de directeur et quand on lui demandait pourquoi ce goût pour la clownerie, elle répondait « pour suivre mon mari ».

Ce type de réponse souligne la vision péjorative que pouvait avoir la femme auprès des autres artistes de cirque, qui plus est dans la société, si elle se mettait à incarner la figure clownesque. Il apparaît véritablement difficile de vouloir être clown au cirque autrement que pour des obligations familiales lorsqu’on est une femme. Ces données peuvent être mises en relation avec les résultats des investigations de Howard S. Becker (1988) et de Marie Buscatto (2005) sur la place des femmes dans le milieu professionnel du jazz. Pour les femmes, l’intégration dans le monde de l’art est encore souvent facilitée par un réseau préexistant et favorable. De fait, dans ce cas leur activité artistique peut être amenée à cesser en même temps que leur séparation maritale (Cacouault-Bitaud et Ravet 2008).

Pour avoir accès à une pratique artistique reconnue, d’autres stratagèmes pouvaient être utilisés par les femmes, tel le camouflage de l’identité sexuelle. Par exemple, Rosa Bonheur, peintre naturaliste du XIXe siècle, soutenue par son père qui lui a transmis son idéal d’égalité des sexes, se rendait sur les marchés habillée en homme pour réaliser ses peintures d’animaux de foire. En plus d’un accès au monde de l’art facilité par une présence masculine, le truchement par le vêtement est alors une solution envisagée, à l’instar des femmes tenant le rôle de l’auguste. En effet, Annie Fratellini témoigne qu’il lui fallait « faire disparaître la femme dès [qu’elle] évoquai[t] le clown » (Fratellini 1989 : 141), confirmant la nécessité de travestir son sexe pour exercer l’art clownesque. Rémy Tristan affirme que les femmes ont fait de meilleures augustes quand elles dissimulaient leur sexe : « Les femmes se sont, au cirque et dans les entrées, révélées bien meilleurs comiques quand elles cachaient sous la défroque de l’auguste et sous de savants maquillages les agréments de leur féminité » (Tristan 2002 : 439). Les femmes se sentaient-elles plus libres de leurs actes déguisées en hommes ou bien préféraient-elles gommer l’image sociale de femme qui se serait présentée à l’esprit de tout spectateur ou de toute spectatrice? Bien qu’il soit difficile de savoir s’il s’agit d’une décision personnelle ou d’un déterminisme social, il reste évident que ce fait souligne la place sociale non seulement de la figure clownesque qui, en tant qu’elle représente une universalité, s’apparente de fait à un homme, mais aussi de la femme qui ne peut alors servir de référent.

Les difficultés à être clown et femme dans un même temps, notamment durant l’apogée du cirque traditionnel dès la moitié du XIXe siècle jusque dans les années 70, s’accompagnent, d’un accès impossible à la reconnaissance. La pratique en loisir ou sans visée de rémunération est autorisée pour les femmes, qui doivent pour cette raison se garder de toute ambition ou de toute réussite artistique et officielle. Il en va de même pour celles qui jouent le rôle de clowns, qui doivent alors non seulement escamoter leur sexe par les moyens permis par le déguisement clownesque, mais aussi se cacher de toute reconnaissance sociale, considérée comme impensable pour une femme et, qui plus est, pour une clown. Les grandes places de l’histoire de l’art sont réservées par avance aux hommes, ainsi que le souligne Lucie Joubert : « La cuisine, on veut bien, mais la gastronomie, la cuisine-spectacle, demeure un fief masculin » (Joubert 2002 : 47). Les augustes sont des hommes; quand ce rôle est tenu par des femmes, cela ne doit pas se savoir. À cette époque, remettre en cause cette représentation serait revenu à défier toutes les théories de l’art et surtout à défaire les privilèges réservés aux hommes (Naudier et Rollet 2007 : 158) :

Tout se passe en effet comme si la pratique au féminin d’un art s’accompagnait de façon quasi automatique d’une sous-estimation, dévalorisation, quand ce n’est pas négation de leurs productions, en particulier quand l’on y trouve de nombreuses transgressions. En cela, la France n’est pas une exception, et ce, quel que soit le domaine artistique concerné.

Ainsi, le monde de l’art du XIXe siècle a exclu la femme de son idéologie de l’artiste. Florence Bougueret note ceci : « L’explication a la simplicité de l’évidence : l’absence de réussite artistique des femmes révèle leur absence de génie artistique (cf. les termes de “peintresseˮ, de “barbouilleuseˮ utilisés par les critiques d’art) » (Bougueret 2012 : 10). Il en va de même en ce qui concerne les comédiennes au sujet de leur reconnaissance et de leur notoriété d’artiste, car « il a fallu attendre 1628 pour que se manifeste la première comédienne française, ou tout du moins la première dont on ait retenu le nom : Marie Vernier… » (Cosnier-Hélard 1999 : 67).

D’un point de vue historique, il faut constater que la femme est loin d’être prédestinée au rôle de clown et qu’elle ne bénéficie pas d’un statut particulièrement favorable ni différent de celui qui lui est socialement assigné. Dans le monde de l’art ou du travail, elle est reléguée à des postes subalternes et peu valorisants, notamment d’un point de vue intellectuel. Il en est ainsi au cirque également, où elle se doit avant tout d’être belle, sinon loin des feux de la rampe, mais certainement pas, sauf en cas de nécessité et de manière bien dissimulée, à la place de la figure clownesque. Mais pourquoi justement la tenir éloignée de ce rôle peu valorisé qui était destiné aux artistes (acrobates par exemple) en fin de carrière?

Le rire comme marqueur social du genre

« Il fait peu de cas d’un comique – ô combien répandu – dont l’effet pervers est de conforter et de banaliser les stéréotypes socioprofessionnels, misogynes ou racistes. »

Feuerhahn et Sylvos (1997 : 7).

Les figures de la femme et de l’homme possèdent des représentations sociales distinctes et en opposition. Dans ce cadre-là, les stéréotypes n’en sortent que plus vifs, confirmant cet état de fait. Si chaque clown est l’emblème du rire, il faut se demander quel est le rapport entretenu dans les représentations sociales des hommes et des femmes avec le rire.

Si, dans les stéréotypes, la femme est invitée à sourire, son rire a toujours été très mal perçu. Le rire est rattaché dans les représentations à la vulgarité et à un manque de contrôle de soi qui est lié, selon les études menées sur le rire, à une vision sacrée et religieuse. Bernard Sarrazin explique que, si le rire apparaît incompatible avec Jésus, « c’est peut-être qu’on met le rire en bas et Jésus en haut, ce qui suppose dualisme et hiérarchie entre tragique et comique, trivial et sublime, profane et sacré : problème d’esthétique, d’éthique et de métaphysique » (Sarrazin 1997 : 43). Le rire est présent de manière duelle dans les représentations. Il apparaît premièrement comme bénéfique en tant que preuve d’intelligence suprême. Aristote juge que, dans une mesure correcte, le rire est profitable à l’esprit de l’être humain, à l’instar d’Hippocrate (1989) qui développe une inversion des valeurs en faveur du rire et de la folie. Secondairement, le rire peut être perçu comme dangereux, car il repose sur l’aspect trivial d’un laisser-aller corporel et intellectuel. Cet abandon à la pulsion et à la transe qu’est le rire est largement associé au manque de maîtrise du corps que peut également véhiculer la notion de sexualité. Il peut en effet être considéré que « le rire horrifié que l’Occident associe à la sexualité trahit les inflexions d’une culture marquée par la culpabilité chrétienne » (Bertrand 2001 : 9) et qu’il « est perçu depuis l’âge d’or classique comme l’expression maladive d’un dérèglement esthétique et corporel » (Sylvos 1997 : 59). En effet, l’Occident, marqué par les valeurs chrétiennes, octroie au rire toutes sortes de stéréotypes dont un certain nombre possède des connotations négatives. Le rire niais ou bête est souvent attribué aux femmes, à la différence des hommes qui sont, dans les représentations, censés pouvoir contrôler leurs sentiments et leurs manifestations. Dans les plus forts stéréotypes, les femmes rient bêtement et les hommes intelligemment. Dans les milieux catholiques, les femmes ne se laissent pas énormément aller à rire, car cela peut être considéré comme un plaisir auquel la culpabilité interdit de se livrer, et ce, d’autant plus qu’il se rattache en de nombreux points, dont celui-ci, à la sexualité.

En outre, dans cette ambivalence, la malveillance est associée au rire : « Ce qui est plus probable, c’est que ces mythes appartiennent à notre inconscient collectif, traces du passé lointain de l’humanité. Nous portons en nous ce rire venu du fond des âges – rire de l’enfant – rire de la farce populaire – rire archétypal de la sorcière » (Bertrand 2006 : 148). Ce caractère méchant et excluant associé à des caractéristiques positives donne lieu à deux stéréotypes antithétiques qui se retrouvent de manière schématique dans les dessins animés, où les personnages gentils rient ensemble dans des moments heureux, tandis que les personnages méchants rient (souvent en solitaire) devant les atrocités qu’ils ont l’intention de faire subir aux personnages gentils. Ce rire maléfique a pour intention d’humilier, d’exclure, de déposséder, d’avilir l’autre par son seul exercice. Le rire comporte une malice associée à la moquerie à l’égard de personnes considérées comme inférieures. Là encore, l’idéologie religieuse conforte cette vision : « Il est vrai que, dans la Bible, il existe, à défaut de l’explosion dionysiaque ou carnavalesque, un rire de moquerie et de la polémique, iconoclaste, rire militant d’un petit peuple qui détruit par le ridicule idoles et empire » (Sarrazin 1997 : 46). Le rire, quand il est projeté en direction d’une personne en particulier, peut agir à la manière d’une réjouissance suprême et incontrôlable du malheur d’autrui. Jean Duvigneau souligne ceci : « Si le rire est humain, c’est à cette part diabolique qu’il le doit puisque l’homme se sent supérieur aux autres espèces quand l’animal ignore ce sentiment. Mais aussi supérieur à celui dont il se moque » (Duvigneau 1985 : 56). Les stéréotypes du rire et de la femme mis en association donnent à voir chez elle une bassesse intellectuelle, dans le cas où elle rit bêtement, ou morale, dans le cas où elle se fait sorcière malfaisante.

En outre, la femme ne peut s’emparer d’un rôle de clown pour des raisons sociales qui ne tiennent pas seulement à sa correspondance avec une posture humble. Il existe des causes structurelles profondes aux difficultés d’intégration des femmes dans le monde clownesque. Au-delà du lien entre les stéréotypes des femmes et du rire, les stéréotypes du genre doivent être mis en relation avec les pratiques et donc, avec les représentations sociales du rire. En effet, le rire a su cristalliser un certain nombre de pratiques sociales dont beaucoup participent à la création et au maintien de la typification des sexes en genres. Pierre Bourdieu fait un état des lieux des notions qui sont associées au genre (Bourdieu 2002 : 20) :

Arbitraire à l’état isolé, la division des choses et des activités (sexuelles ou autres) selon l’opposition entre le masculin et le féminin reçoit sa nécessité objective et subjective de son insertion dans un système d’opposition homologues, haut/bas, dessus/dessous, devant/derrière, droite/gauche, droit/courbe (et fourbe), sec/humide, dur/mou, épicé/fade, clair/obscur, dehors (public)/dedans (privé), etc., qui, pour certaines, correspondent à des mouvements du corps (haut/bas//monter/descendre, dehors/dedans//sortir/ entrer).

Ces données sociales et culturelles participent à la création d’une sorte de genre du rire. Si, de manière générale, la femme est passive et l’homme actif, la femme réceptive et l’homme producteur, il en va de même pour leur pratique du rire. Le stéréotype de l’homme veut qu’il produise et influence son propre rire, mais aussi le rire des autres, notamment des femmes. Dans le film La domination masculine (Jean 2009), les femmes interrogées à propos de leur recherche du compagnon idéal citent, parmi les qualités attendues, des qualités socialement « masculines » telles que « protecteur » ou encore « ayant de l’humour », preuve de cet ancrage profond de la vision de l’archétype de l’homme en tant que provocateur de rire. Robert Provine déduit les mêmes conclusions : « Étant donné la relation précédemment envisagée entre rire et statut social, le désir des femmes pour des hommes qui les font rire pourraient être une exigence voilée de domination de la part des hommes » (Provine 2003 : 43). Les femmes ont intégré, lors de leur socialisation, l’habitude de ne pas se considérer comme de bonnes productrices d’humour au risque de perdre une certaine « féminité » telle qu’elle est décrite par cette division des genres. Robert Provine, dans son étude, souligne également ceci (Provine 2003 : 37) :

Les hommes se lancent plus que les femmes dans des activités qui font rire, et ce pourrait être une structure universelle. Selon une étude transculturelle de l’humour menée en Belgique, aux États-Unis et à Hong-Kong, les hommes sont les principaux investigateurs de l’humour, et cette tendance existerait déjà à l’âge de six ans, quand les premières plaisanteries apparaissent.

Il explique qu’il est fort probable qu’une personne soit capable de faire varier la quantité et la qualité de ses rires en fonction de son statut ou de sa situation sociale, donc par extension, de son genre. Les connotations attribuées à la féminité ne se rapportent pas à un rire spontané mais distingué, ni à sa production mais à sa consommation. Cette analyse apparaît tout à fait pertinente, au regard de l’analyse sociale d’Erving Goffman (1973) au sujet du rôle que chaque personne endosse en répondant aux attentes sociales.

Le rire, permettant de communiquer, fait office de vecteur social, à la manière du langage. Étant donné que le rire apparaît comme un fait social par excellence, il est logique qu’il en comporte toutes les caractéristiques et, comme le langage, il est contraint de faire l’objet de certaines pratiques collectives entrées dans les us. À l’instar du langage, il régule et retranscrit une posture sociale, en l’occurrence « genrée ». Dans ce cadre-là, les femmes peuvent être amenées à rire afin de signifier qu’elles sont dynamiques et pleines d’entrain, et les hommes à le produire pour montrer qu’ils sont dans la maîtrise de leur virilité. En outre, des codes se sont instaurés pour communiquer entre les genres à l’aide de cet aspect du langage. Par exemple, les femmes peuvent rire aux plaisanteries des hommes (ou s’en abstiennent) dans le but de signifier leur intérêt (ou leur désintérêt, le cas échéant). À l’inverse, les hommes entre eux peuvent rire pour consolider leur amitié ou se prouver qu’entre hommes les relations sont détendues et cordiales. Ils peuvent aussi évidemment utiliser l’humour pour séduire une femme en correspondant à l’idéal masculin souhaité. Ce conditionnement du rire, en relation avec les genres et leur distinction, a contribué à détourner la femme de tout rôle de clown. Dans cette perspective de découpage par genre, associé à l’utilisation du rire, tout homme qui serait amené à rire de manière trop prononcée ou avec effusion pourrait se voir attribuer des caractéristiques « féminines », et toute femme productrice de rire répondrait à des aspects « masculins ». Dans son étude sur les hermaphrodites ridicules du XVIIe siècle, Cécile Cerf-Michaut relève en effet que « l’homme qui ne contrôle pas son hilarité, qui ne peut réprimer les manifestations extérieures d’un mouvement intérieur, qui rit à tout propos, trop haut, de façon trop coquette, indécente, fait preuve de faiblesse, et a un comportement qui se rapproche trop de celui de la femme » (Cerf-Michaut 2006 : 212). Pour cette raison, « les filles humoristes se perçoivent comme étant plus actives, plus fortes, plus rapides, plus courageuses, plus têtues, plus à l’aise, plus gaies, plus sûres d’elles-mêmes, plus désordonnées et ayant plus d’humour » (Cerf-Michaut 2006 : 212). Elles associent ici la pratique de l’humour à des caractéristiques propres au stéréotype masculin. Dans ce cadre-là, il peut être gênant de concevoir une clown très belle. Elle représente alors un danger pour l’archétype féminin. Les femmes peuvent réellement décevoir ou surprendre si elles se mettent à faire de l’humour, car elles se mettent en danger et en porte-à-faux par rapport aux qualités sociales attendues de leur part en tant que femmes.

Dans une société où la production d’humour est associée à des qualités « masculines » et la réception, à des attributs « féminins », il n’est pas étonnant que les femmes aient spontanément quelques réticences à entrer sur le territoire des clowns. Il n’est pas surprenant non plus que le public ne leur pardonne que peu les écarts de conduite. Ces comportements culturels et sociaux ancrés dans les esprits et dans les pratiques paraissent aujourd’hui naturels et ont contribué à la construction des stéréotypes de la figure clownesque et de la femme.

Femmes et clowns

« Parce que je pense que le fait de transgresser, le fait d’aller dans la vulgarité, d’aller dans les zones de tabous, ce n’est pas du tout la place de la femme, a priori, dans la société. »

Une clown[∗]

Le rapport social de la femme avec le rire contribue à mettre en péril sa « féminité » proportionnellement à sa pratique active de l’humour. La tension entre ces deux antagonismes est telle qu’elle engage d’autres stéréotypes et qu’elle crée des difficultés d’ordre concret pour celles qui font de l’humour.

Les représentations et les stéréotypes respectifs de la figure clownesque et de la femme les enferment dans des catégories et des valeurs qui s’opposent. Le système de référence et de communication entre les genres force l’écart entre la grossièreté, la dépravation, l’ivrognerie, rattachées à la figure clownesque, et la maîtrise, la tenue, la beauté, la perfection, demandées à la femme. En effet, la femme doit avant tout faire bonne figure, à la différence de chaque clown, qui doit précisément représenter les mauvaises parts de l’Homme, et comme il en est incarné, de l’homme. Chaque clown représente la dégradation sociale, l’impureté, si bien que parfois son image est proche du clochard. L’une des étymologies avancées du mot « clown » (clod, signifiant : « paysan », « rustaud ») confirme ce rapprochement. Il véhicule également une image de vulgarité et de virilité déçue. L’usage du masque et de la scatologie dans d’autres civilisations, notamment de la population amérindienne zunie implique une possibilité de permutation sexuelle et en est le principal enjeu (le nez rouge de la figure clownesque regroupe dans sa symbolique les notions de masque et d’ivrognerie). Dans ce cas, la mise en ritualité de l’homme permet de se défaire de la présence de la femme en se repliant sur sa propre identité. La femme est alors exclue de ces rites, qui prônent souvent l’usage de la scatologie ou de l’objet phallique dans tout ce qu’il permet sauvagement de libérer. Jean-Bernard Bonange rappelle que ces clowns portent des simulacres de pénis en vue d’encourager les débordements érotiques. Selon lui, « ce point de vue est conforté par les interprétations psychanalytiques mettant en avant l’immaturité de l’Auguste qui n’aurait pas atteint le stade de la sexualité génitale : son comportement serait plutôt en rapport avec les stades oral, anal et phallique ou bien caractéristique de la période de latence » (Bonange 1998 : 35). Quant à la femme, dès sa première socialisation, elle est invitée à se conformer à des caractéristiques de genre, à commencer par prendre soin de son image en accord avec les canons de la beauté. Comme en font foi les livres d’enfants (Detrez et Simon 2006 : 199) :

Les illustrations sont en ce sens caricaturales, plaçant en vis-à-vis une petite ballerine avec tout son attirail (tutu et diadème) et un garçon en tenue de foot, de roller, de judo ou d’haltérophilie. Un petit bébé en rose fait du violon, un petit bébé en bleu du tambour… Si les garçons sont ainsi « forts et musclés », les filles représentent « la grâce et l’élégance », « la beauté de la symétrie ».

Par la suite, la femme apprend à ne jamais perdre la « face » : « Dès lors que quelqu’un assume une image de soi qui s’exprime à travers la face qu’il présente, il est censé s’y conformer » (Goffman 1974 : 13). Selon Pierre Bourdieu, les femmes demeurent par cette voie dans un état constant de dépendance symbolique qui les contraint à ne pas se placer en porte-à-faux de l’archétype qui leur est assigné (Bourdieu 2002 : 94) :

La domination masculine, qui constitue les femmes en objets symboliques, dont l’être (esse) est un être-perçu (percipi), a pour effet de les placer dans un état permanent d’insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique : elles existent d’abord par et pour le regard des autres, c’est-à-dire en tant qu’objets accueillants, attrayants, disponibles. On attend d’elles qu’elles soient « féminines », c’est-à-dire souriantes, sympathiques, attentionnées, soumises, discrètes, retenues, voire effacées.

À l’occasion de ce conditionnement, les femmes sont difficilement assimilables à la figure clownesque, qui comporte des caractéristiques contraires telles que l’exhibition des faiblesses du corps et de l’esprit, la transgression des valeurs proposées comme acquises ou « naturelles », une certaine insolence spontanée et démesurée.

Ces stéréotypes, s’opposant en tous points, n’engagent pas une rencontre réelle de la femme avec la figure clownesque. Selon les stéréotypes décrits, la femme, conformément à son rôle, n’a pas besoin de faire rire pour exister en tant que telle. Dans ce cas, lorsqu’elle s’engage sur cette voie, un troisième stéréotype se crée selon lequel la femme drôle n’est pas vraiment « féminine ». Annie Fratellini se rappelle par exemple que des articles de presse ont titré : « Trop jolie pour être clown » (Fratellini 1989 : 142). Ce stéréotype se traduit par la considération qu’une femme comique est donc nécessairement très laide ou masculine, quand elle n’est pas lesbienne (le stéréotype de la lesbienne la présente comme un « garçon manqué »). Naudier et Rollet (2007 : 64-65) le font ainsi valoir :

L’adéquation entre l’ethos professionnel et l’ethos de la virilité est si ancrée dans les représentations sociales des qualités nécessaires à l’exercice de ces professions que toute demande féminine de participation est perçue – plus encore que comme une usurpation de statut professionnel – comme une transgression sexuelle : ces femmes-là veulent être des hommes.

Une formatrice clown nous a expliqué, lors d’un entretien, que l’exercice clownesque est beaucoup plus difficile pour les filles très jolies, car elles doivent aller complètement à l’encontre des représentations sociales de la femme. De la même manière, Lucie Joubert souligne que, « en effet, une des idées reçues en humour veut que les femmes comiques soient nécessairement peu gâtées par la nature » (Joubert 2002 : 18). Les spectacles des clowns Janie Follet (photo 1) : « Moi, y’a une chose que je comprends pas… c’est la beauté », et Jackie Star (photo 2) : « L’élégance et la beauté », interrogent directement, explicitement les stéréotypes de la femme et de la femme drôle en les mettant en scène, en les remettant en question et en les détournant. Le stéréotype de la lesbienne comporte un certain nombre de caractéristiques attribuées aux hommes. En outre, la figure de la lesbienne propose une remise en question des genres et de leur classification, qui l’amène à pouvoir correspondre avec la figure clownesque, qui se veut étrangère à la stabilisation et à la typification des données sociales. Pour sa part, Judith Butler explique ceci : « Dans cette optique, la lesbienne semble être un troisième genre ou, comme on va le voir, une catégorie qui rend le sexe et le genre tout à fait problématiques en tant que catégories politiques stables de description » (Butler 2005 : 225). En un sens, la lesbienne est une figure pionnière, à même de déconstruire les fondements sociaux qui ont bloqué et bloquent parfois encore la réussite des femmes dans certains domaines.

Il est difficile pour les femmes, à plus forte raison lorsqu’elles ne sont pas déjà marginalisées par leur aspect physique ou leur orientation sexuelle, d’endosser le rôle du personnage qui perd, de celui qui reçoit le rire moqueur d’un public ou qui montre une partie cachée des choses en se permettant toutes sortes de transgression. Une formatrice clown explique ces difficultés à travers l’exemple d’une clown connue :

[Elle] aussi, je l’ai vue plusieurs fois et si quelque chose se passe dans le public, le portable sonne ou quelque chose comme ça, elle ne prend pas. Elle ne change pas le spectacle. J’aime beaucoup ce qu’elles font, mais il n’y a pas de mise en danger, mais je crois que je comprends pourquoi. Ce n’est pas qu’une décision personnelle, c’est très différent pour une femme de se mettre en danger par rapport à un homme.

Les femmes qui jouent le rôle de clowns doivent prendre un risque important non seulement pour se débarrasser des comportements conventionnels mais aussi pour créer de nouvelles formes d’émancipation. Une clown interrogée perçoit ce risque :

C’est aussi comment on est dans notre société. Ici en Occident à notre époque, il faut assurer deux fois mieux que les hommes. Il n’y a plus de marge d’erreur […] On fait dix choses qu’il faut assurer! On paye un prix pour ça. Il y a des femmes qui payent cher pour cela. Elles font tout très bien, mais elles payent. En face d’un clown, c’est trop imprévisible le clown. C’est trop. Si je lâche, on va rigoler de moi et là, je suis en position…

Photo 1

Janie Follet

Janie Follet

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Photo 2

Jackie Star

Jackie Star

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Photo 3

Proserpine

Proserpine

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En décrivant la réaction de son père quant à son choix de devenir clown, Annie Fratellini souligne cette problématique liée à son genre, qui apparaît au sein même de sa famille et de la famille du cirque : « Il fut étonné de nous voir partir, Pierre et moi, clown et auguste d’un nouveau genre, tels qu’il n’en avait jamais vu. Incrédule sur mon identité. Comment une femme pouvait-elle être clown? Comment pouvait-elle arriver à faire rire? » Ainsi le souligne Avner Ziv : « Les filles humoristiques semblent avoir le courage de s’éloigner de ce stéréotype et peut-être même, elles se moquent de la manière dont elles “devraient” être. Il faut certainement avoir du courage pour s’affirmer différemment des rôles “attendus” » (Ziv 2002 : 212). Proserpine (photo 3), par son agressivité, ou Jackie Star (photo 2), par son jusqu’au-boutisme, sont des exemples de clowns qui prennent des risques en osant trancher avec une image féminine stéréotypée. Le travail clownesque du créateur peut être l’occasion de renouer avec sa propre féminité en tant que sexe et non en tant que donnée « genrée ». C’est ce que cette clown explique :

En tous cas, ma féminité a pu s’exprimer à travers ça… je suis en plein dedans. Je veux dire, c’est très personnel, mais en même temps… je n’ai jamais été aussi près de ces questions-là, par exemple de maternité et tout ça, qu’à travers le clown. Je suis à fond là-dedans. Ça me permet d’être plus près de ma féminité et d’accepter celle que je suis.

Les schémas identitaires, les valeurs, les codes symboliques imposés par la société, ne convenant que très peu à la réalisation des femmes en tant que clowns, les ont poussées à chercher et à investir d’autres territoires. Il s’agit pour les femmes d’être présentes et de se faire une place aujourd’hui sans pour autant copier le modèle masculin.

La femme, par ses représentations et les codes sociaux qui y sont rattachés, est conditionnée pour n’être justement pas une figure clownesque, et arborer sérieux et discrétion, beauté et maîtrise du corps. Selon ces représentations sociales, il ne lui sert à rien d’être drôle, à moins de n’être pas belle. La nouvelle vague de femmes et de clowns porte avec elle la possibilité d’aller au-delà de tous ces archétypes, notamment en les exploitant. C’est parce que la femme ne correspond de nos jours que très peu à son propre stéréotype que des pistes se créent. Étudier la place de la femme dans l’art clownesque permet d’établir un lien avec son accès aux pratiques artistiques de manière plus générale mais aussi avec sa place sociale qui la contraint dans son corps et dans son usage du rire et, qui plus est, de l’humour. En outre, la femme et la figure clownesque ont en commun de forts stéréotypes qui gênent le renouvellement des formes et des pratiques d’un point de vue tant concret qu’idéologique. Si ces stéréotypes, qui ne correspondent plus vraiment à la réalité qu’ils sont censés condenser, sont maintenus par tradition, il faut espérer que l’art permette de s’en affranchir avec toute l’audace et le dérangement dont il est le garant.