Comptes rendus

Évelyne Diebolt, Amours passionnées pendant la Grande Guerre, t. i et t. ii : « Lucie Meyer, Mens, et Gaston Guilly, Paris », Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2016, t. I (455 p.) et II (505 p.)[Record]

  • Françoise Thébaud

…more information

  • Françoise Thébaud
    Université d’Avignon

Depuis la première édition des Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918 (Cazals 1978), la découverte et l’usage d’archives de soi – carnets ou journaux personnels, mémoires, correspondances – ont contribué au renouvellement de l’historiographie de la Grande Guerre. Celle-ci a dès lors privilégié une histoire des sociétés en guerre, qui n’a pas oublié le rôle des femmes à l’arrière et les mutations des rapports de genre durant ces années de tourmente. Elle s’est intéressée à la culture de guerre et aux modes de sortie de guerre, l’armistice ou les traités de paix n’ayant pas mis fin au conflit dans les têtes et les corps. Elle a exploré les bouleversements de l’intime – sentiments, amours, sexualités – et s’est attachée à une histoire sensible du conflit, à l’échelle des personnes et des familles. Les écrits individuels ont apporté leur pierre aux débats historiographiques sur cette période, et continuent de le faire, notamment à propos de l’émancipation ou non des femmes, ou bien encore du consentement ou non des soldats et des familles à la guerre. La publication de nombre de ces archives de soi a suscité l’intérêt des Français et des Françaises, tant l’événement a marqué la plupart des familles et est resté dans les mémoires au fil des décennies, même après la disparition des dernières personnes y ayant pris part. En témoigne la large diffusion des carnets de Louis Barthas, à plus de 100 000 exemplaires avant une réédition complétée en 2013. En témoigne également le succès de Paroles de poilus. Lettres et carnets du front, 1914-1918 (Guéno et Laplume 1998), publié après un appel de Radio France auquel ont répondu plus de 8 000 personnes. La séparation de masse a entraîné en effet l’échange journalier de millions de lettres, celles de l’arrière ayant plus souvent disparu avec le soldat, sauf exception : renvoi des lettres avec le courrier, doubles écrits par la femme, situation privilégiée de soldats mobilisés à l’arrière. L’approche du centenaire ou le centenaire même de la Grande Guerre ont donné un nouvel élan à la publication d’archives de soi, notamment de correspondances souvent découvertes dans les greniers familiaux par la génération des petits-enfants au moment du décès de la génération des parents. Citons par exemple le travail de Bruno Viard (2010) qui a mis au jour les lettres de son grand-père à sa grand-mère, « livre de mémoire et de tendresse ». Les Françaises et les Français ont également répondu très nombreux aux deux grandes collectes de documents organisés à l’automne 2013 et à l’automne 2014 par le réseau des Archives de France, opération renouvelée en novembre 2018. Les correspondances, déposées ou prêtées pour numérisation, en ont constitué une large part. Comme Viard, Évelyne Diebolt, historienne spécialiste du secteur associatif sanitaire et social français du xxe siècle, a découvert en 2015, peu après la disparition de sa mère, un trésor dans la cave familiale de l’appartement parisien. Ce trésor, dont elle n’avait pas entendu parler, contenait des centaines de lettres échangées pendant la guerre entre un grand-père qu’elle n’a jamais connu – Gaston (Édouard) Guilly (1889-1945) – et une femme, morte prématurément le 9 octobre 1919 : Lucie (Lydie) Meyer (1892-1919), la mère de son père Pierre Meyer Guilly, né en 1918 d’une liaison adultérine entre Lucie et Gaston. De là est née, outre le projet de publier ces lettres et de circonscrire ce secret de famille, l’envie d’une enquête familiale sur l’histoire des Meyer et des Guilly à long terme, avec une recherche généalogique depuis 1750 et un questionnement sur les conséquences de la guerre – son poids démographique, économique et moral …

Appendices