Comptes rendus

Marie Duru-Bellat, La tyrannie du genre, Paris, Les Presses SciencesPo, coll. « Domaine Genre », 2017, 308 p.[Record]

  • Manon Tremblay

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  • Manon Tremblay
    Université d’Ottawa

Lorsque j’ai aperçu ce bouquin au titre évocateur sur les rayons de la Librairie des sciences politiques à Paris, je l’ai pris avec enthousiasme me disant que cette lecture serait rafraîchissante : enfin quelqu’une qui, comme moi, voyait dans le genre un despote pas du tout éclairé. Hélas! J’ai vite déchanté… L’ouvrage de Marie Duru-Bellat porte sur le genre (il va sans dire!) en tant qu’il constitue un dispositif de re/production des inégalités entre les femmes et les hommes. L’auteure y défend la thèse suivante (p. 19) : Cette thèse interpelle un vieux dilemme, celui qui oppose affirmation et assimilation : vaut-il mieux être visible ou disparaître dans la masse? Duru-Bellat opte pour l’effacement : selon elle, il importe de « dissoudre » (p. 19) le genre afin que tout être humain ainsi libéré puisse exprimer sa vérité profonde – pour reprendre une idée de Foucault dont elle s’inspire – par-delà tout carcan identitaire. Duru-Bellat explore sa thèse relative à la constitution, à l’économie de fonctionnement et à la pérennité du genre en privilégiant l’informel, le non-dit, le routinier, le tenu-pour-acquis, bref les dispositifs hégémoniques et performatifs qui font et perpétuent le genre. Elle s’intéresse ainsi aux valeurs, symboles, normes, émotions, discours, pratiques, habitudes, etc., qui, dès l’enfance, sculptent les esprits et les corps selon les diktats du genre. Pour l’essentiel, son cadre théorique emprunte à une littérature somme toute classique et fidèle au courant de pensée majoritaire (mainstream) sur la socialisation et les rôles sociaux, les stratifications et les hiérarchies sociales, l’égalité et la/les différence/s, la discrimination… Nationalisme intellectuel oblige, elle en réfère aux inévitables Bourdieu et Foucault, tout en conviant à sa réflexion les Butler, Delphy, Mathieu, Rich, Rubin, Tabet et Wittig – mais sans pourtant les mettre pleinement à contribution dans son analyse. Cinq chapitres composent l’ouvrage. Les deux premiers se consacrent à la transmission et à l’assimilation du genre par les enfants ainsi qu’à sa rétention par les adultes. « Apprendre son genre », titre du premier chapitre, est l’occasion de revisiter quelques fondamentaux de la sociologie de la famille, de voir dans l’école et les médias des terreaux de socialisation au genre, d’appréhender l’adolescence comme un moment privilégié où le genre déploie pleinement sa tyrannie, de saisir l’emprise au quotidien des stéréotypes de genre, d’envisager les répercussions au défaut de se conformer aux commandements du genre, entre autres. Le deuxième chapitre, « Exécuter son genre », poursuit sur la même lancée sociologique, cette fois en privilégiant les adultes, notamment leur inscription dans les rôles de genre. Ce chapitre est déjà plus perspicace que le premier, en cela que Duru-Bellat y adopte un ton davantage critique – j’ose écrire « féministe ». Ainsi, elle réfléchit aux rôles féminins, plus précisément aux contraintes nombreuses qui les définissent et les tissent, par exemple, quant à la liberté restreinte qu’ils réservent aux femmes, aux obligations de beauté auxquelles ils les assujettissent, au regard de la sexualité hétéronormative qu’ils prescrivent, sans compter les impératifs d’excellence qui étouffent littéralement les mères. Les troisième et quatrième chapitres quittent, en quelque sorte, le terrain des manifestations empiriques du genre pour explorer les dispositifs idéologiques qui le sous-tendent et le légitimisent. Intitulé « La nature du genre », le troisième chapitre examine le discours de la « Nature » et le processus de « naturalisation » qu’il produit – le genre comme un donné de la Nature et non de la Culture. Comment, en effet, en vient-on à décréter qu’un phénomène est « naturel », au sens où il serait le résultat de processus immanents au corps (à sa physiologie, à ses …