Comptes rendus

Diane Lamoureux, Les possibles du féminisme. Agir sans « nous », Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2016, 280 p.[Record]

  • Hélène Charron

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  • Hélène Charron
    Université Laval

L’ouvrage de la politologue québécoise Diane Lamoureux intitulé Les possibles du féminisme. Agir sans « nous » est une anthologie de textes parus de 1991 à 2014, dont certains sont devenus des incontournables de la pensée politique féministe du Québec. L’intention de l’auteure est de reprendre les analyses élaborées durant cette période pour réfléchir aux enjeux auxquels les jeunes féministes doivent aujourd’hui faire face et montrer en quoi les luttes passées constituent une forme de matrimoine utile pour comprendre les défis présents. Les textes de Lamoureux empruntent généralement la même démarche dans laquelle une présentation synthétique des gains historiques réalisés par les femmes depuis les années 70 appuie les analyses politiques subséquentes. Beaucoup plus qu’historienne, la contribution de Lamoureux est analytique et théorique, au sens plus philosophique que scientifique. Je dégagerai ci-dessous quatre idées transversales aux textes de l’ouvrage avant de conclure par une brève discussion critique. En premier lieu, un des effets de la mobilisation historique féministe sur lequel Lamoureux insiste le plus est le processus de subjectivation des femmes, l’émergence d’individus-femmes qui ne sont pas uniquement définis par leur statut de subalternes par rapport aux hommes. Elle voit une forme de paradoxe dans l’émergence simultanée d’un mouvement collectif, d’un côté, et de l’individuation des femmes se libérant de certaines déterminations collectives imposées jusque-là par le système patriarcal, de l’autre : « En même temps qu’il opérait cette révolution individualisante, le féminisme cherchait encore à établir un fondement commun à l’oppression des femmes » (p. 44). En d’autres termes, il existe une forme de contradiction qui n’est pas encore résolue entre le projet de définition sociale et dénaturalisé de la catégorie « femmes » et le projet politique de se libérer de la réduction à la même catégorie pour être reconnues à titre individuel comme être humain participant du collectif, comme sujet. Cette tension résulterait du mode d’entrée des femmes dans la modernité, c’est-à-dire par la maternité et la différence, bien étudiée par la philosophie politique féministe. Afin de dépasser cette tension, Lamoureux juge que la stratégie de lutte pour les droits est plus porteuse que celles qui est organisée autour des besoins des catégories subalternisées. En deuxième lieu, l’auteure revient régulièrement sur la liberté à laquelle la libération des femmes devait aboutir, bien que l’égalité soit une thématique importante mise en dialectique avec la liberté. À son avis, l’équilibre entre les deux termes s’est progressivement renversé à mesure que les groupes féministes ont cherché à influencer les politiques publiques. Cette dialectique a pris la forme de la lutte pour l’autonomie politique des femmes versus l’autonomie économique et corporelle à l’échelle individuelle. Pour Lamoureux, l’égalité entre les femmes et les hommes ne résume pas le projet féministe qui doit interroger les autres inégalités sociales, sans quoi il ne servirait qu’à permettre l’accès de certaines catégories de femmes privilégiées au pouvoir et au politique, sans changer en profondeur les mécanismes de production des inégalités, grâce à une véritable participation des groupes dominés à la discussion politique. Ainsi, la liberté, au sens où Lamoureux l’emploie, est loin de se ramener à la conception néolibérale de la liberté de choix de consommer. Elle désigne plutôt, individuellement, la capacité de déterminer sa trajectoire et, collectivement, celle de définir l’avenir et les règles de fonctionnement des collectivités. L’aspect qui ressort des textes de ce recueil concernant la liberté est la capacité du mouvement féministe québécois à mettre en place des pratiques de liberté qui, outre qu’elles contribuent à l’émancipation des femmes, ont fait voir la possibilité de la subversion féministe du pouvoir (plutôt que son appropriation) et de la refonte des rapports sociaux. Le …