Comptes rendus

Sylvie Schweitzer, Les inspectrices du travail (1878-1974). Le genre de la fonction publique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Pour une histoire du travail », 2016, 170 p.[Record]

  • Anne Marchand

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  • Anne Marchand
    Université d’Evry Val d’Essonne/Université Paris 13

En s’intéressant au « genre de la fonction publique », Sylvie Schweitzer, professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Lyon 2, poursuit son exploration de l’histoire du travail des femmes, entamée au début des années 1990 (Schweitzer 2002 et 2010). Elle cherche à comprendre « comment, professionnellement comme socialement, se sont articulées des hiérarchies genrées où, toujours, le masculin est supérieur au féminin, où, très longtemps, il a semblé impossible qu’une femme domine des hommes en les dirigeant » (p. 7). Dans cette perspective, l’étude de la place des femmes au sein de l’appareil d’État offre un éclairage particulièrement pertinent. En effet, si la mixité des postes est inscrite dans la loi et dans la Constitution française depuis 1946, la réalité s’en éloigne fortement. Ce n’est qu’en 2012, sous la pression des institutions européennes, qu’une loi (dite Sauvadet) s’attache à infléchir ce plafond de verre par l’instauration d’objectifs chiffrés pour la nomination des femmes parmi les cadres de la fonction publique – au moins 30 % pour 2017. Autant dire que l’État, puissant prescripteur de normes, n’est en rien exemplaire en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. L’inspection du travail, corps d’État créé en France à la fin du xixe siècle, justement chargé du contrôle de l’application des lois dans les entreprises, représente un espace d’investigation remarquable pour saisir la genèse de ces inégalités. Ouverte aux femmes, la fonction d’inspectrice du travail permet à celles-ci, au cours des années 1890, d’être parmi les femmes actives détenant le plus de pouvoir – un pouvoir « paradoxal, puisque, n’étant ni électrices, ni éligibles, elles ont en charge de faire appliquer des lois dont elles n’ont pas l’initiative » (p. 9). L’ouvrage de Schweitzer redonne chair et voix à ces femmes ignorées, généralement absentes des travaux en sciences sociales portant sur ce corps d’État (Viet 1994; Robert 1998). Pour mener à bien son enquête, elle s’est attelée à reconstituer l’histoire professionnelle des 177 inspectrices recrutées entre 1878, date correspondant aux premières embauches, à l’initiative du département de la Seine, et 1974, au moment où les trois corps d’inspection – du travail, de l’agriculture et des transports – sont fusionnés et qu’une nouvelle loi rappelle l’obligation de mixité dans la fonction publique. Pour construire cette prosopographie, Schweitzer a, en association avec d’autres chercheurs et chercheuses et des membres du Comité d’histoire du ministère du Travail, croisé différentes sources parmi lesquelles les annuaires professionnels, les dossiers de carrière, les rapports et les enquêtes rédigés par les inspectrices. Si les résultats de cette recherche au long cours ont déjà fait l’objet de publications (Schweitzer et Beau 2008; Beau et Schweitzer 2011), ils trouvent dans cet ouvrage matière à s’épanouir, enrichis par des entretiens réalisés en 2011 et 2014. Le livre est organisé en deux parties chrono-thématiques, sous-divisées chacune en deux chapitres qui s’intéressent d’abord aux profils des inspectrices avant de préciser en quoi « inspectrice n’est pas inspecteur » (p. 17), soit les formes spécifiques de leur recrutement, de leurs activités ainsi que de leurs mobilités professionnelles et géographiques. La première partie, la plus fournie, correspond à la période 1878-1940, c’est-à-dire celle de l’inégalité de droit inscrite dans les textes entre inspecteurs et inspectrices. Tout en percevant une rémunération identique à celle de leurs collègues masculins – situation inédite dans la fonction publique à cette époque –, les inspectrices du travail n’exercent assurément pas le même métier que les inspecteurs. D’une part, leurs concours sont spécifiques et le nombre de postes qui leur est réservé, très réduit; ils sont tous situés dans les plus grandes villes. Par ailleurs, leur secteur d’intervention est limité …

Appendices